Le vendredi 22 février 2018 ne restera pas une date comme les autres dans toute l’Algérie.
Ce jour là, des milliers de personnes essentiellement jeunes et masculines se sont réunies dans le centre de toutes les villes du pays pour protester contre une 5ème candidature d’Abdelaziz Bouteflika aux prochaines élections de mars 2019… dans quelques petites semaines.
Immédiatement, cette nouvelle caisse de résonnance que sont les réseaux sociaux a propagé des vidéos de foules entières appelant à un changement de système. Quelques affrontements ont même eu lieu avec la police anti-émeute. Rien de très violent, mais on sent qu’à tout moment ce pouvoir chancelant comme un boxeur proche du KO, peut riposter avec violence. Surtout qu’au sommet même de l’état, des doutes semblent exister sur cette candidature.
Les manifestations ne sont pas restées éphémères. Ces samedi et dimanche, la foule a continuer de donner de la voix. La Grande Poste d’Alger a vu émerger de nouveaux visages, plus mixtes, plus intergénérationnels.
A Alger bien sûr mais aussi à Batna, Constantine, Bejaia, Oran, Tizi-Ouzou, des manifestations ont soudainement surgit des bas-fonds du pays pour exprimer leur ras le bol. Des flots de personnes se sont également retrouvés place de la République à Paris où une importante communauté algérienne s’est réunit en soutien au pays. Drapeaux algériens sur les épaules, des pancartes anti-FLN et le « 5 » rayé inscrit sur des panneaux expriment le refus de voir un président sortant, fatigué, invisible et inexistant se présenter une cinquième fois au pouvoir pour un bilan plus que négatif.
Climat politique ubuesque, cela fait des mois que le Président de la république, âgé de 81 ans n’a pas été vu en public. Des mois que depuis son AVC, il n’est représenté qu’en photo comme dans les dictatures les primitives du globe.
Des mois que le pays le plus jeune d’Afrique se voit imposer un président vieillissant et fatigué mutipliant les allers-retours en douce entre Grenoble où travaille son médecin personnel ou Genève la semaine dernière. Le tout dans une démocratie sans opposition, ni relève.
Beaucoup le croient mort.
Mais, Abdelaziz Bouteflika n’est pas la seule cible des manifestants. C’est l’arbre qui cache toute une forêt à commencer par son frère Said, numéro 2 du régime qui dirige le pays en sous main. Un homme vu par la foule comme C’est également tous les sexagénaires du Parti au pouvoir tel Sellal Ouyahiya qui sont visés, incapable d’avoir fait préparer une nouvelle relève en capacité de diriger le plus grand pays d’Afrique et l’un des principaux fournisseurs de gaz au monde.
Depuis l’indépendance de 1962, ce pays Cette révolte est un écho aux manifestations de 1988 où les quartiers populaires de Belcourt à la Casbah s’étaient embrasés contre un chomage persistant et une absence totale de démocratie. Après une répression brutale des forces de police, Chaddli Bendjeddid avait du modifier la constitution ouvrant la porte à un régime pluraliste.
Mais le mal était déjà fait. Les islamistes avaient finit par s’engouffrer dans la brêche en prenant des villes importantes comme Alger la Blanche préfigurant une décennie noire matînée de rouge.
Trente ans après, rien ne semble avoir changer. Les manifestants réclament les mêmes revendications que leurs aînés: des réformes en matière scolaire, économique, culturelle… plus de corruption, une nouvelle génération au pouvoir, la liberté d’expression…
Car au travers ce président c’est tout un système qui est rejeté, un système qui mèle corruption, clanisme, népotisme et incapacité à transformer le pays, à fournir un présent et un avenir décent pour une population de 26 ans de moyenne d’âge.
Fini « le Père conciliant et réconciliant » de 2001 à une époque où l’ancien ministre des affaires étrangères du président Boumedienne incarnait l’image d’un état fort sorti vainqueur d’une guerre sanglante contre le Front Islamique du Salut. Terminé le chantage des progressistes contre un fascisme vert que les plus jeunes n’ont pas connu directement.
C’est une véritable colère populaire qui a commencé à gronder doucement depuis un an.
Pas question pour les Algériens de clamer à un pâle Printemps arabe, qui n’est un succès pour personne-mis à part la Tunisie. Les manifestants veulent une transition en douceur.
Cette jeunesse surdiplômée, qualifiée est au chômage ou travaille dans des temps partielles sous-payés. Comme dans beaucoup de pays européens, notamment en Espagne, ils sont obligés de vivre chez leur parents, faute de pouvoir prendre une location. C’est le cas d’Hannah, 32 ans. Originaire de Belcourt, elle vit à Bentalha dans la périphérie d’Alger chez ses parents. Master 2 en archéologie, spécialisé sur Tipaza si cher à Camus, elle vend des vêtements dans une boutique de vêtement dans le centre d’Alger pour un faible : elle rêve de rejoindre l’Europe pour continuer son doctorat : « Je repproche à Said d’avoir détourner des milliards, à l’état d’avoir entrainer le pays dans une crise économique, culturelle, politique… sans nom. Je demande à ces hommes qui ont pillé le pays de rendre des comptes et de démissionner. »
Les plus chanceux-et souvent les plus riches- ont quitté leur pays pour la France, la Suisse mais surtout le Québec, nouvel eldorado pour les « têtes bien faites ».
Une question mérite tout de même d’être posée: si Bouteflika ne devait pas se présenter ou pire être réélu avant de décéder en début de mandat, qui gouvernera officiellement le pays ? Certes, il y a le pôle économique, l’armée et le pôle présidentiel mais ils sont les piliers du régime que rejette aujourd’hui les Algériens. Une armée purgée dernièrement après l’affaire des kilos de cocaine trouvés dans le port d’Oran. Seule le Département de la Sécurité et du Renseignement de Bachir Tartag, le KGB algérien, déjà hostile à une 4ème candidature, peut faire blocage ç une 5ème.
Où est l’opposition ? Contrairement à la lubie des laics de France et de Navarre, les islamistes malgré quelques groupes dans les montagnes kabyles, ne représentent pas une menace électorale. Ils n’ont ni structure, ni leaders charismatiques et restent détestés par la population en souvenir des années 90. Et ce n’est pas parce que des femmes voilées et des barbus se glissent comme de simples citoyens dans les cortèges que la charia devient une revendication des manifestants.
Leur seule chance d’obtenir des voix réside dans l’absence d’une opposition crédible.
Ni les socialistes, ni le centriste Ali Benfils, ni le général Ali Ghediri ni le « Nuit debout » local « Mwatanah » ne peuvent prendre le pouvoir, faute de militants, d’electeurs et de charisme.
Quelles solutions à court et moyen terme sont susceptibles de sortir l’Algérie de ce marasme ?
Un gouvernance à la belge, c’est-à-dire sans gouvernement ? Une coalition de toutes les forces du paus ? Cela impliquerait l’incorporation d’une dose de proportionnel et un changement de constitutition ? Un conseil des sages en attendant une transition douce ? Pour le moment hormis l’ancien président Zeroual, peu de ces « anciens » ne semblent avoir compris correctement la situation, cramponnés à leur privilège, sans parler de leur santé…
Existerait-il un « Adolfo Suarez » algérien-? Un haut fonctionnaire, biberonné à l’école FLN ou issu de la DRS, suffisament habile pour rassurer les pouvoirs économiques et militaires tout en assurant des réformes profondes dans un pays qui a toujours sous-traité à des pays extérieurs les gros chantiers ? Un pays qui s’est beaucoup trop appuyé sur le pétrole et le gaz pour vivre sans développer d’appareils productifs lui permettant de fournir des emplois à sa jeunesse ? Un pays où l’armée va devoir cesser d’apparaître comme un pouvoir politique structurant pour simplement remplir efficacement et uniquement son rôle de protecteur de la nation ? Idem pour la DRS… Un pays où la corruption ne sera plus une norme au sein des castes politiques et économiques qui se sont suffisamment arrosés depuis 70 ans ?
Car sans changement profond de mentalité à chaque strate de la nation, ces manifestations et ces cris de colère ne serviront à rien sauf à servir d’exemple à de nouvelles générations de désœuvrés qui à leur tour dans dix ans manifesteront dans la rue pour les mêmes raisons…
l’Algérie ne serait-elle -alors qu’un éternel serpent appelés à se mordre indéfiniment la queue pour ne jamais avancer… malgré d’innombrables atouts en tout point.
Gageons que non… mais le temps passe vite, si vite.