« Jusqu’au bout de la nuit »: La biographie de Jacques Benoist-Méchin par Eric Roussel

Est sortie dernièrement la biographie d’une énigme, tel que seul le XXème siècle, peut-être, a pu nous offrir.
Il s’agit de celle de Jacques Benoist-Méchin, un acteur majeur de la Collaboration, devenu après la guerre un militant chevronné de la cause arabe. Il fallait tout le talent d’Eric Roussel pour conter le destin fabuleux de Jacques Benoist-Méchin, au carrefour de tous les chemins les plus boueux du XXème siècle. Très bien écrit. Parsemé de portraits hauts en couleurs, à l’image de tous les hommes (et quelques femmes) qui croisèrent le chemin de cet « aventurier » et témoin direct du siècle passé. Déjà auteur d’une magnifique biographie de Pierre Mendès-France, l’historien avait eu l’opportunité de croiser l’ancien Secrétaire d’État du Régime de Vichy à la fin de sa vie.
Jacques Benoist-Méchin, descendant direct d’un Baron d’Empire, débute sa vie comme dandy dans le Saint Germain-des-Prés de l’entre-deux-guerres. Ambitieux et talentueux, ce mélomane, qui se rêva longtemps chef d’orchestre, trouva dans l’Europe et dans le rapprochement franco-allemand ses partitions les plus absolues. Doué pour les langues, Jacques Benoist-Méchin travaille comme spécialiste des questions internationales au journal « Europe-Nouvelle ». Proche de Marcel Proust, il traduit en français des auteurs allemands puis devient lui-même un auteur à succès à travers un ouvrage en deux tomes, « Histoire de l’Armée allemande ». Son travail minutieux obtient un réel succès. C’est durant son service militaire dans une Rhénanie occupée que le jeune homme de bonne famille tombe littéralement amoureux de l’Allemagne. « D’une Allemagne »… Révolté par le Traité de Versailles, qui lui apparaît comme une honte, la réconciliation franco-allemande devient son horizon. Au fur et à mesure de la montée au pouvoir d’Hitler, il se rapproche des nazis à travers le comité d’Amitié Franco-Allemande dirigé, à Paris, par le futur Ambassadeur Otto Abetz. Bien des années plus tard, il se rappela que « cette Allemagne nationale-socialiste lui apparaissait extraordinaire, pleine de force et de jeunesse ». En toute logique, il rejoint le Parti Populaire Français dirigé par le Prolétarien Jacques Doriot mais peuplé d’intellectuels parmi les plus brillants de leur génération, à l’instar de Drieu la Rochelle ou Ramon Fernandez.
C’est donc cette France qui, sans connaître l’enfer des tranchées, sombra dans un pacifisme radical teinté d’anticommunisme et de détestation de la démocratie. Si on ne lui reconnaît pas de déclaration antisémite, il n’en a pas été gêné pour autant. Lorsque éclate la défaite de 1940. Benoist-Méchin devint en toute logique  sous-secrétaire d’État au Régime de Vichy et partisan d’une France incorporée à l’Empire hitlérien. Il côtoie l’Amiral Darlan, Pierre Laval et tous les cadres de la Collaboration. Jusqu’à la fin du conflit, et malgré les débarquements anglo-américains et les succès soviétiques, Benoist-Méchin souhaite que les éléments français se fondent dans les unités allemandes pour affronter les Alliés. Il s’occupe des dossiers les plus brûlants : prisonniers de guerre, traité de paix avec le Japon, maintien du Levant sous l’escarcelle vichyste. L’antisémitisme n’a jamais été un moteur de ses engagements, bien moins que la création d’une nouvelle Europe païenne et puissante. Il se retire pourtant de la politique deux ans avant la fin de la guerre.
A la Libération, nombre de collaborationnistes parmi les plus zélés finissent fusillés, comme De Brinon ou encore Brasillach. L’auteur de Gilles préfère quand à lui se suicider. Après des jours de cavale dans un Paris effervescent, Benoist-Méchin, se sauve de justesse de la peine de mort (il a en sa possession une preuve que le Maréchal Juin, le héros de Garigliano, eut un passé pour le moins trouble jusqu’en 1942…). En prison, il se remet à lire. C’est un second choc : il se prend de passion pour le monde arabe (il avait déjà connu, sous Vichy, la Syrie et la Turquie). Il décide d’écrire des biographies : d’Ibn Saoud puis de Mustafa Kemal. Deux nouveaux succès commerciaux. Une renaissance.
Pendant plus de vingt ans, il écume l’ensemble du pourtour méditerranéen, dans cet Orient si fantasmé depuis des lustres en Europe (notamment par l’extrême droite, depuis 1945). Dès son premier voyage en Égypte, il croise d’anciens nazis qui lui ouvrent les portes du pouvoir. Les liens entre ces derniers et le monde arabe ne sont plus à démontrer, on peut se reporter au « Croissant et à la Croix gammée » de Rémi Kauffer ou Roger Faligot, ou à l’excellente biographie par Pierre Péan de François Genoud, banquier d’Hitler puis du FLN.
Il est rapidement le confident et l’invité privilégié de tous les grands dirigeants de l’époque : Nasser, les Saoud, le Roi du Maroc et, plus particulièrement, le Président Boumediene. L’ancien cadre du PPF devient, à ses dépends, un spécialiste de la diplomatie parallèle.
Boumediene lui demande même d’intervenir auprès de Rabat pour atténuer les passions plus que vives (et jamais refermées) après la Guerre des sables en 1963. Benoist-Méchin est invité à toutes les conférences internationales. Il est le pont entre la France et les pays du monde arabe. Qui aurait-pu le croire, en 1945, où, du fond de ses différentes cellules de prison, il attendait la mise à mort ? Une renaissance inespérée.

Si l’auteur en parle avec parcimonie, l’attrait pour l’Islam et cette civilisation arabo-musulmane de la part de Benoist-Mechin semble avoir une autre raison. Comme Lyautey, Gide et beaucoup d’autres, un nombre important d’homosexuels, des classes intellectuelles et aisées, furent attirés par le monde arabo-musulman, davantage par les corps que par les versets. Roussel s’attarde peu sur sa vie privée ; personne ne peut éluder son attirance pour une certaine sensibilité et virilité orientales, réelle ou supposée, du biographe d’Ibn Saoud ou Kemal comme de ses comparses jusqu’à aujourd’hui. On retrouve paradoxalement, dans cette catégorie un attrait parfois similaire vers l’extrême-droite européenne, …
Politiquement, dès la libération, l’auteur à succès (nombre d’entre vous ont trouvé un de ses ouvrages dans une malle poussiéreuse, …) se prend d’affectation pour le Général De Gaulle sans pour autant devenir à proprement parler gaulliste. Les positions diplomatiques de l’ancien Chef de la France, jugées pro-arabes encore aujourd’hui, intéressent et touchent Benoist-Méchin. Ce dernier s’était rapproché, par divers biais, de certains Gaullistes de gauche, tous ancien de la France Libre, comme Louis Vallon ou Michel Jobert. L’Orient rapproche les ennemis d’hier. A l’échelle d’une vie rien ne peut donc surprendre. A la fin de son existence, Jacques Benoist-Méchin, vieux et pauvre, déjeune à l’invitation de Jacques Chirac, alors Maire de Paris. A l’image d’un Albertini, hier numéro 2 de Marcel Déat, qui devint conseiller occulte de George Pompidou sur la question communiste, l’après-guerre aura été une résurrection pour l’auteur de « Passion Arabe ».
Ce témoin et cet analyste des tumultes passés méritait une belle étude : mission accomplie. Sans jugement mais avec passion. L’histoire, comme les hommes qui la font et la défont, est décidément pleine de mystères.

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