On pourrait penser à un remake fantaisiste du « Prénom » le film d’Alexandre de La Patellière et de Matthieu Delaporte sorti en 2012 avec Patrick Bruel et Valérie Benguigui.
Mais on est plus près d’un dîner de cons basé sur un nouveau débat stérile qui demande pourtant quelques éclaircissements.
Eric Zemmour- protagoniste de l’affaire- continue de se surpasser dans l’art de la polémique gratuite faussement irrévérencieuse et provocatrice.
Devenu l’icone d’une nouvelle « pensée unique » ultra-droitière et démagogue, le journaliste du « Figaro », devenu chroniqueur TV puis essayiste à succès (près de 300 000 ventes pour son « Suicide français » sorti en 2014) a encore fait parler de lui. Et une nouvelle fois sur le plateau de Thierry Ardisson.
Habitué aux salles de tribunal pour certaines de ses diatribes (il fut condamné à 2000 euros d’amendes en 2011 pour provocation à la haine raciale après ses propos chez Thierry Ardisson : « Les Français issus de l’immigration sont plus contrôlés que les autres parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes… C’est un fait. »),le polémiste s’en est pris une nouvelle fois aux descendants d’immigrés africains, dans un échange houleux l’opposant à la chroniqueuse Hapsatou Sy dans l’émission, « Les Terriens du dimanche ».
« C’est votre prénom qui est une insulte à la France » avant d’ajouter : « La France n’est pas une terre vierge, c’est une terre avec une histoire, avec un passé. Et les prénoms incarnent l’histoire de la France« L’attaque fut brève et a suffisamment choqué la jeune femme d’origine sénégalaise pour qu’elle poste la vidéo sur son compte Instagram.
Or, la question de l’intégration par le prénom n’est pas nouveau… notamment chez Zemmour.
Cet argument est devenu un disque rayé lancé en 2010 dans son « Mélancholie française » où il soulignait déjà la problématique de prénoms dits « étrangers » à la culture judéo-chrétienne pour justifier les problèmes d’intégration des enfants originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne depuis une trentaine d’années. Avec toujours ce prisme ethnoculturel.
Or si on excepte l’immense Ali Mimoun devenu Alain en rencontrant Sainte Thérèse de Lisieux comme il avait rencontré le général de Gaulle à Monte Cassino, l’immense majorité des enfants d’immigrés originaire du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne portent des noms d’origine musulmane c’est un fait. Mais beaucoup de ses prénoms appartiennent aux trois religions monothéistes et sont donc compatible à la vision zemmouresque de l’intégration : Issa (Jésus), Maryam (Marie), Jonas (Joseph), Moussa (Moise)…
Mais les prénoms n’ont jamais été un des piliers de l’identité française et républicaine, n’en déplaisent à ses supporters partisans d’une assimilation étriquée et totalement fantasmée dans une France encore marquée par les attaques terroristes islamistes.
Eric Zemmour falsifie une nouvelle fois l’histoire pour défendre ses propos. Sur un plateau de télévision, il évoque une loi de Napoléon 1er exigeant un prénom « français » à chaque nouveau-né.
La fameuse loi qu’évoque Zemmour existe bel et bien. C’est la loi n°2614 du 11 Germinal an XI, ou plus simplement du 1er avril 1803, « relative aux prénoms et aux changements de noms ». Elle a effectivement été abolie en 1993 mais voici ce que disait son titre premier, article 1 :
« A compter de la publication de la présente loi, les noms en usage dans les différents calendriers, et ceux des personnages connus de l’histoire ancienne, pourront seuls être reçus, comme prénoms sur les registres de l’état civil destinés à constater la naissance des enfants ; et il est interdit aux officiels publics d’en admettre aucun autre dans leurs actes ».
Les seuls qui subirent un durcissement de la Loi contrairement au travail accompli par la Révolution française pour les sortir du « ghetto » pour les incorporer dans la « Grande Nation civique »… furent les Juifs ! En effet, les dignitaires Juifs demandèrent à Napoléon de revenir au Code civil… en vain
Napoléon ignore cette demande ; le 17 mars 1808, une loi vient durcir considérablement le statut des Juifs, dont la vie privée ou professionnelle devient soumise à une série d’autorisations. Le 20 juillet, deuxième lame : un décret impérial prévoit que dans les trois mois, tous les Juifs de France sont tenus de changer de prénom et de nom de famille. L’article 3 est limpide : « ne seront point admis comme nom de famille aucun nom tiré de l’Ancien Testament (…) Pourront être pris comme prénoms ceux autorisés par la loi du 11 Germinal an XI » – celle qu’évoquait donc Éric Zemmour comme un modèle à suivre.
Car ironie de l’histoire, Eric Zemmour, au discours fleurant bon le « nos ancêtres les gaulois » si chers aux Hussards de la République dans une France en pleine renaissance, ne descend pas d’Armorique ou de Lugdunum. Ses parents, venus à l’indépendance de l’Algérie en 1962 comme 80 % des Juifs d’Algérie, descendent directement des tribus berbères judéisés d’Algérie (Zemmour étant le nom de plusieurs villages de la région de Soukh Arass, à l’est du pays). Loin de Vercingétorix ou de Clovis, les ancêtres d’Eric ont bénéficié des accords Crémieux en 1870 donnant aux 35 000 Juifs d’Algérie, les mêmes droits et devoirs que les citoyens de métropole (les Musulmans ayant refusé la citoyenneté pour ne pas abandonner la loi coranique). Mais à l’époque point question de prénom…
Pas plus qu’au Sénégal-pays du père de « la si peu Française » Hapsatou où les « Quatre communes (Saint-Louis, Gorée, Rufisque et Dakar) obtinrent le 29 septembre 1916 le droit de posséder des représentants. Des députés aux prénoms si celtiques que Blaise Diagne (jusque là ça peut aller) mais surtout Galandou Diouf ou encore Lamine Gueye ont siégé à la Chambre pendant que leurs fils combattaient dans les tranchées… pour la « Mère-patrie ».
Dans une période de doute, de perte de confiance en soi, on pourrait espérer mieux de la part d’un sois-disant intellectuel qu’une sortie aussi ridicule et nuisible au bien-vivre ensemble et à la beauté d’une nation en perpétuelle questionnement.
Après tout personne n’avait demandé le prénom des quelques 190 Tirailleurs sénégalais lâchement massacrés en 1940 par les Allemands à Chasselay… au nom d’une certaine idée de la France loin de celle de Marcel (Déat), de Jacques (Doriot) et de tant d’autres « Gaulois »…