La nouvelle n’est pas officielle, ni surprenante, mais fait déjà beaucoup sourire à l’étranger, Abdelaziz Bouteflika postule à 81 ans à sa propre succession pour les élections de 2019.
Cet homme assis dans un fauteuil-roulant après un A.V.C. est absent physiquement de toutes les manifestations populaires et politiques depuis des mois. Remplacé par une photo. Ce dinosaure de la politique, enfin, que certaines mauvaises langues pensent mort, devient à ce jour le seul candidat et le favori en Algérie pour des élections au combien cruciales…
Comment, l’un des pays les plus jeunes du pourtour méditerranéen (27 ans de moyenne d’âge en 2014) peut-il encore laisser son destin à un octogénaire dont l’existence même est remplie de mystère ?
Ce malaise ne vient pas de nulle part…retour en « UBER » sur quarante années de démocratie si fragile dans ce pays qui vit naître saint-Augustin, l’Emir Abdelkader, Albert Camus…
« L’Homme d’Oujda », réputé pour son amour débordant des jolies femmes, est un homme de la guerre d’Indépendance. C’est en grande partie ce conflit qui a fait l’homme politique qu’il est et qu’il reste. Un habile stratège et un séducteur patenté armé d’ un cynisme aiguisé.
Né en 1937 à Oujda au Maroc d’une famille de Tlemcen, Abdelaziz est éduqué au nationalisme au sein des scouts musulmans, véritable vivier de futurs moudjahidines (« combattants » en arabe). En 1956, le jeune homme intègre « l’Armée des Frontières » basée au Maroc. Contrairement à Si Azzedine et d’autres, il ne connaît pas l’épreuve du feu mais va progressivement grimper les échelons de l’appareil clandestin à travers un clan destiné à jouer un rôle central à la fois durant la guerre mais surtout sous l’Algérie indépendante : le Clan d’Oujda. Centré autour de deux hommes, le colonel Boumédiene-futur président-et du colonel Boussouf, sorte de « Béria local », ce groupe fortement politisé et armé va progressivement mettre la main sur l’appareil du Front de Libération Nationale puis sur l’Algérie à partir de 1965. Bouteflika devient rapidement le secrétaire de Houari Boumédiene. Il supervise à la fin de la guerre les troupes basées au sud du pays, à la frontière malienne.
Proche de Houari Boumédiene, il est partie prenante du coup d’état contre Ben Bella le 19 juin 1965. Habile apparatchik, il devient sous Boumédiene un ministre des affaires étrangères particulièrement soucieux de faire de l’Algérie, le chantre du Tiers-monde. Il ouvre des négociations avec la France en faveur de l’émigration économique en signant l’accord du 27 décembre 1968 relatif à « la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et leurs famille ». Il voyage énormément et se fait un solide carnet d’adresse.
Lorsque son mentor meurt, Bouteflika connaît un période plus trouble. Pourtant ministre d’État sous Chadli Bendjedid, il est accusé d’extorsion de fonds et doit s’exiler de 1981 à 1987 où il se lance dans des affaires fructueuses.
De retour au pays, il va, en bon spécialiste, comploter, ferrailler en interne et réussir à gravir pas à pas les sommets de l’appareil du F.LN. qui occupent avec la compagnie pétrolière SONATRACH et l’efficace Direction du Renseignement et de la Surveillance tout le pouvoir. Durant la guerre civile, (près de 100 000 morts et un million de déplacés en onze ans!), il s’oppose à la ligne dure portée par le président Zeroual et choisit une solution plus modérée et plus conciliante avec les islamistes.
Ancien du Clan d’Oujda mais aussi ministre de Boumédiene, il a pour lui la légitimité historique pour incarner en cette période de guerre civile à la fois l’unité de l’état tout assurant un discours de paix civile.
Après les élections « libres » de 1991, la campagne de 1999 est d’une importance cruciale pour le pays. Opposé au socialiste Ait-Ahmed-l’un des « Neufs chefs historiques du FLN », au libéral Mouloud Hamrouche et à l’islamiste Abdellah Djaballah, « l’Indépendant »Bouteflika gagne l’élection dés le 1er tour avec 73,5 % de votants. La réalité est moins lisse puisque les autres candidats se sont retirés du scrutin reprochant le manque de transparence et les fraudes lors du vote. Mais qu’importe, conforté par le Président Zéroual, seul garant de la stabilité des institutions, Bouteflika est élu Président de la République le 20 avril 1999 pour un mandat de 2 ans puis 5 .
Toutes les élections se suivent et sont identiques: des opposants inėxistants, un président surpuissant aidé par une armée et une entreprise d’état et des scores de « démocratie populaire » en sa faveur » : 85 % en 2004, 90,2 % en 2009 et 81 % en 2014.
La messe (à peu près …) est dite!
Mais Bouteflika reste l’homme de la réconciliation nationale. Il crée des aides financières pour les familles des victimes de l’islamisme, il libère les militaires emprisonnés après des exactions contre des membres du F.I.S. … malgré certaines critiques émanant d’associations des droits de l’homme, ces mesures sont appréciées par une population désireuse une bonne fois pour toute, de tourner la page.
Au niveau économique, la flambée des prix du pétrole permet au pouvoir d’enchaîner les grands chantiers : métro d’Alger, amélioration des voies de communication, construction d’une grande Mosquée… le grand problème reste que ces grands travaux sont sous-traités à des entreprises étrangères ne créant que très peu d’emplois auprès des jeunes. Les Chinois sont devenus depuis 2011 le premier partenaire économique du pays devant la France… mais la Chine vient avec ses ouvriers célibataires, sa logistique et ne se mélange que très peu avec la population locale. Une xénophobie commence sérieusement à éclore dans un pays ayant rompu tout contact avec l’altérité depuis l’exil des Pieds-Noirs… en 1962. (Paradoxe 1)
Cette période est également une ère de scandales financiers où une caste mêlant hommes d’état, militaires et nouveaux riches vont se partager un pactole alors qu’une grande partie des Algériens est confronté au chômage et à la pauvreté… les affaire Khalifa et SONATRACH eurent par exemple une raisonnance particulière dans l’opinion…
Culturellement, l’Algérie de Bouteflika est une Algérie souffrant de schizophrénie. Berbérophone ? Arabophone ? Francophone (la langue de l’ancien occupant) ? Socialiste ? Islamique ?… ou tout à la fois ?
Tiraillé depuis sa naissance, entre une frange « occidentaliste et francophile » et une tendance « national-islamiste » dont les têtes pensantes étaient formées à Kairouan ou au Caire, loin de la Sorbonne. Ce pays a plus de mal qu’il n’y paraît avec son identité culturelle. La guerre civile a forcé Bouteflika à donner des garanties aux conservateurs. Dans la ligne droite de la politique d’arabisation de « Bendjedid », Bouteflika a fait fermé en 2006 , 42 établissements francophones tout en mettant ses frères et enfants dans des établissements privés tenus par… des prêtres français.
Le Printemps noir des Kabyles en 2001 a également obligé le gouvernement à offrir des garanties linguistiques et culturelles à ces irréductibles montagnards à la fois « humiliés » culturellement mais pourtant si présents au sein des armées ou de la police. Paradoxe (2)
Au niveau diplomatique, l’Algérie de Bouteflika reste dans la ligne « tiers-mondiste » de Ben Bella et Boumédiene. Soutien déterminé des Palestiniens, l’Algérie a toujours ses frontières fermées à l’ouest avec son voisin marocain. Elle s’est également rapprochée des Américains notamment sur les questions de sécurité bien qu’historiquement très attaché à son armurier russe.
Avec la France, c’est une autre danse… l’ancienne puissance coloniale garde des intérêts économiques importants en Algérie même si la Chine l’a dépassé et que les Italiens arrivent à grands pas. Au niveau politique, les liens entre l’ancien lieutenant des Chasseurs d’Afrique Jacques Chirac et « Abdelkader El Mali » ont globalement été bons. Bouteflika a toujours eu un rapport conflictuel avec la France fait de mépris et d’admiration. Ancien moudjahidine, il a très souvent surjoué les contentieux historiques en période de crise tout en se faisant soigner aux hôpitaux de Grenoble et du Val-de-Grâce… Paradoxe (3)
Porté par sa politique au Proche-Orient (Palestine, refus de la guerre en Irak…), le Président français a jouit en Algérie d’une sympathie qui ne sait jamais affaibli… l’extrême inverse de son successeur Nicolas Sarkozy. Entre son atlantisme assumé, le projet de loi sur « le rôle positive de la colonisation » et ses discours sur l’identité national (quand près de 3 millions d’Algériens et de Franco-Algériens vivent en France) ont porté un coup terrible aux rapports entre les pays. L’arrivée de François Hollande (ancien stagiaire à l’ambassade d’Alger) que continue son ancien conseiller Emmanuel Macron a adoucit les rapports entre les deux pays entre reconnaissance de certains crimes coloniaux et opérations militaires au Mali… une situation qui s’explique par la fin dans les deux pays, de générations au pouvoir ayant combattu durant la guerre d’Algérie.
Dans un monde « arabo-musulman » qui a connu les « printemps arabes », l’Algérie est une exception. Seule pays se revendiquant du socialisme, il est également le seul à avoir obtenu son indépendance après une guerre brutale et le premier a avoir subi l’islamisme avec les années noires. Ces deux périodes sont déterminantes si on veut comprendre l’âme de ce pays.
Mais le pays a changé. Il est jeune (27 ans de moyenne d’âge en 2014), connaît un des chômages les plus lourds d’Afrique (avec 17 % en 2014) et son pétrole n’est pas éternel. La majorité des forces vives du pays ne pensent qu’au fameux « VISA » pour la France ou pour l’Amérique du Nord et des manifestations ont commencé à éclater les cinq dernières années. Les procès contre des militaires tombent comme des flocons de neige sur les sommets du Djurdjura.
Bouteflika, malgré les railleries et le caractère surnaturel de sa candidature, est toujours un symbole. Usé certes mais existant. Il est à la fois le dernier représentant des « Résistants de 1962 », avec ses travers et ses espoirs mais aussi l’homme de l’unité en 1999.
Pour finir, le fait qu’un homme de 81 ans reste au pouvoir montre également l’inertie de cette société qui n’a pas su réellement relever le tournant démocratique de la fin des années 1990. La corruption, les pleurs et le sang peuvent expliquer beaucoup de choses mais pas tout non plus…Si les années noires ont calmé la population de toute dérive islamiste, on ne voit pour le moment aucune alternative crédible…les jeunes ont paradoxalement déserté les engagements militants au profit d’autres préocupations que la gestion « politique » de leur pays… un mot comme « survie » semble être devenue la priorité mais sans« se remonter les manches » et prendre son destin collectif en main comment avoir un avenir viable avec un projet collectif ? Afin de résister : être libre, indépendant, fier (sans orgueil)…
Combien de temps cela va-t-il durer… c’est un autre tour de « UBER » pour Tobrouk » qu’il nous faudra…
A bientôt et paix à tous.