« Algérie-Maroc… Je t’aime…moi non plus ! » On dirait un tube de Serge Gainsbourg mais en berbère. Ou en Arabe selon les points de vue. Mais on sent la triste farce aliméntée d’une pointe de chauvinisme électorale.
Le 6 novembre, à l’occasion du 43e anniversaire de la Marche verte, le roi Mohammed VI a proposé aux autorités algériennes, dans son discours à la nation, de relancer les relations bilatérales en créant un «mécanisme politique conjoint de dialogue et de concertation» destiné à permettre de régler les différends entre les deux pays. Des termes très « techno » signifiant : « et si on discutait au lieu de se faire la tête ? ». Le parti au pouvoir, les « démocrate-musulmans » du Parti pour la Justice et du Développement a enchaîné le pas afin de régulariser la situation : « «de chercher des solutions dans le but de normaliser les relations bilatérales et dépasser tous les différents qui empêchent l’évolution de la coopération entre les deux pays», a indiqué Saâdeddine El Othmani le secrétariat général dudit parti. Les autorités ont donc ouvert le dialogue avec l’Algérie en pleine période électorale puisque des élections présidentielles vont avoir lieu en mars 2019. à Alger La réponse des autorités algéroises a été tardive et sans appel : « Non ».
Si des milliers d’Algériens, d’Alger à Annaba en passant par Constantine, vont se baigner sur les plages tunisiennes, il n’en ait pas de même sur le front occidental. Seule la contrebande, le fameux trabendo, fonctionne encore notamment en matière d’essence… le reste est surveillé par l’armée.
Cela fait 24 ans que les frontières sont fermées entre ces deux pays du Maghreb occidentale.
La dernière rencontre entre les deux autorités datent de 2005. Après un attentat à Marrakech, Rabat accusa Alger, soutien du Sahara occidentale (dont nous allons reparler)… et le débat fut clos.
Car la date du 6 novembre n’a pas été choisi au hasard par les Marocains.
Le 6 novembre 1975, Hassan II lance un appel à la population marocaine pour marcher sur le Sahara occidentale, alors colonie espagnole au nom de l’appartenance de ce territoire au Maroc. 350 000 Marocains drapeaux à la main firent le déplacement. Une « Marche verte » qui n’a pas plu à Houari Boumédiène et son clan. Un acte leur rappelant étrangement l’impérialisme européen du siècle passé et la volonté d’hégémonie chérifienne dans la région.
Le 21 mai 2018, les Marocains remirent une pièce dans le contentieux en critiquant ouvertement l’appui algérien au Front polisario, le mouvement indépendantiste du (nouveau nom du Sahara occidentale).
Or ce ne serait pas la première fois que l’Algérie soutient des groupes suspectés de terrorisme ou de séparatisme par des pays étrangers puisqu’elle avait hébergé et entraîné les Irlandais de l’I.R.A. et les Basques de l’E.T.A.
En 1976, c’est le départ de l’Espagne…immédiatement le Polisario proclame une République arabe sarahouie démocratique (RASD) et réclame un référendum d’autodétermination. En contrôlant 80 % du territoire de l’ancienne colonie, Rabat considère cette région comme partie intégrante de son territoire et propose comme solution de « compromis » une autonomie sous sa souveraineté. Mais Alger ne veut pas en entendre parler et décide de soutenir les indépendantistes sahraouis.
Seulement à travers ce conflit c’est un peu le « Mythe des deux Maghrebs » qui se joue… une mythologie chargée de stabiliser des pouvoirs en quête permanente de légitimité. D’un côté le Royaume Chérifien, véritable monarchie absolue au Maghreb. Dés l’indépendance en 1956 il revendique la Mauritanie (ancienne possession selon eux…) En 1963, il veulent une partie du Sahara algérien (d’où un premier contentieux avec l’Algérie lors de la guerre des sables), puis récemment ils tentent de prendre possession des Iles Persil, possession ibérique. Le Royaume Chérifien se rêve avec beaucoup d’orgueil en descendant des Almohades et Almoravides. On revendique des terres au nom d’un passé glorieux et mythifié. Un Royaume conquérant. Impérial.
De l’autre côté, on rivalise avec autant de morgue. L’Algérie se rêve encore en « Mecque de la Révolution ». Du temps des « Pieds rouges » ces coopérants français, bulgares ou cubains présents dans les écoles et les hopitaux. Du temps également où le Che se pavanait dans la Casbah cigare au bec, où lorsque le Festival panafricain accueillait en 1969 les Black Panthers, et autres leaders tiers-mondiste…. c’était le bon vieux temps. Dans la lignée de Ben Bella ou Boumédiène, l’ancien ministre des affaires étrangères Bouteflika souhaite rester le dernier des non-alignés, le dernier à ne pas reconnaître Israel-grand ami du Maroc, le dernier à soutenir les Palestiniens, les Sahraouis… tous les Damnés de la terre.
Comme si l’Algérie avait repris de la France, tout ce qu’elle lui reproche en temps normal : la bureaucratie (VISA…) et une certaine arrogance diplomatique…
A l’heure où les deux états apparaîssent comme des hauts lieux du clanisme, du népotisme et de corruption, les mythologies ont la vie dure. Comme des cache-sexe. Arrivés au pouvoir à la même période, Mohammed VI et Bouteflika ne semblent pas enclin à démarrer l’aventure, « Maghreb United ».
Or la pression viendra-t-elle de l’extérieur ?
La diplomatie européenne est trop faible pour parler d’un seul nom et les Algériens ne veulent pas voir les Français s’impliquer sur ce dossier. Les Russes n’ont aucun intérêt dans la région déjà empêtré en Syrie. Il reste l’Oncle Sam.
David Hale, le sous-secrétaire aux affaires étrangère américain a d’ailleurs fait un communiqué le 15 novembre demandant aux frères ennemis de se réconcilier afin de lutter ensemble sur des dossiers aussi sensibles que « le trafic de drogue, l’émigration illégale, le terrorisme… ». Les Américains sont un acteur remuant sur le dossier du Sahara occidentale. Horst Kohler, l’émissaire de l’ONU pour le Sahara occidental, a rencontré mardi 25 septembre David HALE, sous-secrétaire d’Etat américain aux Affaires politiques afin de discuter de la question sahraouie quand l’ONU tente de relancer les négociations entre Rabat et le Front Polisario.
Cette position américaine fait écho à la déclaration de Washington en avril qui espérait relancer les pourparlers d’ici le mois d’octobre 2018, félicitant les efforts de médiation menés par KÖHLER et la MINURSO (Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental) en vue de l’organisation d’un référendum d’autodétermination dans cette région4.
Cette rencontre précède également la remise du rapport du Secrétaire Général de l’ONU concernant le Sahara occidental au Conseil de Sécurité. La présentation a été au mois d’octobre et vient relancer le processus de paix au Sahara occidental, dans l’impasse depuis 2012, date à laquelle le Maroc et le Front Polisario se sont rencontrés pour la dernière fois aux Etats-Unis.
Car les Américains ont toujours eu œil attentif sur l’Afrique du Nord.
Qui se souvient que le premier conflit à l’extérieur du continent américain fut la guerre de Tripoli entre 1801 et 1805 où la marine américaine s’opposa aux Etats barbaresques coupable de piraterie et de razzia sur les bateaux marchands… des Etats composés du Sultanat indépendant du Maroc, des régences d’Alger, de Tripoli et de Tunis, provinces en «théorie » ottomane…
Les Américains mirent pied définitivement dans la région le 8 novembre 1942 lors du débarquement anglo-américain en s’appuyant sur des diplomates efficaces comme le consul Murphy à Oran(du temps où les services spéciaux de l’OSS distribuaient des tracts en arabe aux « Indigènes » pour appeler à la révolte contre l’occupant français…en 1942, en pleine occupation allemande.). Depuis les Américains ont toujours gardé un œil sur l’Algérie chez les universitaires comme chez les diplomates. Le Maroc est un allié de longue date des Américains notamment en matière d’antiterrorisme. Les Américains avaient d’ailleurs soutenu le Maroc contre l’Algérie et ses alliés soviétiques et cubain durant la « guerre des sables ». C’était la Guerre froide dans le chaud Sahara. La très efficace Direction Générale de la Sureté Nationale, peut-être la plus efficace du monde arabe, a reçu une formation appuyée de la part de la CIA. La vieille alliance Maroc-Etats-Unis-Israel est toujours sur pied…du côté Algériens, la troisième voie tant rêvée est sans issue… même la Chine a d’autres chats à fouetter….
Dans cette Méditerranée si agitée, tout le monde auraient intérêt à éteindre des braises incandescentes depuis beaucoup trop de temps… il y a tant de feux ardents ailleurs…