Soyons clairs: le mot « Arabe » est un fourre-tout ! Comme le mot « gauche » d’ailleurs ! Des termes utilisés à l’emporte pièce. Le bazar d’une vieille medina où chaque stand à sa propre sauce! Mais il fallait bien désigner en un seul mot toutes les populations du bassin méditerranéen que la France a colonisé. Parlant à l’origine les langues berbères, phéniciennes ou syriaques, toutes ces populations ont subi des métissages divers et variés dans ce croisement culturel permanent nommé Mare Nostrum.
En toute logique, nous ne parlerons pas des habitants de la péninsule arabique dans ce billet mais bien de ces populations arabisées par les conquêtes musulmanes à partir des VIIème et VIIIèmes siècles qui ont croisé la route de notre Hexagone dés le début du XIXème et ce quelques soit le régime (Second Empire, IIIème et IVème république, la parenthèse vichyste….) ou le statut (département, protectorat etc.) des deux acteurs.
Héritière des valeurs universelles de la Révolution française, des combats de l’Affaire Dreyfus voir du marxisme, la gauche a longtemps été vue comme un espoir d’émancipation pour les peuples colonisés et d’origine musulmane… en trompe-l’œil bien souvent. La gauche institutionnelle et de gouvernement. Celle des décideurs, non des experts. Ceux qui tranchent, prennent des décisions pour le grand bonheur ou le malheur des administrés. Dans la réalité, la vraie…pas celle des livres. Car il y en a d’autres de gauche: celle des artistes, des associations, des opposants perpétuels à tout pouvoir… Une partie des intellectuels « progressistes » pour reprendre ce terme, a bien œuvré avec détermination contre le colonialisme durant l’entre-deux-guerre sous l’influence du communisme. Le point d’orgue de cette lutte s’est bien entendu effectué lors de la guerre d’Algérie auprès de ces « dreyfusards » pour reprendre les termes de Pierre Vidal-Naquet (d’une gauche aux multiples reflets et variantes (qu’ils soient chrétiens, communistes, trotskistes ou gaullistes, à lire dans mon premier ouvrage « Trois historiens face à la guerre d’Algérie » préfacé par Benjamin Stora.). Dans les pas de Claude Bourdet, Jerôme Lindon, Frantz Fanon ou Francis Jeanson, nombre d’universitaires, de journaliste, de militants ont combattu, écrit, soutenu ou sont morts (comme le mathématicien communiste Audin) en faveur de l’indépendance de l’Algérie.
Mais la politique c’est autre chose. « Gouverner c’est choisir » clamait Pierre Mendès-France ou « subir » (une pensée pour un ancien enseignant de Toulouse, Jean-Michel Eymeri-Douzans).
Beaucoup d’hommes de gauche ont tenté de garder un contact concret et sincère avec les pays du Maghreb et du monde arabe en général après la Seconde guerre mondiale. Certains ont fait des réformes, pris des risques, mis fin aux protectorats marocains et tunisiens avec PMF en 1956. D’autres Alain Savary, Michel Jobert, Jean-Pierre Chevènement ou Arnaud Montebourg ont fait ce qu’ils ont pu … à leur échelle. Mais la gauche de gouvernement (qu’il s’appelle S.F.I.O., P.S., P.R.G. voire P.C.F. de manière indirecte) a globalement déçu. Trahi disent certains. Peut-être trop idéalisé aussi. Toujours est-il que de part et d’autre de la Méditerranée, le message n’est pas toujours bien passé. De l’internationalisme théorique, on leur a reproché un chauvinisme étriqué. Une politique de droite quoi. Ou dans le souvenir fantasmé du gaullisme, de trop soutenir les Américains et Israéliens. Des critiques parfois injustes, parfois fondées pour une politique toujours contestée.
Dés le Front populaire, nombre d’Indigènes ayant servis dans les tranchées espéraient obtenir la citoyenneté française. Le Projet Blum-Violette (du nom du gouverneur d’Algérie) est présenté en décembre 1936. Il prévoyait de donner la citoyenneté française à 25 000 Musulmans… face aux manifestations des Européens d’Algérie et à l’opposition de la droite parlementaire, le projet tombe à l’eau (Clemenceau l’avait réussi mais il fut le seul)… premier fiasco. Pour le reste du Maghreb et du Levant… nous en reparlerons. Courant 1944-1945, le Conseil National de la Résistance (très fortement teinté à gauche) ne mentionne rien non plus sur ces territoires et leurs habitants alors que des milliers de tirailleurs marocains, pieds-noirs, algériens ou tunisiens affrontent les Allemands et le froid dans des Vosges ensanglantés par les combats. Alger, Oran sont affamés. Sétif et Guelma ne vont pas tarder. Deuxième fiasco.
Et puis arrivent les années Mollet en 1956. Le retour de la gauche au pouvoir.
En Egypte, l’ancien professeur d’anglais pacifiste voit en Nasser « un nouvel Hitler » et envoie les parachutistes récupérer un canal de Suez. Sa grille de lecture issue des années 30 et son fort attachement à Israël font le reste. Suez est un fiasco…Nasser un « héros dans le monde arabe ». La France et son allié anglais la risée de l’Ancien monde.
Au Maroc et en Tunisie, on arrête comme rarement auparavant les opposants et on soutient les colons à l’heure où le globe se libère de la domination européenne… mais c’est rien à côté de l’Algérie! Guy Mollet et son entourage (Max Lejeune, Christian Pinault, Marcel Naegelen…) vont opérer la politique la plus dure et la plus répressive des événements comme on dit à l’époque… refusant d’écouter des hommes comme Ferhat Abbas ou Jacques Chevallier appelant au dialogue, les Socialistes au pouvoir font arrêter Ben Bella, couvrent la torture, truquent les élections notamment à Oran, multiplient les arrestations arbitraires et cerise sur le gâteau: envoient près d’un million de jeunes conscrits français dans le djebel… la fracture est définitive. Le Parti Communiste Français de son côté a effectué un virage à 180° en passant d’un Algéristan à la soviétique à l’Algérie algérienne mais il en a l’habitude! La S.F.I.O. de Jaurès ne s’en relèvera pas… et le lien avec les intellectuels et la Méditerranée, non plus…
Le prestige du général de Gaulle dans ces pays méditerranéens est dans les années 50-60 très fort, la gauche en reconstruction avec ses clubs, Mai 68 et tutti quanti… L’Orient paraît loin. Avec Giscard d’Estaing et son U.D.F. « très Algérie française » (Merci l’OAS d’Hubert Bassot et de Claude Dumont pour la campagne de 1974) on est encore plus loin du royaume arabe de Napoléon III. Bonapartiste contre Orléaniste même en Orient.
Mais les années Mitterrand n’ont rien à voir « Mollet ». Moins d’idéologie plus de cynisme. Mais est-ce mieux ? Lorsque l’ancien ministre de l’Intérieur de Mendès-France (qui collectionne le triste record du plus grands nombres d’Algériens guillotinés avant de devenir en France le Président de l’abolition de la peine de mort!) arrive au pouvoir la gauche semble avoir changer…. Le P.S.U. des Porteurs de valises est actif mais peu nombreux, la nouvelle génération des Sabras (sans Chatila) loin de 1962. La gauche est très fortement attachée à Israël (Mais n’est-elle pas née en partie avec l’Affaire Dreyfus et les luttes contre l’antisémitisme des années 30 ?). Tonton a pourtant reconnu en 1972 l’Organisation de Libération de la Palestine et Yasser Arafat. En Afrique, le fameux « pré-carré », Foccard et les années noirs du gaullisme ont été remplacé par Guy Penne, docteur et « maçon ». Pour nos anciennes le Maghreb-Mashrek, la realpolitik va primer. Le talent de Claude Cheysson au Quai d’Orsay (le conseiller diplomatique de Mendès-France en 1956) et le cynisme de Mitterrand se heurtent à la réalité du monde. François Mitterrand devient le Président français le plus interventionniste au Moyen-Orient. En 1982, les Français interviennent au Liban encerclé par Israël et récupèrent via le « maître-espion » Rondot le chrétien Aoun, chef des phalanges chrétiennes en douce… à la barbe, si je puis dire, des autre Levantins. Après l’attaque du Drakkar en 1983 par les services iraniens (où 58 parachutistes français sont morts), Jean-Pierre Filiu rappelle dans un article concernant « la Politique de Mitterrand au Moyen-Orient » cette interview donnée au journal « Libération » où le Président déclare clairement:« Je ne peux pas signer — je m’y refuserai — la disparition de la France de la surface du globe en dehors de son pré carré ». Les choses sont claires. Passons sur le cynisme absolu concernant les régimes en Perse et en Mésopotamie en matière de commerces d’arme (la cause du « Drakkar »)… François Mitterrand engage les troupes françaises avec les Américains lors de la guerre du Golfe contre l’Irak. Cassure à gauche avec son ministre des Armées Jean-Pierre Chevénement, les communistes et les pays du Maghreb. Grosse crise avec le monde arabe, la France est incomprise.
Machiavélique, comme jamais, Mitterrand a également jouer le jeu très dangereux des islamistes. En 1979, il soutient l’ancien exilé d’île-de-France l’Ayatollah Khomeiny contre le Shah. Lors des années noires à Alger, il reçoit l’islamiste algérien Belhadj à l’Elysée par la porte de secours en pleine période de guerre civile en Algérie… Seuls les vieux « Gaullistes » comme Pasqua font les yeux doux à Bouteflika et sa bande. Décidément « Gaulliste-FLN » même combat ? Les démocrates algériens reprocheront longtemps au pouvoir socialiste un manque de soutien clair à leur égard. Enfin bref… « Tonton à Tobrouk » aura été un demi-succès dans les salles, relançant l’éternel débat, Mitterrand était-il de gauche et ceux même dans son rapport à l’Orient ?
Mais depuis, on continue dans le brouillard. On va d’incompréhension en incompréhension. De ces députés socialistes qui applaudirent les frappes sur Tripoli élaborées par ce couple si grotesque qu’ont été dans cette affaire Nicolas Sarkozy et Bernard Henri Lévy. Certes François Hollande, qui effectua son stage d’énarque à Alger, a relancé les relations avec Bouteflika. Mais des mauvaises langues pensent même que Jospin président la France en 2003 serait intervenu avec Bush en Irak… Politique fiction quand tu nous tiens…
Le tableau peut paraître noir (gris foncé) et personne ne sait ce que les opposants à ces différents gouvernements auraient fait à leur place. Bien sur, il y eut des divisions, des cassures, des ruptures… mais la gauche au pouvoir a très largement incompris ces régions, aux combien diverses mais pourtant si proches… que d’actes manqués, que d’incompréhensions, que de déçus des deux côtés de la mer Méditerranée.
Un contre-exemple mérite quand même d’être cité et connu: car au milieu d’un désert de mirage, il y a parfois le visage d’un espoir qui se dessine: Pierre Viénot.
Ce jeune lycéen, originaire de Picardie, s’engage volontairement comme artilleur dans la Somme où il est blessé deux fois. Par des rencontres après la guerre, il intègre le Cabinet du Maréchal Lyautey, Régent tout-puissant du protectorat marocain. A côté du vieil homme qui le considère comme un fils, il va apprendre loin des livres, toute la diversité de ce royaume millénaire. Il apprends à composer avec les différentes tribus berbères, les Arabes et à maintenir l’influence de la France sans pour autant casser les traditions locales. Monarchiste invétéré, opposant au colonialisme jacobin des Galliéni (dont il fut un proche) ou de Sérail, Lyautey va s’avérer un diplomate particulièrement fin et le rénovateur absolu de l’état marocain, le fameux Makhzen. Une leçon pour Pierre Viénot. Après l’échec du Bureau Franco-Allemand, où plein d’idéalisme, il pensait assurer une paix pérenne entre les deux voisins, il devient député des Ardennes. Spécialiste des Affaires étrangères à l’Assemblée, ces avis sur l’Europe et l’avenir des colonies sont particulièrement écoutés dans la Chambre. Quand arrive « le Front Populaire », cet homme appartenant au micro-parti « Parti républicain-socialiste » est nommé sous-secrétaire aux Protectorats du Maghreb et aux Mandats du Proche-Orient. Des leçons de Lyautey, il a compris à se concerter avec les acteurs locaux, à ne pas les mépriser. Il prend un jeune germaniste comme directeur de cabinet Pierre Bertaux et le brillant orientaliste, membre de la SFIO, Charles-André Jullien. Il multiplie les voyages au Levant et parvient à négocier à l’automne 1936, les traités accordant l’indépendance au Liban et à la Syrie. Ces traités ne sont pas ratifiés, en raison de l’hostilité du Sénat, mais ils servent de base pour l’indépendance effective de ces pays, à la fin de la Seconde guerre mondiale. Entre l’échec de « Blum-Violette », la non-intervention en Espagne en faveur des Républicains et le début des divisions à gauche sur l’Allemagne, l’action de Viénot est un miracle. Laic certe. Au Maghreb, sa politique vise à renforcer le droit des indigènes provoquant la fureur des colons. Son discours à la radio tunisienne du 1er mars 1937 visant à renforcer les droits des Tunisiens lui vaut d’être considéré par les plus influents colons comme « l’Antéchrist » Charles-André Jullien (« L’Afrique du Nord en marche »). De cette période va naître une amitié profonde et durable avec le leader du « Néo-Destour », un certain Habib Bourguiba…
Et puis il y a la chute du Front populaire, la guerre, l’aventure du Massilia, l’arrestation à Rabat puis le procès de Clermont-Ferrand avec Mendès-France et bien d’autres… son évasion, la création du mouvement « Libération-Nord » dont il est un des leaders. Une seconde fois incarcéré, il s’évade et rejoint Londres où il va devenir jusqu’à sa mort l’Ambassadeur spécial de la France Libre auprès des Anglais. Il va s’efforcer -au prix de d’une santé fragilisée par les affres de la Grande guerre – à maintenir une France totalement indépendante à la Libération. Une France administrée par le Gouvernement provisoire de la République Française et non par les troupes anglo-américaines, le fameux plan AMGOT (Allied Military Government of Ocupied Territories). Il accompagne le Général de Gaulle à Bayeux durant l’été 1944. Mais succombe d’une crise cardiaque quelques semaines après le 20 juillet 1944.
Viénot et d’autres incarnent de manière plus minoritaire une gauche de gouvernement qui a su concilier le difficile compromis entre un patriotisme intransigeant et un universalisme sans compromission… un équilibre en réalité si périlleux mais tant souhaité, tombant si souvent dans l’eau de l’Al Cawthar ou Styx…selon les points de vue.