
L’énigme algérienne: Chroniques d’une ambassade à Alger, L’observatoire Eds De, 16 mars 2022
Les propos du Président Tebboune tenus en début de semaine afin de calmer les tensions avec la France en rappelant ses très bons lien avec le Président Macron n’éludent pas un fait assez profond : les rapports entre l’Algérie et la France n’ont peut-être jamais été aussi tendus ou pire… Les raisons sont multiples, et ne datent pas d’hier : c’est ce que nous relatent dans ses souvenirs diplomatiques Xavier Driencourt, qui fut, fait unique, deux fois Ambassadeur à Alger, de 2006 à 2012 et de 2017 à 2020.
Cet Enarque, ayant officié notamment en Australie et en Malaisie, a connu deux Présidents, Abdelaziz Bouteflika puis son successeur, Abdelmajid Tebboune. De l’autre côté, Xavier Driencourt aura servi quatre Présidents au « bilan algérien » très hétérogènes : J. Chirac, N.Sarkozy, F. Hollande et Emmanuel Macron.
Le billet que vous allez lire s’avère un témoignage de premier plan. Sans complaisance. Avec tout de même, doit-on l’avouer, une pointe d’amertume et de dépit au bout de la plume. Je ne ferai pas dans ce billet une bête fiche de lecture mais je vais souligner certains traits qui m’ont marqué.
J’invite vraiment mes lecteurs à lire ce livre d’une grande richesse rempli d’anecdotes et de portraits des plus corrosifs. L’Ambassadeur a également eu l’extrême courtoisie et gentillesse de répondre a quelques précisions par téléphone. Qu’il en soit remercié.
Dès son entrée en fonction, il lui fut rappelé que deux pays comptaient particulièrement pour la France dans les relations diplomatiques : la France et l’Allemagne, pour des raisons à la fois différentes et parallèles. Ce diplomate inscrit dans la tradition gaulliste et proche d’Alain Juppé, a vu une réelle évolution lors de ces deux passages, « Deux Algéries ». La première fois, le pays semblait heureux et plus apaisé. « Terminée » cette guerre civile qui lui avait coûté 200 000 de ses enfants. Finie cette lutte fratricide suite à la Paix des Braves signée en 2000 entre Bouteflika et les Islamistes. Une économie requinquée grâce à la hausse du prix du pétrole et un retour d’Alger dans le concert des nations.
Cinq année plus tard, peu de femmes non-voilées dans les rues, une circulation de plus en plus dense et d’importants problèmes de logements et de chômage dans une capitale de plus en plus peuplée. C’est dans cette Algérie-là que l’ambassadeur Driencourt reprend du service. Durant son séjour éclate l’« Hirak », dans l’élan des Printemps arabes. Or ce qui aurait pu apparaître comme une grande lueur d’espoir avec des piques à 13 millions de manifestants (sur une population de 40 millions de personnes) devient un échec politique retentissant, dont les ennemis d’hier : l’armée et les islamistes sortent grands vainqueurs. Les « sois-disant » braves n’ont pas fusionné mais ont le même agenda politique et se sont donc partagé le gâteau : l’économie pour la caste issue du FLN et le contrôle religieux de la société. Un national-islamisme est en place.
Pour coagulé cet étrange mélange il fallait bien un ennemi commun : la France (devant le Maroc et Israel). Car plus de soixante années après les accords d’Evian, Paris reste encore le responsable de tous les maux algériens. La France était déjà accusée d’être derrière le FIS islamiste. Elle fut bien évidemment, accusée d’être derrière l’Hirak. Nombre de prêtres pourtant très loin de toute considération politique ( à l’instar des moines de Tibhirine ) dans une Eglise algérianisée dès 1962, apparaissent comme des « oeil » de l’Elysée qu’il faut surveiller. Que ce soit sur l’incarcération de Boualem Sansal, le Sahara occidental ou sur les querelles mémorielles, ces fractures laisseront des traces.
Si la France a pu tenter quelques pas en vue d’un rapprochement avec par exemple, la volonté d’effectuer un travail de mémorielle en commun avec le Rapport dit Stora (également très critiqué en France autant par la gauche descendante des « Pieds-rouges » que par l’extrême-droite), Alger a refusé d’ouvrir ses malles d’archives pour éviter très certainement que tant de dirigeants au pouvoir ne se retrouvent nus sans aucun passif de Moudjhaids . Comme beaucoup de Résistants de la dernière minutes sous la IVème République. La mémoire unilatérale comme rente. Entre autre. Tout est bon pour demander des comptes à la France sans contre-partie puisque les Chinois nous ont dépasser comme partenaires économiques, que nous sommes désormais talonner par la Turquie, l’Italie et l’Espagne. Mais comme tout est politique pour reprendre la loghorrée marxiste, à Alger.
Dorénavant notre principal levier reste de refuser littéralement l’entrée de tout nouveau Algérien en refusant tout VISA à un ressortissant qui leur fermerait définitivement la porte de l’Europe. Ou de remettre en cause cette loi d’exception qu’est la loi de 68. Malheureusement beaucoup d’innocents et d’honnête personne, parfois particulièrement francophile, en seront les victimes. Il est vrai que dans l’autre sens, Alger refuse le rapatriement de tout délinquant algérien… deal donc non respecté dans un sens.
L’auteur revient sur toutes les tentatives avortées de rapprochement mais également sur le dossier de la Diaspora. Cette dernière, ou tout du moins une grande partie, est parfois présente depuis des générations en France et constitue avec les Portugais comme la première communauté en France. Or les échecs de la France en matière d’assimilation (les mots ont un sens) comme « une éducation au lait mémorielle FLN » font que cette communauté, pourtant la première victime de cette profonde rupture entre les deux rives, un ardent soutien d’Alger face à Paris. Elle le montre à chaque crise, que ce soient sur les réseaux sociaux ou lors de manifestations culturelles comme en sport (se référer au catastrophique France-Algérie des années 2000). Des 3ème et 4ème générations font preuve d’un chauvinisme particulièrement démonstratif et se montrent plus « Algériens que les Algériens ». Pourtant, une classe moyenne émerge et nombre de Français d’origine algérienne sont présents dans toutes les sphères de la société atténuant certains discours alarmistes… Mais la faille identitaire reste très profonde.
L’ambassadeur rappelle, ironiquement, que nombre de dignitaires algériens furent des experts à critiquer la France le jour, à traiter de « harkis » tout compatriote amené à prendre une position commune avec Paris, tout en demandant le soir sur une demande de VISA sur un e-mail privé. Que ces mêmes dignitaires, appuient l’anglais et l’arabe dans le système scolaire et dans les papiers officiels (les Islamistes ont totalement rompu avec notre langue) mais appellent les consulats pour demander une place en lycée français pour leurs enfants.
L’ Ambassadeur Xavier Driencourt est pessimiste dans ce livre sur l’avenir de nos relations. Un second livre sur ses souvenirs, et sur ce sujet, sort en mai afin d’approfondir sa vision.
La France, comme toute société aussi ancienne, est bien sur imparfaite. Mais elle s’autocritique. Parfois mal et trop. Mais elle le fait quoiqu’en dise Alger. Il faut dorénavant que chaque partie avance et sache réellement ce qu’elle souhaite dans les avenirs à venir. Avec des faits concrets. Sans concession, avec respect et sans double langage. De manière juste. Au moins l’avenir sera clair pour tout le monde. Trop de temps s’est écoulé, déjà, depuis 1962. Et tout paraît déjà trop tard.