Abdelaziz V l’ultime épreuve

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La nouvelle n’est pas officielle, ni surprenante, mais fait déjà beaucoup sourire à l’étranger, Abdelaziz Bouteflika postule à 81 ans à sa propre succession pour les élections de 2019.

Cet homme assis dans un fauteuil-roulant après un A.V.C. est absent physiquement de toutes les manifestations populaires et politiques depuis des mois. Remplacé par une photo. Ce dinosaure de la politique, enfin, que certaines mauvaises langues pensent mort, devient à ce jour le seul candidat et le favori en Algérie pour des élections au combien cruciales…

Comment, l’un des pays les plus jeunes du pourtour méditerranéen (27 ans de moyenne d’âge en 2014) peut-il encore laisser son destin à un octogénaire dont l’existence même est remplie de mystère ?

Ce malaise ne vient pas de nulle part…retour en « UBER » sur quarante années de démocratie si fragile dans ce pays qui vit naître saint-Augustin, l’Emir Abdelkader, Albert Camus…

« L’Homme d’Oujda », réputé pour son amour débordant des jolies femmes, est un homme de la guerre d’Indépendance. C’est en grande partie ce conflit qui a fait l’homme politique qu’il est et qu’il reste. Un habile stratège et un séducteur patenté armé d’ un cynisme aiguisé.

Né en 1937 à Oujda au Maroc d’une famille de Tlemcen, Abdelaziz est éduqué au nationalisme au sein des scouts musulmans, véritable vivier de futurs moudjahidines (« combattants » en arabe). En 1956, le jeune homme intègre « l’Armée des Frontières » basée au Maroc. Contrairement à Si Azzedine et d’autres, il ne connaît pas l’épreuve du feu mais va progressivement grimper les échelons de l’appareil clandestin à travers un clan destiné à jouer un rôle central à la fois durant la guerre mais surtout sous l’Algérie indépendante : le Clan d’Oujda. Centré autour de deux hommes, le colonel Boumédiene-futur président-et du colonel Boussouf, sorte de « Béria local », ce groupe fortement politisé et armé va progressivement mettre la main sur l’appareil du Front de Libération Nationale puis sur l’Algérie à partir de 1965. Bouteflika devient rapidement le secrétaire de Houari Boumédiene. Il supervise à la fin de la guerre les troupes basées au sud du pays, à la frontière malienne.

Proche de Houari Boumédiene, il est partie prenante du coup d’état contre Ben Bella le 19 juin 1965. Habile apparatchik, il devient sous Boumédiene un ministre des affaires étrangères particulièrement soucieux de faire de l’Algérie, le chantre du Tiers-monde. Il ouvre des négociations avec la France en faveur de l’émigration économique en signant l’accord du 27 décembre 1968 relatif à « la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et leurs famille ». Il voyage énormément et se fait un solide carnet d’adresse.

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Lorsque son mentor meurt, Bouteflika connaît un période plus trouble. Pourtant ministre d’État sous Chadli Bendjedid, il est accusé d’extorsion de fonds et doit s’exiler de 1981 à 1987 où il se lance dans des affaires fructueuses.

De retour au pays, il va, en bon spécialiste, comploter, ferrailler en interne et réussir à gravir pas à pas les sommets de l’appareil du F.LN. qui occupent avec la compagnie pétrolière SONATRACH et l’efficace Direction du Renseignement et de la Surveillance tout le pouvoir. Durant la guerre civile, (près de 100 000 morts et un million de déplacés en onze ans!), il s’oppose à la ligne dure portée par le président Zeroual et choisit une solution plus modérée et plus conciliante avec les islamistes.

Ancien du Clan d’Oujda mais aussi ministre de Boumédiene, il a pour lui la légitimité historique pour incarner en cette période de guerre civile à la fois l’unité de l’état tout assurant un discours de paix civile.

Après les élections « libres » de 1991, la campagne de 1999 est d’une importance cruciale pour le pays. Opposé au socialiste Ait-Ahmed-l’un des « Neufs chefs historiques du FLN », au libéral Mouloud Hamrouche et à l’islamiste Abdellah Djaballah, « l’Indépendant »Bouteflika gagne l’élection dés le 1er tour avec 73,5 % de votants. La réalité est moins lisse puisque les autres candidats se sont retirés du scrutin reprochant le manque de transparence et les fraudes lors du vote. Mais qu’importe, conforté par le Président Zéroual, seul garant de la stabilité des institutions, Bouteflika est élu Président de la République le 20 avril 1999 pour un mandat de 2 ans puis 5 .

Toutes les élections se suivent et sont identiques: des opposants inėxistants, un président surpuissant aidé par une armée et une entreprise d’état et des scores de « démocratie populaire » en sa faveur » : 85 % en 2004, 90,2 % en 2009 et 81 % en 2014.

La messe (à peu près …) est dite!

Mais Bouteflika reste l’homme de la réconciliation nationale. Il crée des aides financières pour les familles des victimes de l’islamisme, il libère les militaires emprisonnés après des exactions contre des membres du F.I.S. … malgré certaines critiques émanant d’associations des droits de l’homme, ces mesures sont appréciées par une population désireuse une bonne fois pour toute, de tourner la page.

Au niveau économique, la flambée des prix du pétrole permet au pouvoir d’enchaîner les grands chantiers : métro d’Alger, amélioration des voies de communication, construction d’une grande Mosquée… le grand problème reste que ces grands travaux sont sous-traités à des entreprises étrangères ne créant que très peu d’emplois auprès des jeunes. Les Chinois sont devenus depuis 2011 le premier partenaire économique du pays devant la France… mais la Chine vient avec ses ouvriers célibataires, sa logistique et ne se mélange que très peu avec la population locale. Une xénophobie commence sérieusement à éclore dans un pays ayant rompu tout contact avec l’altérité depuis l’exil des Pieds-Noirs… en 1962. (Paradoxe 1)

Cette période est également une ère de scandales financiers où une caste mêlant hommes d’état, militaires et nouveaux riches vont se partager un pactole alors qu’une grande partie des Algériens est confronté au chômage et à la pauvreté… les affaire Khalifa et SONATRACH eurent par exemple une raisonnance particulière dans l’opinion…

Culturellement, l’Algérie de Bouteflika est une Algérie souffrant de schizophrénie. Berbérophone ? Arabophone ? Francophone (la langue de l’ancien occupant) ? Socialiste ? Islamique ?… ou tout à la fois ?

Tiraillé depuis sa naissance, entre une frange « occidentaliste et francophile » et une tendance « national-islamiste » dont les têtes pensantes étaient formées à Kairouan ou au Caire, loin de la Sorbonne. Ce pays a plus de mal qu’il n’y paraît avec son identité culturelle. La guerre civile a forcé Bouteflika à donner des garanties aux conservateurs. Dans la ligne droite de la politique d’arabisation de « Bendjedid », Bouteflika a fait fermé en 2006 , 42 établissements francophones tout en mettant ses frères et enfants dans des établissements privés tenus par… des prêtres français.

Le Printemps noir des Kabyles en 2001 a également obligé le gouvernement à offrir des garanties linguistiques et culturelles à ces irréductibles montagnards à la fois « humiliés » culturellement mais pourtant si présents au sein des armées ou de la police. Paradoxe (2)

Au niveau diplomatique, l’Algérie de Bouteflika reste dans la ligne « tiers-mondiste » de Ben Bella et Boumédiene. Soutien déterminé des Palestiniens, l’Algérie a toujours ses frontières fermées à l’ouest avec son voisin marocain. Elle s’est également rapprochée des Américains notamment sur les questions de sécurité bien qu’historiquement très attaché à son armurier russe.

Avec la France, c’est une autre danse… l’ancienne puissance coloniale garde des intérêts économiques importants en Algérie même si la Chine l’a dépassé et que les Italiens arrivent à grands pas. Au niveau politique, les liens entre l’ancien lieutenant des Chasseurs d’Afrique Jacques Chirac et « Abdelkader El Mali » ont globalement été bons. Bouteflika a toujours eu un rapport conflictuel avec la France fait de mépris et d’admiration. Ancien moudjahidine, il a très souvent surjoué les contentieux historiques en période de crise tout en se faisant soigner aux hôpitaux de Grenoble et du Val-de-Grâce… Paradoxe (3)

Porté par sa politique au Proche-Orient (Palestine, refus de la guerre en Irak…), le Président français a jouit en Algérie d’une sympathie qui ne sait jamais affaibli… l’extrême inverse de son successeur Nicolas Sarkozy. Entre son atlantisme assumé, le projet de loi sur « le rôle positive de la colonisation » et ses discours sur l’identité national (quand près de 3 millions d’Algériens et de Franco-Algériens vivent en France) ont porté un coup terrible aux rapports entre les pays. L’arrivée de François Hollande (ancien stagiaire à l’ambassade d’Alger) que continue son ancien conseiller Emmanuel Macron a adoucit les rapports entre les deux pays entre reconnaissance de certains crimes coloniaux et opérations militaires au Mali… une situation qui s’explique par la fin dans les deux pays, de générations au pouvoir ayant combattu durant la guerre d’Algérie.

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Dans un monde « arabo-musulman » qui a connu les « printemps arabes », l’Algérie est une exception. Seule pays se revendiquant du socialisme, il est également le seul à avoir obtenu son indépendance après une guerre brutale et le premier a avoir subi l’islamisme avec les années noires. Ces deux périodes sont déterminantes si on veut comprendre l’âme de ce pays.

Mais le pays a changé. Il est jeune (27 ans de moyenne d’âge en 2014), connaît un des chômages les plus lourds d’Afrique (avec 17 % en 2014) et son pétrole n’est pas éternel. La majorité des forces vives du pays ne pensent qu’au fameux « VISA » pour la France ou pour l’Amérique du Nord et des manifestations ont commencé à éclater les cinq dernières années. Les procès contre des militaires tombent comme des flocons de neige  sur les sommets du Djurdjura.

Bouteflika, malgré les railleries et le caractère surnaturel de sa candidature, est toujours un symbole. Usé certes mais existant. Il est à la fois le dernier représentant des « Résistants de 1962 », avec ses travers et ses espoirs mais aussi l’homme de l’unité en 1999.

Pour finir, le fait qu’un homme de 81 ans reste au pouvoir montre également l’inertie de cette société qui n’a pas su réellement relever le tournant démocratique de la fin des années 1990. La corruption, les pleurs et le sang peuvent expliquer beaucoup de choses mais pas tout non plus…Si les années noires ont calmé la population de toute dérive islamiste, on ne voit pour le moment aucune alternative crédible…les jeunes ont paradoxalement déserté les engagements militants au profit d’autres préocupations que la gestion « politique » de leur pays… un mot comme « survie » semble être devenue la priorité mais sans« se remonter les manches » et prendre son destin collectif en main comment avoir un avenir viable avec un projet collectif ? Afin de résister : être libre, indépendant, fier (sans orgueil)…

Combien de temps cela va-t-il durer… c’est un autre tour de « UBER » pour Tobrouk » qu’il nous faudra…

A bientôt et paix à tous.

« La Gauche, les « Arabes » …

 

Soyons clairs: le mot « Arabe » est un fourre-tout ! Comme le mot « gauche » d’ailleurs ! Des termes utilisés à l’emporte pièce. Le bazar d’une vieille medina où chaque stand à sa propre sauce! Mais il fallait bien désigner en un seul mot toutes les populations du bassin méditerranéen que la France a colonisé. Parlant à l’origine les langues berbères, phéniciennes ou syriaques, toutes ces populations ont subi des métissages divers et variés dans ce croisement culturel permanent nommé Mare Nostrum.

En toute logique, nous ne parlerons pas des habitants de la péninsule arabique dans ce billet mais bien de ces populations arabisées par les conquêtes musulmanes à partir des VIIème et VIIIèmes siècles qui ont croisé la route de notre Hexagone dés le début du XIXème et ce quelques soit le régime (Second Empire, IIIème et IVème république, la parenthèse vichyste….) ou le statut (département, protectorat etc.) des deux acteurs.

Héritière des valeurs universelles de la Révolution française, des combats de l’Affaire Dreyfus voir du marxisme, la gauche a longtemps été vue comme un espoir d’émancipation pour les peuples colonisés et d’origine musulmane… en trompe-l’œil bien souvent. La gauche institutionnelle et de gouvernement. Celle des décideurs, non des experts. Ceux qui tranchent, prennent des décisions pour le grand bonheur ou le malheur des administrés. Dans la réalité, la vraie…pas celle des livres. Car il y en a d’autres de gauche: celle des artistes, des associations, des opposants perpétuels à tout pouvoir… Une partie des intellectuels « progressistes » pour reprendre ce terme, a bien œuvré avec détermination contre le colonialisme durant l’entre-deux-guerre sous l’influence du communisme. Le point d’orgue de cette lutte s’est bien entendu effectué lors de la guerre d’Algérie auprès de ces « dreyfusards » pour reprendre les termes de Pierre Vidal-Naquet (d’une gauche aux multiples reflets et variantes (qu’ils soient chrétiens, communistes, trotskistes ou gaullistes, à lire dans mon premier ouvrage « Trois historiens face à la guerre d’Algérie » préfacé par Benjamin Stora.). Dans les pas de Claude Bourdet, Jerôme Lindon, Frantz Fanon ou Francis Jeanson, nombre d’universitaires, de journaliste, de militants ont combattu, écrit, soutenu ou sont morts (comme le mathématicien communiste Audin) en faveur de l’indépendance de l’Algérie.

Mais la politique c’est autre chose. « Gouverner c’est choisir » clamait Pierre Mendès-France ou « subir  » (une pensée pour un ancien enseignant de Toulouse, Jean-Michel Eymeri-Douzans).

Beaucoup d’hommes de gauche ont tenté de garder un contact concret et sincère avec les pays du Maghreb et du monde arabe en général après la Seconde guerre mondiale. Certains ont fait des réformes, pris des risques, mis fin aux protectorats marocains et tunisiens avec PMF en 1956. D’autres Alain Savary, Michel Jobert, Jean-Pierre Chevènement ou Arnaud Montebourg ont fait ce qu’ils ont pu … à leur échelle. Mais la gauche de gouvernement (qu’il s’appelle S.F.I.O., P.S., P.R.G. voire P.C.F. de manière indirecte) a globalement déçu. Trahi disent certains. Peut-être trop idéalisé aussi. Toujours est-il que de part et d’autre de la Méditerranée, le message n’est pas toujours bien passé. De l’internationalisme théorique, on leur a reproché un chauvinisme étriqué. Une politique de droite quoi. Ou dans le souvenir fantasmé du gaullisme, de trop soutenir les Américains et Israéliens. Des critiques parfois injustes, parfois fondées pour une politique toujours contestée.

Dés le Front populaire, nombre d’Indigènes ayant servis dans les tranchées espéraient obtenir la citoyenneté française. Le Projet Blum-Violette (du nom du gouverneur d’Algérie) est présenté en décembre 1936. Il prévoyait de donner la citoyenneté française à 25 000 Musulmans… face aux manifestations des Européens d’Algérie et à l’opposition de la droite parlementaire, le projet tombe à l’eau (Clemenceau l’avait réussi mais il fut le seul)… premier fiasco. Pour le reste du Maghreb et du Levant… nous en reparlerons. Courant 1944-1945, le Conseil National de la Résistance (très fortement teinté à gauche) ne mentionne rien non plus sur ces territoires et leurs habitants alors que des milliers de tirailleurs marocains, pieds-noirs, algériens ou tunisiens affrontent les Allemands et le froid dans des Vosges ensanglantés par les combats. Alger, Oran sont affamés. Sétif et Guelma ne vont pas tarder. Deuxième fiasco.

Et puis arrivent les années Mollet en 1956. Le retour de la gauche au pouvoir.

En Egypte, l’ancien professeur d’anglais pacifiste voit en Nasser « un nouvel Hitler » et envoie les parachutistes récupérer un canal de Suez.  Sa grille de lecture issue des années 30 et son fort attachement à Israël font le reste. Suez est un fiasco…Nasser un « héros dans le monde arabe ». La France et son allié anglais la risée de l’Ancien monde.

Au Maroc et en Tunisie, on arrête comme rarement auparavant les opposants et on soutient les colons à l’heure où le globe se libère de la domination européenne… mais c’est rien à côté de l’Algérie! Guy Mollet et son entourage (Max Lejeune, Christian Pinault, Marcel Naegelen…) vont opérer la politique la plus dure et la plus répressive des événements comme on dit à l’époque… refusant d’écouter des hommes comme Ferhat Abbas ou Jacques Chevallier appelant au dialogue, les Socialistes au pouvoir font arrêter Ben Bella, couvrent la torture, truquent les élections notamment à Oran, multiplient les arrestations arbitraires et cerise sur le gâteau: envoient près d’un million de jeunes conscrits français dans le djebel… la fracture est définitive. Le Parti Communiste Français de son côté a effectué un virage à 180° en passant d’un Algéristan à la soviétique à l’Algérie algérienne mais il en a l’habitude! La S.F.I.O. de Jaurès ne s’en relèvera pas… et le lien avec les intellectuels et la Méditerranée, non plus…

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Le Président du Conseil, Guy Mollet, serre la main du Président de l’Assemblée algérienne Salah Abd el Kader le 08 février 1956, lors de sa visite à Alger. © AFP / INTERCONTINENTALE

Le prestige du général de Gaulle dans ces pays méditerranéens est dans les années 50-60 très fort, la gauche en reconstruction avec ses clubs, Mai 68 et tutti quanti… L’Orient paraît loin. Avec Giscard d’Estaing et son U.D.F. « très Algérie française » (Merci l’OAS d’Hubert Bassot et de Claude Dumont pour la campagne de 1974) on est encore plus loin du royaume arabe de Napoléon III. Bonapartiste contre Orléaniste même en Orient.

Mais les années Mitterrand n’ont rien à voir « Mollet ». Moins d’idéologie plus de cynisme. Mais est-ce mieux ? Lorsque l’ancien ministre de l’Intérieur de Mendès-France (qui collectionne le triste record du plus grands nombres d’Algériens guillotinés avant de devenir en France le Président de l’abolition de la peine de mort!)  arrive au pouvoir la gauche semble avoir changer…. Le P.S.U. des Porteurs de valises est actif mais peu  nombreux, la nouvelle génération des Sabras (sans Chatila) loin de 1962. La gauche est très fortement attachée à Israël (Mais n’est-elle pas née en partie avec l’Affaire Dreyfus et les luttes contre l’antisémitisme des années 30 ?). Tonton a pourtant reconnu en 1972 l’Organisation de Libération de la Palestine et Yasser Arafat. En Afrique, le fameux « pré-carré », Foccard et les années noirs du gaullisme ont été remplacé par Guy Penne, docteur et « maçon ». Pour nos anciennes le Maghreb-Mashrek, la realpolitik va primer. Le talent de Claude Cheysson au Quai d’Orsay (le conseiller diplomatique de Mendès-France en 1956) et le cynisme de Mitterrand se heurtent à la réalité du monde. François Mitterrand devient le Président français le plus interventionniste au Moyen-Orient. En 1982, les Français interviennent au Liban encerclé par Israël et récupèrent via le « maître-espion » Rondot le chrétien Aoun, chef des phalanges chrétiennes en douce… à la barbe, si je puis dire, des autre Levantins. Après l’attaque du Drakkar en 1983 par les services iraniens (où 58 parachutistes français sont morts), Jean-Pierre Filiu rappelle dans un article concernant « la Politique de Mitterrand au Moyen-Orient » cette interview donnée au journal « Libération » où le Président déclare clairement:« Je ne peux pas signer — je m’y refuserai — la disparition de la France de la surface du globe en dehors de son pré carré  ». Les choses sont claires. Passons sur le cynisme absolu concernant les régimes en Perse et en Mésopotamie en matière de commerces d’arme (la cause du « Drakkar »)… François Mitterrand engage les troupes françaises avec les Américains lors de la guerre du Golfe contre l’Irak. Cassure à gauche avec son ministre des Armées Jean-Pierre Chevénement, les communistes et les pays du Maghreb. Grosse crise avec le monde arabe, la France est incomprise.

Machiavélique, comme jamais, Mitterrand a également jouer le jeu très dangereux des islamistes. En 1979, il soutient l’ancien exilé d’île-de-France l’Ayatollah Khomeiny contre le Shah. Lors des années noires à Alger, il reçoit l’islamiste algérien Belhadj à l’Elysée par la porte de secours en pleine période de guerre civile en Algérie… Seuls les vieux « Gaullistes » comme Pasqua font les yeux doux à Bouteflika et sa bande. Décidément « Gaulliste-FLN » même combat ? Les démocrates algériens reprocheront longtemps au pouvoir socialiste un manque de soutien clair à leur égard. Enfin bref… « Tonton à Tobrouk » aura été un demi-succès dans les salles, relançant l’éternel débat, Mitterrand était-il de gauche et ceux même dans son rapport à l’Orient ?

Mais depuis, on continue dans le brouillard. On va d’incompréhension en incompréhension. De ces députés socialistes qui applaudirent les frappes sur Tripoli élaborées par ce couple si grotesque qu’ont été dans cette affaire Nicolas Sarkozy et Bernard Henri Lévy. Certes François Hollande, qui effectua son stage d’énarque à Alger, a relancé les relations avec Bouteflika. Mais des mauvaises langues pensent même que Jospin président la France en 2003 serait intervenu avec Bush en Irak… Politique fiction quand tu nous tiens…

Le tableau peut paraître noir (gris foncé) et personne ne sait ce que les opposants à ces différents gouvernements auraient fait à leur place. Bien sur, il y eut des divisions, des cassures, des ruptures… mais la gauche au pouvoir a très largement incompris ces régions, aux combien diverses mais pourtant si proches… que d’actes manqués, que d’incompréhensions, que de déçus des deux côtés de la mer Méditerranée.

 

Un contre-exemple mérite quand même d’être cité et connu: car au milieu d’un désert de mirage, il y a parfois le visage d’un espoir qui se dessine: Pierre Viénot.

Ce jeune lycéen, originaire de Picardie, s’engage volontairement  comme artilleur dans la Somme où il est blessé deux fois. Par des rencontres après la guerre, il intègre le Cabinet du Maréchal Lyautey, Régent tout-puissant du protectorat marocain. A côté du vieil homme qui le considère comme un fils, il va apprendre loin des livres, toute la diversité de ce royaume millénaire. Il apprends à composer avec les différentes tribus berbères, les Arabes et à maintenir l’influence de la France sans pour autant casser les traditions locales. Monarchiste invétéré, opposant au colonialisme jacobin des Galliéni (dont il fut un proche) ou de Sérail, Lyautey va s’avérer un diplomate particulièrement fin et le rénovateur absolu de l’état marocain, le fameux Makhzen. Une leçon pour Pierre Viénot. Après l’échec du Bureau Franco-Allemand, où plein d’idéalisme, il pensait assurer une paix pérenne entre les deux voisins, il devient député des Ardennes. Spécialiste des Affaires étrangères à l’Assemblée, ces avis sur l’Europe et l’avenir des colonies sont particulièrement écoutés dans la Chambre. Quand arrive « le Front Populaire », cet homme appartenant au micro-parti « Parti républicain-socialiste » est nommé sous-secrétaire aux Protectorats du Maghreb et aux Mandats du Proche-Orient. Des leçons de Lyautey, il a compris à se concerter avec les acteurs locaux, à ne pas les mépriser. Il prend un jeune germaniste comme directeur de cabinet Pierre Bertaux et le brillant orientaliste, membre de la SFIO, Charles-André Jullien. Il multiplie les voyages au Levant et parvient à négocier  à l’automne 1936, les traités accordant l’indépendance au Liban et à la Syrie. Ces traités ne sont pas ratifiés, en raison de l’hostilité du Sénat, mais ils servent de base pour l’indépendance effective de ces pays, à la fin de la Seconde guerre mondiale. Entre l’échec de « Blum-Violette », la non-intervention en Espagne en faveur des Républicains et le début des divisions à gauche sur l’Allemagne, l’action de Viénot est un miracle. Laic certe. Au Maghreb, sa politique vise à renforcer le droit des indigènes provoquant la fureur des colons. Son discours à la radio tunisienne du 1er mars 1937 visant à renforcer les droits des Tunisiens lui vaut d’être considéré par les plus influents colons comme « l’Antéchrist » Charles-André Jullien (« L’Afrique du Nord en marche »). De cette période va naître une amitié profonde et durable avec le leader du « Néo-Destour », un certain Habib Bourguiba…

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Monsieur « Monde Arabe » sous Léon Blum, il est également le seul dirigeant du Front Populaire fait « Compagnon de la Libération ».

Et puis il y a la chute du Front populaire, la guerre, l’aventure du Massilia, l’arrestation à Rabat puis le procès de Clermont-Ferrand avec Mendès-France et bien d’autres… son évasion, la création du mouvement « Libération-Nord »  dont il est un des leaders. Une seconde fois incarcéré, il s’évade et rejoint Londres où il va devenir jusqu’à sa mort l’Ambassadeur spécial de la France Libre auprès des Anglais. Il va s’efforcer -au prix de d’une santé fragilisée par les affres de la Grande guerre – à maintenir une France totalement indépendante à la Libération. Une France administrée par le Gouvernement provisoire de la République Française et non par les troupes anglo-américaines, le fameux plan AMGOT (Allied Military Government of Ocupied Territories). Il accompagne le Général de Gaulle à Bayeux durant l’été 1944. Mais succombe d’une crise cardiaque quelques semaines après le 20 juillet 1944.

Viénot et d’autres incarnent de manière plus minoritaire une gauche de gouvernement qui a su concilier le difficile compromis entre un patriotisme intransigeant et un universalisme sans compromission… un équilibre en réalité si périlleux mais tant souhaité, tombant si souvent dans l’eau de l’Al Cawthar ou Styx…selon les points de vue.

Fès vend son mellah !

 

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La Maison de Maimonide…une caverne d’Ali Baba chargée de mémoire…paradoxe locale. Photographie personnelle.

Si un jour, vous passez à Fès, capitale spirituelle du Royaume chérifien… oubliez la chaleur estivale étouffante de cette cité construite entre Rif et Moyen-Atlas…loin de la mer. Humez plutôt ce vent frais de cultures brassées en 1500 ans d’histoire.

Fondée par le grand Moulay Idriss 1er en 789, la cité a accompagné l’existence du Maroc ,de la dynastie des Mérinides jusqu’au Traité de Fès de 1912 qui instaura le protectorat français. Forteresse arabe au milieu de massifs berbères, c’est une autre communauté qui attire notre attention dans ce billet: la communauté juive de Fès.

Prenez Bab Guissa, une porte monumentale du XIIème siècle au nord-est. Longez la mosquée du même-nom et sa medersa (école coranique)datées toutes deux du XVème siècle. Traversez la plus grande médina du Maghreb. Entre les stands de fruits et légumes de la plaine fertile du Saiss, au milieu des robes-les plus belles du Maghreb vous dira-t-on, des teintureries où des hommes de tout âge travaillent de manière harassante jusqu’à point d’heure, entre deux « bouibouis » où des fassis refont le monde autour d’un thé à la menthe,..  bref dans ce souk (pour le reste achetez « le Guide du Routard »)… il y a la maison de Maimonide.

Maimonide (1138-1204), Moise de son doux nom, est très certainement le plus grand réformateur du judaisme au Moyen-âge. Originaire de Cordoue, il fuit avec ses parents l’intolérante dynastie des Almohades pour se réfugier comme beaucoup de ses compères vers le Maroc et plus particulièrement à Fès la spirituelle. C’est dans cette bicoque, typique d’un mellah (le quartier juif) que ce médecin, astrologue se fit le représentant de la pensée scolastique (ce courant philosophique qui prédomine entre le XIème et le XVème siècle et dont il fut, comme Averroès pour l’Islam ou Saint Thomas chez les chrétien, l’une des figures de cette « doctrine » mêlant Saintes écritures et philosophie aristotélicienne). « L’Aigle de synagogue », spécialiste éminent du Talmud, reste le plus bel exemple de la tradition judéo-andalouse. Ses travaux firent « débat » jusqu’à la fin du XIXème au sein de la communauté juive. Et c’est dans ce lieu justement qu’il écrivit ses ouvrages les plus importants.

Mais si aujourd’hui « la maison » symbolise l’histoire juive de Fès et du Maroc, c’est surtout car le salon principal regorge de pièces religieuses issue de la grande synagogue de Fès,  d’écoles juives locales, de particuliers…! Chandelier, mezouzah, banc avec noms des fidèles, Torah… Des pièces de plus de 500 ans d’histoires oubliés de tous. Avec le départ des Juifs de Fès, c’est l’ensemble des objets religieux qui sont restés sur place. Rien n’a été amenés… tout est figé dans le temps et dans le sol…faute d’acheteurs ! Car ni l’état d’Israel (où les « Marocains » et leur descendants restent la deuxième communauté avec 800 000 personnes après les « Russes »), ni les nombreuses associations juives de France, de Navarre et du monde ne se sont intéressées à ce trésor! Sans le dévouement d’un Sarcellois de 73 ans originaire de Fès, où serait ce patrimoine, qui dépasse l’histoire religieuse ou communautaire pour rentrer dans le patrimoine historique de l’humanité ? Comment qualifier un monde où passé, mémoire, transmission se sont évaporés dans les nimbes de l’instantané ?

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Torah à vendre…

Gardé par un vieux musulman, comme la majorité des sites juifs du pays, l’autre gardien-celui de la mémoire- tente par tous les moyens de trouver une issue. Une « une » du journal « le Monde » datée du vendredi 27 mai 2003 est placardé près de la porte d’entrée. Le désarroi a poussé cet homme à investir le célèbre Hôtel Drouot à Paris. On vendait par exemple « une imposante fontaine-et son bassin-ornée de zéligs, des carreaux de céramiques fassis, se caractérise par des inscriptions en hébreux (3500 et 5000 euros) » et livrable à domicile en plus!

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Article du monde daté du 27 mai 2003 relatant une vente aux enchère à l’Hôtel Drouot de pièces issues de la maison de Maimonide.

Pour comprendre, l’importance de ces « objets » peu communs, retour sur 2000 ans d’histoire juive au Maroc comme à Fès.

Descendants des « tobashims » (ces tribus berbères judaisée au temps de l’Afrique du nord romaine) ou des « megorashims » (exilés de force d’Espagne ou du Portugal après la Reconquista), les Juifs ont avec le Maroc une histoire ardente, pleine de passions. La majorité  était artisan, boutiquiers voire paysan pour ceux de l’Atlas. Ils occupaient des métiers dévalorisés par l’islam: savetier, forgeron etc…  ces dhimmis-sujets de seconde zone- eurent également au sein des grandes dynasties- mérinides, almohades, almoravides leurs représentants, leurs élites: riches commerçants, influents lettrés voire médecins à la Cour des différents califes ou sultans…

En réalité de haut en bas, les musulmans ne peuvent se passer de leur juif. Comme l’explique très l’historien Denis Rivet « Les juifs ne sont ni dans la société maghrébine, ni en dehors, mais un entre deux: ni peuple hôte dans la cité, ni peuple paria victime de la dhimmitude (dhimmi: le terme coranique pour désigner le « protégé » ). Avec les musulmans, ils vivent dans un état de voisinage et d’exclusion, de complémentarité et de concurrence, de proximité et de différenciation. »

 

C’est avec le protectorat français que les choses vont s’accélérer. L’arrivée d’une nouvelle économie »industrieuse » détruit les petits métiers et met beaucoup de juifs dans la misère. La crise de 1929 amplifie le phénomène. Mais à l’instar de leur coreligionaire de France ou d’Algérie, les valeurs républicaines deviennent leur horizon. Bénéficiant des écoles françaises ouvertes à Fès ou Casablanca (où des structures intracommunautaires de l’Alliance israelite universelle), bon nombre de Juifs vont profiter de cette ouverture pour faire de brillantes études et s’élever socialement dans « leur » royaume ou parfois à l’étranger et notamment en France. Le sionisme apparut dans les années 20 sur place ne les intéresse peu… Mohammed V les protège durant la Seconde guerre mondiale, selon la tradition… mais très vite les événements du Proche-orient vont avoir un impact sur le sort des Juifs du Maroc. Des pogroms, il y en a eu, et notamment avant le protectorat. A Casablanca et à Fès, justement, le mellah s’est enflammé à de nombreuses reprises n’en déplaisent à certains… En 1033, déjà les zénètes avaient massacré des Juifs dans la ville. Plus proche de nous, pendant deux jours, du 17 au 19 avril, les 12 000 habitants de la mellah fuient, poursuivis par les habitants car suspectés d’être trop proches des autorités coloniales un mois après la signature du Traité…46 Juifs meurent. La mellah est enflammée et nombre d’ouvrages sont détruites…

Après 1948, et la naissance de l’Etat juif, les tensions réapparaissent. Et les mauvais souvenirs reviennent. Pourtant nombre de Juifs jouent un rôle de premier ordre dans la lutte indépendantistes. Au sein du principal parti, l’Istiqal (« Indépendance » créé en 1943) le leader, le professeur de mathématique Medhi Ben Barka côtoie des militants juifs désireux eux-aussi de défendre leur « patrie ». Mais c’est au sein du Parti communiste marocain que leur présence se fait le plus remarquée avec notamment deux Fassis Simon Lévy et Albert Fasson qui en furent les dirigeants. Mais après la mort de Mohammed V, les choses changent. Si nombre de juifs incorporent les administrations du Makhzen, les manifestations antijuives s’accélèrent et c’est une histoire de près de deux millénaires qui s’achèvent progressivement. On estime qu’entre 1950 et 1960, 250 000 marocains auraient fuit vers Israël. Les autres vers la France et Sarcelles, Villeurbanne, Marseille…de plus en plus de jeunes-les derniers-vont faire leur études à Paris, New-York, Montréal ou Tel-Aviv…très loin de la maison de Maimonide !

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Simon Lévy (1934-2011, immense figure la gauche marocaine…dans une synagogue fassie. DR.

A Fès, ils étaient 16 000 en 1950 et ne sont plus qu’une centaine de retraités aujourd’hui…eux représentaient sous le protectorat 10% de la ville.

Sauver les meubles (dans les deux sens du terme) chargés d’histoire, de mémoire c’est sauvegarder toute la beauté et la diversité d’une terre qui chaque jour périclite (l’auteur de ce billet n’étant ni Juif, ni marocain doit-je préciser) … d’une civilisation qui attend avec impatience une lueur d’espoir et un peu d’humanité… dans ce monde de brute.

 

 

 

Rififi dans le Rif

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Entrer une Des manifestants dénoncent les peines prononcées à l’encontre des militants du Hirak, le 27 juin 2018, à Rabat. PHOTO / YOUSSEF BOUDLAL / REUTERS.

Rififi (Masculin): mot d’argot créé par Augustin Le Breton signifiant « rixe, bagarre » immortalisé en 1957 dans la série des « Rififi » qui donna par la suite l’excellent « Rififi à Paname » en 1966 et l’éternel Jean Gabin…

Le terme lui-même vient du vocabulaire militaire le « rif »  autrement dit « zone de combat, front » … énième mot issu des campagnes coloniales… du nom de cette chaîne de montagne du nord-marocain, éternel lieu de résistance à toutes les invasions.

Depuis deux ans, cet arc montagneux de 360 kilomètres de long, entre Tanger et Al-Hoceima dans le nord du Maroc, est en effervescence. Des manifestations ont été lourdement réprimées entre 2016 et 2017 par l’Etat marocain, dans une des régions les plus pauvres et les plus « remuantes » du pays.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Immersion

Le 28 octobre 2016 dans la principale ville du Rif, la ville touristique d’Al-Hoceima, un jeune vendeur de poisson Mohcine Fikri meurt dans des conditions effroyables: broyé dans une benne à ordure en tentant de sauver sa marchandise, certes pêchée illégalement, des mains de la police. Dans cette région où le chômage frôle les 20% dans certaines contrées – quand la moyenne nationale est à 9%- des manifestations explosent: c’est l’Hirak (« la Mouvance » en berbère).

Pendant un an, des milliers de manifestants vont arpenter les rues de la ville- des jeunes en majorité mais pas seulement- réclamant du travail et plus d’égalité dans les investissements sur la région: « Ou va notre argent ? » scandent-ils.

Au centre de ces foules un homme émerge et va devenir le symbole de cette contestation: Nasser Zefzafi. Agé de 40 ans, diplômé en sciences sociales, cet orateur charismatique, posé originaire d’Izefzafen est à l’image de cette région montagneuse et marginalisé: rebelle et fier.

Moroccan activist and the leader of the protest movement Nasser Zefzafi gives a speech during a demonstration in the northern town of Al-Hoceima
YOUSSEF BOUDLAL / REUTERS

Fidèle aux tribus berbères fuyant dans les montagnes de l’Atlas et du Rif l’avancée des cavaliers Arabes-auxquels se réclame la dynastie chérifienne- le Rif a posé constamment problème à tout pouvoir centralisé.

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Abdelkrim en une du journal américain « The Times »            en 1925.

Dés 1922, le Rif se fait une renommée internationale. comme symbole de la résistance à la colonisation, chez tous les opposants européens comme chez les colonisés. Protectorat français et colonie espagnol depuis le traité de Fès en 1912, (à lire dans mon ouvrage « Amado Granell libérateur de Paris » sorti en 2016 chez l’Harmattan), la région s’enflamme en 1921.

Le 21 juillet de cette même année, 3000 hommes d’Abdelkrim El Khattabi encerclent la base avancée d’Anoual tenue pas les Espagnols du général Silvestre. C’est le désastre d’Anoual. Entre 15 000 et 20000 Espagnols sont massacrés et mutilés. Les photos choquent l’opinion publique européenne. Une des plus terribles défaites subies par une armée coloniale à l’instar d’Anoua ou de Dien-Bien-Phu.

L’ancien chancelier de l’enclave espagnol de Melilla, appelé à devenir un exemple pour Ernesto Guevara, Mao Tsé-Tong ou encore Ho-Chi Minh- fonde après cette victoire la République du Rif le 1er février 1922 avec pour capitale Ajdir. Parlement, monnaie et tutti quanti…

Français et Espagnols, pourtant rivaux dans la région, décident de s’allier contre une armée endurante et aguerrie au relief escarpé dans la région. 400 000 hommes sont confiés au « vainqueur de Verdun » le général Philippe Pétain. Dans une guerre d’une grande brutalité- où les Espagnols contrairement aux conventions internationales n’hésitent pas à utiliser du gaz moutarde sur des populations civiles- le chef rebelle est arrêté par les Français et exilé à la Réunion avant de devenir en 1947 le porte-parole d’un éphémère « Comité du Maghreb Libre » au Caire où il meurt en 1963. Beaucoup de ces hommes aidèrent les insurgés franquistes face à la République espagnole en 1936…mais c’est une autre histoire.

Cette colère endémique ancrée dans ces vallées calcaires ne s’arrête pas là… Dés le début de l’indépendance du Maroc en 1956, le Rif se révolte. De 1958 à 1959, des manifestations éclatent sur tout le territoire rifain. Les manifestants dénoncent ce qu’elle perçoit comme une exclusion des nouvelles institutions  et -déjà- le manque d’investissement de Rabat pour développer économiquement la région. Réponse du prince héritier Hassan II: l’armée royale est envoyée et réprime dans le sang cette révolte faisant 3000 morts.

Afin de vider la région de ces irréductibles autochtones une solution s’impose: l’émigration. Dans les années 60-70, des accords sont passés entre le Maroc, la Belgique et les Pays-Bas. Résultat: des milliers de Rifains partent s’exiler vers Bruxelles, Charleroi ou Amsterdam pour travailler dans les usines, le bâtiment ou dans les mines wallonnes. La majorité s’implantent et envoient de l’argent au pays permettant d’estomper la pauvreté structurelle de la région. Si nombre des descendants de ces travailleurs s’intègrent et réussissent parfois dans le sport ou en politique, certains sombrent dans la délinquance voire le terrorisme comme Salah Abdeslam l’un des assassins du Bataclan… de parents rifains.

Le 26 janvier 1984, la situation explose de nouveau. Hier, bergers ou agriculteurs, les nouveaux insurgés sont désormais des étudiants éduqués et cultivés. Ils dénoncent la hausse des prix de scolarité. L’augmentation des denrées alimentaires fait grossir les troupes et des milliers de personnes battent le pavé dans la ville de Nador (ville d’origine de l’ancienne ministre Najat Vallaud-Belkacem). La réponse de Rabat ne se fait pas attendre et, encore une fois, une féroce répression s’abat sur la région. Dans un discours, Hassan II traite les insurgés d’ « Awbach » (sauvages) et exclut le Rif des projets de développement au Maroc… marginalisant davantage une région déjà si…marginale.

Le milieu des années 90 offre une légère accalmie. L’argent des « émigrés », la création en 1996 d’une « Agence pour la promotion et le Développement du Nord » sans compter les champs de haschich, permettent à la région de sortir le bec de l’eau. Ajouté à cela une prise en compte de la culture amazight  et de l’histoire de la région semblent démontrer qu’une nouvelle voie est prise pour un pays enfin uni. Hier interdit au profit de l’arabe, le berbère est désormais enseigné à l’école.

Mais le séisme de 2004 et de nouvelles émeutes en 2011 et 2012 fragilisent de nouveau la région… alors lorsqu’éclatent les manifestations en 2017 le Makhzen envoie les forces armées.

Résultat: des milliers d’arrestations souvent arbitraires comme punition collective.

La majorité est jugée à Casablanca.

Le 26 mai 2017, Nasser Zefzafi est arrêté. Motif: il a arrêté le prêche d’un imam favorable au gouvernement. Des manifestations reprennent de plus belle. Une vidéo le montre à moitié-nu dans une cellule, remplis d’ecchymoses. La ville d’Al-Hoceima et les communes environnantes sont étroitement surveillées. Les policiers en civil sont partout.

Farouchement attaché à sa berbérité (culture marginalisée pendant des décennies par Rabat), les Rifains n’ont pour autant jamais demandé leur autonomie et encore moins une quelconque sécession. Les quelques drapeaux de la République du Rif évoque essentiellement avec fierté leur passé. Car leur vision est bien différente de leurs cousins Kabyles qui sous l’égide du si brillant Hocine Ait-Ahmed (fondateur du Front des Forces Socialistes en 1963) ou de Krim Belkhacem- deux dirigeants historiques du Front de Libération Nationale- ont toujours lutté dés l’indépendance contre la centralisation algéroise de Ben Bella puis de Boumédiene. Ait-Ahmed fut d’ailleurs poussé en exil sur les bords du Lac Léman en Suisse. Le second, Belkacem exécuté  par les services algériens tenus d’une main de fer par le « Béria local », Boussouf.

A l’ouest rien de tout cela. Juste un mélange subtil de marocanité et de défiance viscéral envers Rabat.

Quid aujourd’hui ?

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Emmanuel Macron à Rabat au côté du roi du Maroc. Le roi Mohammed VI ne s’adresse jamais à la presse.© FADEL SENNA / AFP

Malgré une réponse virulente de Mohammed VI, le souverain chérifien apparaît plus ouvert que son père aux aspirations du territoire. L’économie marocaine en plein décollage -avec le port de TangerMed II appelé à devenir le premier port de la Méditerranée occidentale- le Roi a renvoyé trois ministres responsables désignés de la situation à Al-Hoceima et dans les alentours. Un plan « Al-Hoceima phare de la Méditerranée 2015-2019 » a été mise en place avec près de 600 millions d’euros d’investissements prévus.

Mais la situation est loin d’être aussi simple.

D’après Amnesty International, les arrestations arbitraires et des actes de tortures ont été enregistrés sur les quelques 400 militants arrêtés en octobre 2016. Hormis une centaine de libérations sur ordre du Roi pour calmer les âmes, la situation reste complexe pour la majorité d’entre eux. Le 26 juin, la chambre criminelle de la Cours d’Appel de Casablanca a jugé 53 militants dont Nasser Zafzafi. Ce dernier a pris 20 ans de prison. Depuis le 30 août, il a entamé une grève de la faim mettant toute la région en émoi et une grande partie du Maroc… mais jusqu’à quand ?

Un vieux proverbe berbère dit qu »une saison ne respecte pas l’autre »… faut-il croire que la saison des pluies ne s’est jamais réellement arrêtée dans les vallées du Rif…en attendant un rayon de soleil.

Eric: « Ta Gaule » !

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On pourrait penser à un remake fantaisiste du « Prénom » le film d’Alexandre de La Patellière et de Matthieu Delaporte sorti en 2012 avec Patrick Bruel et Valérie Benguigui.

Mais on est plus près d’un dîner de cons basé sur un nouveau débat stérile qui demande pourtant quelques éclaircissements.

Eric Zemmour- protagoniste de l’affaire- continue de se surpasser dans l’art de la polémique gratuite faussement irrévérencieuse et provocatrice.

Devenu l’icone d’une nouvelle « pensée unique » ultra-droitière et démagogue, le journaliste du « Figaro », devenu chroniqueur TV puis essayiste à succès (près de 300 000 ventes pour son « Suicide français » sorti en 2014) a encore fait parler de lui. Et une nouvelle fois sur le plateau de Thierry Ardisson.

Habitué aux salles de tribunal pour certaines de ses diatribes (il fut condamné à 2000 euros d’amendes en 2011 pour provocation à la haine raciale après ses propos chez Thierry Ardisson : « Les Français issus de l’immigration sont plus contrôlés que les autres parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes… C’est un fait. »),le polémiste s’en est pris une nouvelle fois aux descendants d’immigrés africains, dans un échange houleux l’opposant à la chroniqueuse Hapsatou Sy dans l’émission, « Les Terriens du dimanche ».

« C’est votre prénom qui est une insulte à la France » avant d’ajouter : « La France n’est pas une terre vierge, c’est une terre avec une histoire, avec un passé. Et les prénoms incarnent l’histoire de la France«  L’attaque fut brève et a suffisamment choqué la jeune femme d’origine sénégalaise pour qu’elle poste la vidéo sur son compte Instagram.

Or, la question de l’intégration par le prénom n’est pas nouveau… notamment chez Zemmour.

Cet argument est devenu un disque rayé lancé en 2010 dans son « Mélancholie française » où il soulignait déjà la problématique de prénoms dits « étrangers » à la culture judéo-chrétienne pour justifier les problèmes d’intégration des enfants originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne depuis une trentaine d’années. Avec toujours ce prisme ethnoculturel.

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Le champion olympique de marathon en 1956 Ali Mimoun devenu Alain après sa conversion au catholicisme.

Or si on excepte l’immense Ali Mimoun devenu Alain en rencontrant Sainte Thérèse de Lisieux comme il avait rencontré le général de Gaulle à Monte Cassino, l’immense majorité des enfants d’immigrés originaire du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne portent des noms d’origine musulmane c’est un fait. Mais beaucoup de ses prénoms appartiennent aux trois religions monothéistes et sont donc compatible à la vision zemmouresque de l’intégration : Issa (Jésus), Maryam (Marie), Jonas (Joseph), Moussa (Moise)…

Mais les prénoms n’ont jamais été un des piliers de l’identité française et républicaine, n’en déplaisent à ses supporters partisans d’une assimilation étriquée et totalement fantasmée dans une France encore marquée par les attaques terroristes islamistes.

Eric Zemmour falsifie une nouvelle fois l’histoire pour défendre ses propos. Sur un plateau de télévision, il évoque une loi de Napoléon 1er exigeant un prénom « français » à chaque nouveau-né.

La fameuse loi qu’évoque  Zemmour existe bel et bien. C’est la loi n°2614 du 11 Germinal an XI, ou plus simplement du 1er avril 1803, « relative aux prénoms et aux changements de noms ». Elle a effectivement été abolie en 1993 mais voici ce que disait son titre premier, article 1 :

« A compter de la publication de la présente loi, les noms en usage dans les différents calendriers, et ceux des personnages connus de l’histoire ancienne, pourront seuls être reçus, comme prénoms sur les registres de l’état civil destinés à constater la naissance des enfants ; et il est interdit aux officiels publics d’en admettre aucun autre dans leurs actes ».

Les seuls qui subirent un durcissement de la Loi contrairement au travail accompli par la Révolution française pour les sortir du « ghetto » pour les incorporer dans la « Grande Nation civique »… furent les Juifs ! En effet, les dignitaires Juifs demandèrent à Napoléon de revenir au Code civil… en vain

Napoléon ignore cette demande ; le 17 mars 1808, une loi vient durcir considérablement le statut des Juifs,  dont la vie privée ou professionnelle devient soumise à une série d’autorisations. Le 20 juillet, deuxième lame : un décret impérial prévoit que dans les trois mois, tous les Juifs de France sont tenus de changer de prénom et de nom de famille. L’article 3 est limpide : « ne seront point admis comme nom de famille aucun nom tiré de l’Ancien Testament (…) Pourront être pris comme prénoms ceux autorisés par la loi du 11 Germinal an XI » – celle qu’évoquait donc Éric Zemmour comme un modèle à suivre.

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Alger, Notre-Dame d’Afrique. Une fête de famille vers 1900 à l’Ermitage, propriété d’Isaac Oualid. Archive familiale de Liliane Temime-Girard
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Le député Galandou Diouf serrant la main à un sergent des Tirailleurs sénégalais en 1930.

Car ironie de l’histoire, Eric Zemmour, au discours fleurant bon le « nos ancêtres les gaulois » si chers aux Hussards de la République dans une France en pleine renaissance, ne descend pas d’Armorique ou de Lugdunum. Ses parents, venus à l’indépendance de l’Algérie en 1962 comme 80 % des Juifs d’Algérie, descendent directement des tribus berbères judéisés d’Algérie (Zemmour étant le nom de plusieurs villages de la région de Soukh Arass, à l’est du pays). Loin de Vercingétorix ou de Clovis, les ancêtres d’Eric ont bénéficié des accords Crémieux en 1870 donnant aux 35 000 Juifs d’Algérie, les mêmes droits et devoirs que les citoyens de métropole (les Musulmans ayant refusé la citoyenneté pour ne pas abandonner la loi coranique). Mais à l’époque point question de prénom…

Pas plus qu’au Sénégal-pays du père de « la si peu Française » Hapsatou où les « Quatre communes (Saint-Louis, Gorée, Rufisque et Dakar) obtinrent le 29 septembre 1916 le droit de posséder des représentants. Des députés aux prénoms si celtiques que Blaise Diagne (jusque là ça peut aller) mais surtout Galandou Diouf ou encore Lamine Gueye ont siégé à la Chambre pendant que leurs fils combattaient dans les tranchées… pour la « Mère-patrie ».

Dans une période de doute, de perte de confiance en soi, on pourrait espérer mieux de la part d’un sois-disant intellectuel qu’une sortie aussi ridicule et nuisible au bien-vivre ensemble et à la beauté d’une nation en perpétuelle questionnement.

Après tout personne n’avait demandé le prénom des quelques 190 Tirailleurs sénégalais lâchement massacrés en 1940 par les Allemands à Chasselay… au nom d’une certaine idée de la France loin de celle de Marcel (Déat), de Jacques (Doriot) et de tant d’autres « Gaulois »…

Benalla « une Barbouze » ?

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Le président de la République Emmanuel Macron et Alexandre Benalla chargé de mission le 12 avril 2018 à Berd’huis. Photo CHARLY TRIBALLEAU. AFP

L’actualité est décidément un écho permanent à l’histoire.

Un va-et-vient incessant entre les périodes les moins glorieuses de notre vie publique depuis la Libération.
L’affaire Alexandre Benalla a donc fait ressurgir un vocabulaire d’un autre siècle que l’on pensait révolu . Par naïveté ? Par romantisme ? L’opposition parlementaire, de droite comme de gauche, s’est donnée à coeur joie pour qualifier cette situation digne des Pieds Nickelés dans laquelle s’est fourvoyé le pouvoir macroniste : « Barbouze ».

Le mot arrive tranchant comme une lame, terrible semble la sentence … mais c’est quoi une barbouze au juste ?
Retour vers ce fait divers digne d’une Vème République :
Un membre du Cabinet d’Emmanuel Macron est filmé avec un casque et un brassard de la « police » en train de cogner sur des manifestants un 1er Mai. Le jeune homme, âgé de 26 ans, du nom d’Alexandre Benalla, a commencé ses gammes au sein du service d’ordre du Parti Socialiste puis est devenu attaché à la sécurité du candidat Macron lors des élections présidentielles de 2017. Promotion très rapide puisqu’ il intègre le cabinet présidentiel avant cette bévue monumentale.
Le résultat : le premier gros couac de la planète Macron et un énième scandale pour une République encore une fois fragilisée par un népotisme si loin des promesses de campagne…
En Marche … Arrière .
L’embellie de la bande à Deschamps aura été bien plus courte que celle de France 98 mais a qui la faute après tout ?
Au « gros bras » et à son commanditaire…Emmanuel Macron.

Un petit récapitulatif s’impose.

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Un film de Georges Lautner sorti en 1964.

Ce terme a été popularisé par l’excellent Georges Lautner en 1964 dans une parodie burlesque des films d’espionnage. Le mot est pourtant né dix ans auparavant dans le cerveau d’un certain …Dominique Ponchardier, écrivain de polar à succès. Or ce gaulliste de choc, Compagnon de la Libération, a eu parallèlement à sa vie littéraire un après-guerre plutôt musclé… au sein de ses fameuses Barbouzes (encore et encore) mais les vraies cette fois-ci, les dures. Ces hommes venus d’environnements assez différents, furent regroupés, nous allons le voir, afin de lutter en pleine guerre d’Algérie contre les partisans de l’Algérie française et en particulier les « plus excités » : l’Organisation Armée Secrète.
Le tout avec des méthodes prohibées pour les services de l’état, dans un état de droit qui plus est. Des actions semi-clandestines, en « fausse barbe »… des pratiques musclées en période de quasi guerre civile loin de cette vulgaire estocade de voyou comme l’illustre cette scène inondant nos téléviseurs et notre presse depuis quelques jours.

Vie et mort de Lucien Bitterlin
Cette parenthèse politico-linguistique nous permet dans ce premier billet d’ « Un UBER pour Tobrouk » de revenir également sur une mort passée quasiment inaperçue l’année dernière mais symbolisant elle par contre le côté sombre de la période algérienne mais aussi toute la profondeur des relations franco-arabes depuis 50 ans : celle de Lucien Bitterlin, le créateur des vrais Barbouzes pour le coup… en chair et en os.
C’était il y a plus d’un an, un 11 février 2017… son décès ne fit aucun bruit.

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Lucien Bitterlin et un numéro de « France-Pays Arabes »

Né le 15 juillet 1932, le jeune Titi parisien commence sa carrière comme journaliste à l’Agence France-Presse puis comme producteur de radio. Trop jeune pour la Résistance, il milite néanmoins dés les années 50 au sein des organisations de jeunesses gaullistes à Paris. C’est dans ce cadre qu’il va connaître son premier engagement « physique » et politique avec le monde « arabe » : l’aventure des « Barbouzes » (encore et encore…).

Récemment arrivé au pouvoir, le pouvoir gaulliste, crée le 9 juillet 1959, en pleine guerre d’Algérie le « Mouvement pour la Coopération ». Recrutant chez les Jeunes gaullistes, cette structure est chargée d’assurer les liens entre la France et ses anciennes colonies africaines amenées à devenir indépendantes.
Sur Paris, le mouvement est dirigé par Jacques Dauer et tient un rôle plus « politique » loin, très loin de l’incandescence algéroise…
De son côté, Lucien Bitterlin devient le secrétaire général du Mouvement qui s’installe dans la préfecture algérienne : Alger.

Cette structure est chargée en toute logique de soutenir la politique algérienne du Général dans une période trouble où partisans de l’Indépendance et du maintien de l’Algérie française s’affrontent politiquement et…physiquement.

Epaulé par des « Gaullistes de la première heure » comme Pierre Lemarchand, André Goulay ou le commissaire Michel Hacq (tous passés par les rangs de la France Libre ou de la Résistance Intérieure), le mouvement va rapidement être chargé de lutter physiquement contre les partisans de l’Algérie Française regroupés après la tentative de putsch d’avril 1961 au sein de l’Organisation armée secrète.
La structure dirigée par Jean-Jacques Susini recrute de plus en plus chez les Européens d’Algérie comme chez les militaires en rupture de banc déterminés à combattre la politique « libérale» et la « trahison » du général de Gaulle.

Bitterlin recrute en toute logique chez les anciens Résistants (autour des Frères Le Tac), dans les cercles d’arts-martiaux (le célèbre dojo parisien de Jim Alcheik ) jusqu’à la pègre et Jo Attia. Ces hommes mènent une lutte sans merci contre les commandos Delta dans les rues algéroises puis sur l’ensemble du territoire.  Colis piégés, embuscades… tous les coups sont permis dans la Ville Blanche.

Composés de près de 200 hommes, les militants usent de méthodes « musclées » et controversées comme lors de l’affaire Camille Petitjean (un militant de l’OAS et ancien résistant séquestré et torturé par des « Barbouzards »).
L’organisation, de par les actio,s de certains de ses membres, finit par se couper en deux et par perdre de son influence. Jacques Dauer critique amèrement les méthodes employées. La structure périclite.
Bitterlin retracera cette expérience dans « Histoire des Barbouzes ».
Spécialiste reconnu du Proche-orient, le journaliste s’engage dés la fin de ce qui apparaît encore comme les « événements d’Algerie » dans la diplomatie parallèle à destination du monde arabe.

Pendant plus de quarante ans, Bitterlin va oeuvrer à maintenir des liens constants en multipliant les réseaux d’amitiés tout autour de la Méditerranée. Proche toujours plus proche des dictatures laiques du Proche-Orient.
En 1963, il participe avec Germaine Tillion, Edmond Michelet à la création de l’association « France-Algérie », une association désirée par le général de Gaulle pour garder des « contacts » avec le nouveau pouvoir.

Quelques années plus tard, Bitterlin décide de créer avec d’autres militants « historiques de la cause arabe » comme Claude Bourdet (Compagnon de la Libération , ce catholique de gauche a été un ardent militant de la cause algérienne) une association « France-Palestine » chargée de créer de liens avec les autorités palestiniennes en exil. Fin connaisseur de la Syrie et du Liban, il va nouer des liens très forts avec le dirigeant baasiste Hafez el-Assad comme avec les différents leaders libanais et palestiniens. Disposant d’un large carnet d’adresses, il devient un intermédiaire central entre l’État français et les pays du Proche-Orient notamment lors de la libération d’otages. Ainsi Bitterlin, en sa qualité de Président de l’Association de solidarité franco-arabe, négocie directement avec le mouvement terroriste palestinien « Fatah-CR » pour la libération de deux jeunes filles, les Valente, qui sont libérés à la fin du mois de décembre 1988. Proche des services secrets français, il est constamment sollicité en période de crise par la majorité des gouvernements de la Vème République, droite et gauche confondues.

En toute logique, Lucien Bitterlin devient de 1968 à 2008 le Président de l’Association de solidarité Franco-Arabe (créée en 1967) et le rédacteur en chef du mensuel « France-Arabe ». Il est également pendant deux ans l’administrateur de l’Institut du Monde Arabe entre 1984 à 1986.
Féru d’histoire, ce passionné de géopolitique va rédiger neuf ouvrages dont plusieurs sur la Syrie comme « Hafez El-Assad, le parcours d’un combattant » ou encore «Alexandrette, le Munich de l’Orient ou quand la France capitulait ». Avec toujours une vision bien particulière…assez loin des printemps arabes mais à des années-lumières de l’islamisme radical. Avec un toujours un brin de nostalgie.

« Cheveux noir, visage en lame de couteau, louchant très légèrement et fine moustache à la Clark Gable » pour reprendre le portrait de George Fleury (Algérie française à l’époque), Bitterlin aura perpétué une tradition française portée par les universitaires (Louis Massagnon, Jacques Berque) ou les militaires (Vincent Monteil, Pierre Rondot) en faveur d’un certaine idée de la France et de la cause arabe.
A travers ces groupes d’amitiés, ces écrits ou ces activités parallèles, l’ancien producteur gaulliste aura tenté de maintenir des liens très forts entre la France et les pays du Maghreb et du Proche-Orient, particulièrement dans les moments de crise comme ce fut le cas lors du conflit libanais ou de la première guerre du Golfe.

Une mort anonyme pour un activiste des plus endurants, malgré des méthodes souvent douteuses, né dans un pays si… amnésique par moment.
Si les trois B (Bitterlin, Barbouze, Benalla…) démontrent les failles d’un système aussi complexe que celui de la Vème République, la comparaison malgré le romantisme estudiantin de certains, s’arrête là. Ces anathèmes à l’emporte pièce ne permettent pas de comprendre et d’analyser la situation telle que nous la connaissons aujourd’hui aussi ridicule et symptomatique soit-elle.

Mais pour combien de temps ?

A bientôt chers amis…