La
vidéo a fait le tour de youtube. On voit un gendarme marocain au
physique de lutteur mettre une gilfe d’Obélix a un sujet du Roi
n’ayant pas respecté le couvre-feu en cette période de
confinement obligatoire causé par le fameux Coronavirus. Un hommage
à Uderzo.
Contrairement aux propos surréalistes du gouvernement français en janvier, qui rappelle le nuage de Tchernobyl, un virus, cela passe les frontières. Même la mer. La peste noire était arrivée par le port de Marseille, le virus du pangolin par les aéroports. Question d’époque. Et les pays du Maghreb n’échappent pas à ce drame mondial. Ils font donc avec les moyens du bord, faute de moyens techniques et d’ un véritable exode médical. Selon l’Ordre des médecins, près de 20 000 médecins maghrébins travaillent en France soit un tiers des médecins étrangers : 25 % sont nés en Algérie, 11 % au Maroc et 7 % en Tunisie.
Au
royaume chérifien, on a pris les choses très au sérieux.
Rapidement. Et on ne rigole pas avec les ordres du Roi. Le territoire
est extrêmement inégalitaire en terme de services hospitaliers,
particulièrement dans les zones rurales et montagneuses, tout comme
le nombre de médecins. Très peu de lits de réanimations, peu de
kits pour les test etc. On s’en remet donc à la discipline et à
la solidarité nationale.
Le confinement obligatoire est respectée. La population fait jusqu’à présent preuve de civisme. Les lieux publics sont interdits et une loi a été votée au parlement pour pénaliser ceux qui ne le respecteraient pas. Les seuls qui comme d’habitude se firent remarquer sont des groupes d’islamistes qui ont organisés à Tanger et à Fès des rassemblements il y a quelques jours pour contester la fermeture de mosquées. Mais ils ont rapidement été mis au pas. Comme je l’avais rappelé précédemment dans mes billets, Rabat contrôle ces groupes avec une main de fer depuis les attentats de Casablanca.
Afin d’éviter une catastrophe économique et une situation à l’iranienne ou à l’italienne, le roi a créé le 15 mars un Fond spécial pour la gestion de la pandémie du coronavirus. Le décret relatif à sa création a été publié au Bulletin officiel le 17 mars. Doté de 10 milliards de fond, il doit servir à la « mise en niveau du système de santé afin de contenir la pandémie, mais aussi au soutien à l’économie nationale, la sauvegarde de l’emploi et la réduction de l’impact social occasionné par cette situation ». Un grand élan de solidarité s’organise dans un pays où 345 cas ont été diagnostiqués et 25 personnes décédées. Les ministres et parlementaires font don d’un mois de salaire au profit du fond contre le coronavirus.
Et plusieurs milliardaires ont fait d’importants dons de leurs propres poches comme le ministre de l’agriculture Aziz Akhannouch, première fortune du pays, ou celui de l’industrie, le richissime Moulay Hafid Elalamy avec un chèque de 200 millions de dirhams. Le groupe OCP, premier groupe de phosphate du royaume, a fait un don de 3 milliards de dirhams.
Le Maroc n’est pas le « Pérou » mais bel et bien la puissance montante dans la région et sa stabilité lui permet d’avoir pour le moment une réaction rapide au problème tout en se reposant une solidarité ancestrale pour pallier les problèmes structurels du pays.
En Algérie, ce n’est pas le même topo. Longtemps l’Algérie a eu une médecine performante. Les gouvernements de Ben Bella, de Boumédienne et consort eurent à coeur de développer une médecine efficace sur l’ensemble du territoire. A partir de 1962, des coopérants français, dont certains issus des Réseaux Jeanson, des Bulgares et les éternels justiciers cubains, que l’on retrouve aujourd’hui en Italie, avaient formé des générations de médecins compétents. Les années 80 furent un tournant. Les effectifs se sont amenuisés et nombre de médecins ont fuit en France le Front Islamiste du Salut. Tout le monde se rappelle la présence de l’ancien président Bouteflika, francophobe à Alger dont les médecins pratiquaient à Paris et Grenoble. Ajouté à ce déficit, les problèmes politiques bien sûr. Alger se montre incapable, pour le moment, d’être clair dans ces consignes. Tebboune peut cyniquement remercier le virus d’avoir éviter un énième Hirak qui conteste toujours la constitution comme son élection. La population est pour le moment en alerte. Seules les Wilayas de Blida où des corps ont été trouvés, et d’Alger sont sous couvre-feu de 19 heures à 7 heures. Confinement partiel puisque les métiers sensibles sont autorisés. Mais les wilayas de Batna, Tizi-Ouzou, Sétif, Tipasa, Constantine, Médéa, El Oued Boumerdès et Oran sont déjà d’ores déjà en voie de confinement. La nuit peut être folle à Alger mais tout le monde s’attend à un confinement général. Seulement, personne ne sait quand. Le gouvernement a peu de marge de manoeuvre. Avec des journalistes d’opposition encore en prison, la transparence n’est pas établie. Officiellement, au 28 mars il y aurait 454 malades pour 29 morts. Officieusement, personne ne sait. Tout le monde prie dans toute l’Algérie pour que les choses n’empire davantage, car les drames se sont suffisamment empilés depuis trop d’années.
La Tunisie est confinée. Comme au Maroc, un plan d’aide en urgence a été voté. Dans un pays toujours en rémission au niveau politique comme économique, le virus tombe vraiment mal. Le 21 mars, le Premier ministre Elyes Fakhfakh a voté une enveloppe de 800 millions d’euros a été décidée afin de protéger un minimum les entrprises et les chômeurs. 500 millions de dinars (environ 158 millions d’euros) vont être consacrés aux personnes mises au chômage technique et au plus plus démunis estimées à 285 000 familles. Seulement dans un pays où 40 % de l’économie est informelle, beaucoup de Tunisiens sont dans le doute, peuvent-ils bénéficier de cette aide. Les artisans, essentiels à l’économie du pays, mais ne payant pas de charge vont être exempts de cette aide. Pas sûr, que les anciens étudiants, fer de lance du Printemps arabe et qui ont soutenu majoritairement l’actuel président, soient compris dans le lot puisqu’ils bénéficient pour un grand nombre de contrats partiels et à mi-temps. Idem pour le secteur touristique. C’est le flou artistique à Tunis. Les mesures ont été prises très rapidement sans contour réel et surtout aucune visibilité à moyen terme. Qui va payer l’aide ? On parle d’une demande au Fonds Monétaire Internationals, mais encore faut-il le pouvoir. Et les donateurs se font rares…
Quel
est l’impact sur l’économie ? L’ancien ministre de
l’Industrie estime que sortie de la crise la Tunisie aurait perdu 5
points de son PIB et 1,6 au mieux mais là encore, Tunis est dans le
brouillard.
Le Maghreb s’adapte aujourd’hui à cette situation comme partout en Europe. Comme il le peut. Plus simplement parfois et c’est un comble vu les différences de développement des deux rives de la Méditerranée. Mais la situation politique et institutionnelle reflète les différences de gestion dans ces pays et on ne parle même pas de la Libye. L’Egypte prend de son côté progressivement des mesures drastiques.
Jusqu ’où ira-t-on ? Dieu seul le sait (si tant est qu’il existe) mais une chose est sûre : les conséquences peuvent être graves, plus graves que prévues. Et certains pourraient encore en profiter.
Intervention au Musée des Invalides pour l’association « Les Compagnons du 8 novembre 1942 », le 25 novembre 2019.
La présence des Espagnols en Algérie commence
sur un souvenir d’adolescence. Tous les jours je descendais un
boulevard de ma ville d’origine, Villefranche sur Saône, pour
aller au lycée. en croisant la plaque d’un homonyme :
Dominique Garcia. C’était la plaque d’un Algérien comme m’avait
dit ma grand-mère, mort en 1944 durant la libération, quelques
semaines après avoir débarqué en Provence dans les rangs de
l’Armée d’Afrique. D’autres Pieds-noirs « espagnols de cette
génération ont fait rayonner la France dans le monde, à leur
manière. Albert Camus, Marcel Cerdan, Emmanuel Roblès tous issus de
cette émigration souvent oubliée de l’historiographie officielle.
Il m’apparaissait fondamental dans ce colloque de rappeler et de
comprendre le destin d’hommes en pleine force de l’âge amenés à
croiser à partir de la fin de la guerre d’Espagne, leurs cousins
éloignés, vétéran de l’Armée républicaine pour libérer la
France.
L’Histoire et ses méandres.
La présence en Algérie des Espagnols est très ancienne, notamment
dans l’ouest du territoire. Fernand Braudel avait écrit un ouvrage
sur « les Espagnols en Berbérie » rappelant les liens ancestraux
que ceux-ci entretiennent avec ce territoire.
Oran apparaît comme un véritable îlot
ibérique en pleine Algérie française. Sans remonter aux marins
andalous qui accostaient sur ses côtes au IXème siècle, la ville a
été une possession espagnole pendant près de trois siècles de
1509 à 1792. De la moitié du XIXème siècle jusqu’à la fin des
années 20, l’émigration espagnole est constante et devient
rapidement la première communauté étrangère chez les Européens,
à Oran et les villes environnantes comme Mostagadem ou Sidi Bel
Abbès et dans une moindre mesure à Alger. La majorité de cette
population est originaire des Baléares, du Levant et, à une moindre
mesure, d’Andalousie, notamment de la ville d’Almeria.
En
1881, on estime, selon l’historien
Pierre Darmon, à 114 320 le nombre d’Espagnols (essentiellement
des Levantins de Murcia ou de Valencia).
Au début ouvriers agricoles, beaucoup vont par la suite se
spécialiser comme maçons,
boulangers ou comme
dockers. La
majorité vit dans des quartiers miséreux de Bab-el Oued ou Belcourt
à Alger.
Si une petite élite commerçante émerge, il faut attendre une ou
deux générations pour voir émerger des instituteurs ou des
pharmaciens de cette communauté. L’historien espagnol
Juan Bautista Vila écrit au sujet des
immigrés Espagnols,
«
pépinière de main-d’œuvre » dont la France avait besoin pour
construire l’Algérie : « Pendant
la conquête et jusqu’au début du XXe
siècle, la réticence massive de la population autochtone à
collaborer avec l’occupant européen a rendu indispensable le
recours à une main d’œuvre importée».
Enfin et surtout, autre disposition essentielle de cette période
charnière dans l’histoire de l’Algérie française,
l’application aux Européens de la loi du 26 juin 1889 sur le droit
du sol, aurait créé sur tout le
territoire plus de 150.000 Français en moins de 30 ans. Un faubourg
comme Babel-Oued (Alger) voit ainsi sa population de nationalité
Espagnole passer en 25 ans de majorité (54 %) à minorité (36 %),
entre 1876 et 1901. Idem
en 1927, avec le décret favorisant la naturalisation des enfants
d’Espagnols pour combler une démographie française marquée par
la Grande guerre. Ces Espagnols s’emploieront en particulier dans
l’industrie du bâtiment, comme ouvriers agricoles ou comme
boulangers. L’exemple
parfait de cette intégration est Joseph Begarra. Petit-fils
d’émigrés espagnols : il est repéré par son instituteur et
parvient à faire
l’Ecole normale à Alger, symbole
d’une méritocratie républicaine dont l’école est le pilier.
Les
années 30, les années de tension :
En 1932, la Fédération d’Oran lui confia la tâche de relever Le
Semeur, l’hebdomadaire fédéral, dont la gestion était
déficitaire. L’Oranie comptait une douzaine de sections, celles de
Tlemcen et de Sidi-Bel-Abbès étant les plus importantes. Très
vite, le journal fut remis à flot et tira à 2 ou 3 000 exemplaires.
À Oran, il se vendait à la criée, malgré l’opposition du noyau
de militants communistes regroupés autour de Torrecillas, très
populaire sur le port et dans le vieil Oran.
En 1935, Joseph Bégarra devint secrétaire fédéral-adjoint, chargé
de l’administration, il le demeura jusqu’à la guerre. Il avait
gagné suffisamment d’influence à la Fédération pour obtenir de
créer une section à Aïn-el-Turck, contre l’avis d’Henri
Bertrand, son directeur d’école, secrétaire d’Oranie du
Syndicat National des Instituteurs. En mai 1936, Oran élisait député
Marius Dubois, secrétaire fédéral, le seul député de la SFIO élu
outremer avec Marcel Régis, élu député à Alger. Certes, la
victoire n’avait été remportée que grâce au maintien, au second
tour, de l’abbé Lambert, maire d’Oran, aventurier populiste, et
populaire, que la Droite traditionnelle exécrait au point de voter
pour le candidat Croix-de-Feu. Minoritaires à Oran, les forces de
gauche se resserrèrent autour d’une SFIO très combative, très
rouge, très proche par nécessité des communistes, appuyée par les
Juifs et par les Musulmans. En face, les Droites s’étaient
rassemblées autour de l’abbé Lambert qui portait au revers de sa
soutane l’insigne du PPF. Le patronat oranais les subventionnait
largement, car les grandes grèves de juin 1936 avaient été très
dures à Oran, où le PC organisait les piquets de grèves tandis que
les instituteurs du SNI rédigeaient les cahiers de revendications.
La majorité des militants comme des « gros bras » sont
des Espagnols, notamment recrutés dans les docks.
De 1936 à 1938, Oran fut, plus encore que Marseille, la ville
française où les affrontements politiques étaient les plus
violents, les plus meurtriers. Le Préfet décrivait la ville au bord
de la guerre civile. Marius Dubois étant député à Paris, et Henri
Bertrand étant absorbé par la direction de l’UD-CGT d’Oran,
Joseph Bégarra fut de fait secrétaire fédéral. Il enseignait à
présent à Oran, dans le quartier de Saint-Eugène.
Il était d’autant plus écouté qu’il s’exprimait couramment
en espagnol valencien, et en arabe oranais. Qu’il soit lieutenant
d’artillerie (du cadre de réserve) ajoutait encore à son
prestige. Se répandait alors au Parti communiste algérien la
boutade selon laquelle « un petit-bourgeois social-démocrate d’Oran
est plus révolutionnaire qu’un ouvrier communiste d’Alger ».
La guerre d’Espagne, le début des hostilités
La tension était encore plus forte, depuis qu’en juillet 1936
l’Espagne était en proie à la guerre civile. L’abbé Lambert
avait des relations étroites avec les franquistes, dont les
victoires étaient fêtées par les beaux-quartiers d’Oran qui
pavoisaient à leurs couleurs. Mais le petit peuple espagnol d’Oranie
était passionnément républicain. Joseph Bégarra à la mi-août
1936 gagna Alicante, où il dirigea une formation accélérée
d’artilleurs dans un camp de l’armée républicaine. Il y
consacra à nouveau ses vacances de l’été 1937. Malgré la menace
d’être suspendus, Joseph Bégarra et sa femme étaient du petit
nombre d’instituteurs qui firent grève le 30 novembre 1938.
Parallèlement à la
vie quotidienne en Algérie, la
Retirada arrive en
France. Plus 500 000 réfugiés passent
les Pyrénées mais également les côtes algériennes fuyant
l’arrivée des troupes de Franco. Le tout dans des conditions
misérables et tragiques. Le
29 mars 1939, le bateau « le Stanbrook » dirigé par un Gallois
Dickson quitte le port d’Alicante avec 2638 personnes entassés
dans les cales jusqu’au pont. Les autorités françaises, et
républicaines, refusent l’arrivée sur le port du bateau. Ils
prétextent qu’un millier de personnes n’est
pas enregistré sur les registres d’émigration du port. Devant les
problèmes sanitaires déplorables, 600 personnes, femmes et enfants
sont autorisés à arriver sur terre ferme. Pour les autres,
essentiellement des combattants, l’enfermement commence à
destination des 9 camps existant en Algérie tels que Colomb-Béchard
dans le sud oranais ou le Camps Morand à Boghar dans l’Algérois
que nous aborderons plus tard avec un autre intervenant. Parmi les
réfugiés, on retrouve un homme appelé à un destin hors du commun,
Amado Granell dont j’ai écrit une
biographie plusieurs fois traduite.
En septembre 1939, mobilisé, Begarra fut envoyé dans une batterie
de 105 long sur la ligne Mareth, dans le sud tunisien, face aux
forces italiennes de Libye. Avant la fin juin 1940, par le «
téléphone arabe » le contenu de l’appel du 18 juin 1940 parvint
à sa batterie. Le capitaine, juif d’Oran, et les six lieutenants,
instructeurs, calculaient comment rejoindre le général De Gaulle à
Londres et reprendre le combat. Mais l’annonce du désastre de Mers
El-Kébir, début juillet, dressa les soldats contre les Anglais.
Les
Espagnols, sous l’Occupation, survivre et s’engager sous Vichy
A Oran, parallèlement à une résistance
gaulliste dirigée par Roger Carcassonne
et aux activités du consul américain Murphy, les réfugiés
anti-franquistes se réunissent clandestinement dans des cafés tenus
par des Espagnols. Sociologiquement, en comparaison à l’émigration
en France, ce sont les dignitaires de la IIème République qui sont
sur place : des officiers de l’armée, des hommes politiques de 1er
plan, des ingénieurs etc. Le Grand Orient d’Espagnol qui comptait
6 frères sur 11 dans le gouvernement de la République se réunit
avec ces Frères Français. Idem pour les membres du PSOE qui se
retrouvent
chez un ancien député socialiste Salvador Garcia Munoz. Cet ancien
médecin devenu tailleur est un rouage essentiel chez les réfugiés
à qui il
fournit des papiers administratifs. Les cercles s’organisent. Les
réfugiés tentent pendant une année ou deux de survivre. Le climat
en Algérie se raidit. La population européenne est farouchement
maréchaliste. La police de Vichy est impitoyable et le camp de
Djelfa accueille beaucoup d’anarchistes.
La majorité des Européens d’Algérie
subissent de plein fouet la crise. Peu ont des enfants prisonniers et
la vie continue tant bien que mal dans ce
contexte.
Le réseau de résistance auquel participa Joseph Bégarra en
1940-1942 n’avait pas de contact direct avec Londres. Il se
limitait à la transmission de maigres renseignements et était en
rapport avec certains militants communistes clandestins pour échange
d’informations. À Oran, la répression politique vichyste
s’accélère. Les anarchistes sont les premiers touchés. Peu de
mesures d’internement en camps, en dehors de militants ou de
sympathisants actifs du Parti communiste, les seuls dont
l’organisation clandestine ait entretenu une campagne sporadique de
tracts et d’inscriptions murales. Mais les mesures de
révocations furent nombreuses, contre les francs-maçons
notamment. Dans les petites villes et les villages, guidés par les
haines de clocher, l’internement frappa les socialistes aussi.
Avec l’Opération
Torch, les choses basculent. Dans la confusion des combats qui
ont opposé l’Armée d’Afrique aux Anglais et aux Américains, le
8 novembre 1942, Joseph
Bégarra parvint à éviter de rejoindre son régiment qui eut
plusieurs dizaines de morts. Comme nous avons pu le voir, la
résistance, bien que sporadique, joue son rôle contre des éléments
vichystes déterminés à ne pas lâcher leur pré-carré.
Amado Granell semble avoir été courant du débarquement bien avant.
C’est un des rares Républicains à avoir joué un rôle lors du
débarquement. Comment l’a-t-il su ? La question est peu claire.
Peut-être via Duran, son ancien officier supérieur en Espagne
devenu Consul américain à Cuba. Toujours est-il que la population
européenne fête les Américains comme de véritables libérateurs.
Ces derniers n’arrivent pas en territoire inconnu. L’OSS et les
services diplomatiques ont bien préparé le débarquement et
connaissent la population.
« J’étais en train de pêcher avec mon père, sur la plage des
Pêcheurs, à 20 kilomètres d’Oran quand on a vu arriver des
bateaux et vu débarquer une grande quantité de soldats. Mon père a
eu très peur. On a d’abord cru que c’étaient des soldats
allemands ou des troupes de Franco, il m’avait semblé entendre
parler espagnol, et on s’était caché derrière des dunes. En
voyant leurs uniformes, et un drapeau avec des étoiles, comme ceux
que je voyais dans les films de cow-boys, on s’est vite rendus
compte qu’ils étaient américains mais ils devaient être du Texas
ou de Californie parce qu’ils parlaient espagnols. Comme les
habitants de la région d’Oran étaient d’origine espagnole, les
Américains avaient envoyé un corps expéditionnaire hispanique
dirigé par le colonel Ramirez. »
Le témoin de cette scène se nomme Daniel Hernandez. Il est né le 6
janvier 1924 à Almeria dans une famille de pêcheurs. Poussé par la
misère, il émigre avec sa famille en 1930 d’abord Alger puis à
Oran où la famille vit, comme nombre d’Espagnols, dans des
conditions très difficiles. Immédiatement, Hernandez, âgé de de
18 ans, sert de guide aux Américains jusqu’à un village où était
stationnées des batteries de guerre de la 64ème artillerie d’Oran
dont il connaissait le lieutenant, vendeur de poisson. Il fait
l’intermédiaire et aucun coup de feu n’est tiré. Immédiatement,
il s’engage dans un bataillon d’Infanterie américain pour
combattre quelques semaines plus tard en Tunisie contre Rommel.
Quelle est la réaction des Républicains Espagnols face au
débarquement? Depuis plusieurs jours, une rumeur circule qu’un
débarquement va arriver. Les réfugiés espagnols sont fous de joie
et beaucoup veulent reprendre du service pour libérer l’Europe
avec l’espoir de renverser Franco. Sur Oran, Granell semble avoir
pris part à la résistance quelques temps auparavant. Comment a-t-il
su l’existence de ce débarquement ?
Les
Espagnols au combat, les Républicains pour de Gaulle et les
Pieds-Noirs pour Giraud
Les nouvelles autorités françaises, appuyées par les Américains
décident de créer les Corps Francs d’Afrique dans le but de
participer aux côtés des Alliés à la libération du territoire
national. Les Corps Francs se sont formés au Maroc alors protectorat
français le 25 novembre 1942 sur demande du général Giraud. Les
Américains soutiennent ce général évadé d’une prison allemande
pour faire barrage au général De Gaulle. Rapidement mis en place,
malgré les réticences d’une armée plus vichyste que jamais. Les
volontaires sont très nombreux : gaullistes, giraudistes, Européens
d’Algérie dont nombre de Juifs et d’Ibériques et beaucoup de
Républicains dont Granell. Ces unités sont rapidement formées afin
de combattre la mythique Afrika corps dirigée par le général
Rommel.
Les Corps Francs sont dirigés par un vétéran de la Grande guerre,
le général de brigade Joseph de Goislambert de Montsabert. Un
nombre très important de Républicains espagnols s’engagent. Ils
se retrouvent en majorité dans le 3ème Bataillon. Deux compagnies
sont touchées : la 3ème dirigée par un Espagnol, l’Amiral Miguel
Buiza, ancien officier de la Légion Etrangère et la 9ème, dirigée
par Joseph Putz, un Vétéran de la Grande guerre et des Brigades
internationales. Ces deux hommes vont recruter directement dans les
cercles espagnols. Amado Granell apprend la présence de Joseph Putz
.Le 25 novembre, il
s’engage avec ses
papiers militaires espagnols.
Ils vont côtoyer d’autres Républicains espagnols engagés depuis
le début de la guerre dans la Légion étrangère où ils
représentent la première nationalité étrangère, soit 28 % des
effectifs. Le 3ème Régiment étranger d’Infanterie qui s’est
notamment illustré à Bir Hakeim est composé en très grande
majorité de réfugiés.
Les Granell, Hernandez, Begarra ou Buiza connaissent des chemins
différents au service de la France Libre. A partir de 1943, après
la prise de Bizerte, on demande aux hommes de choisir entre les
troupes de Leclerc et ceux de De Lattre, les Républicains des Corps
Francs d’Afrique rejoignent majoritairement la 2ème division de
Leclerc et en particulier la fameuse «
Nueve » où Granell joue un rôle stratégique. Il recrute
directement les Hernandez, Campos, Fabregas qui quittent leur
régiment pour suivre le Valencien. Cette unité où le castillan
domine en même temps que le drapeau républicain côtoie celui de la
France Libre est un véritable paradoxe dans les rangs d’une armée
française en reconstruction et en manque de reconnaissance. Ces
apatrides appartiennent tout simplement à l’avant-garde de la 2ème
DB où ces Rouges seront à la fois craints et profondément
respectés. Les Pieds-noirs espagnols sont moins soupçonneux et un
grand nombre se retrouvent dans l’Armée d’Afrique dirigé par
des officiers gaullistes ou giraudistes. Le sous-officier Lucien
Camus, frère d’Albert, dirigeant au mouvement « Combat »
et fils de Catherine Sintès de Minorque ou Emmanuel Roblès,
officier interprète et correspondant de guerre, en font partis.
Begarra comme des milliers de ses compatriotes Oranais ou Algérois
combat. L’ancien résistant rejoint son régiment fin novembre 1942
pour la Tunisie où il se battit jusqu’en mai 1943 contre les
troupes de l’Axe.
Bilan et reconnaissance
Les taux de mobilisation des Européens
d’Afrique du Nord en 1944/1945, entre 16 et 17 % de la population
active, dépassent en effet les plus forts taux de mobilisation de la
Première Guerre mondiale.
En tout, il y aura 170.000 hommes mobilisés,
dont 120.000 pour la seule Algérie. Il n’y a qu’à
remonter la vallée du Rhône et franchir les Vosges pour regarder
les patronymes ibériques sur les plaques. Le 15 août 1944, Begarra
débarqua avec sa batterie en Provence, dans les rangs de la 2°
Division d’infanterie de montagne, participa à la libération de
l’Alsace et passa le Rhin en mars 1945. Mais il termina la guerre
en Normandie, à l’instruction, le commandement de sa batterie
ayant été donné à un conseiller d’État affligé de la
francisque, en voie de réhabilitation.
Les Républicains de Leclerc partent en Normandie, entrent les
premiers dans Paris et protègent De Gaulle le 26 août sur les
Champs Élysées. Le lieutenant
Granell est le premier à percer les lignes allemandes pour être
reçu par les autorités de la Résistance à l’Hôtel de Ville.
C’est également lui qui ouvre le défilé du 26 août au moment où
le général De Gaulle
revient en chef de la France Libre victorieux à Paris.
Ceux de la légion et les Pieds-Noirs feront Monte Cassino, le
débarquement de Provence et libéreront avec l’aide des maquis
locaux la vallée du Rhône, les Vosges rejoints par la 2ème DB
venue de Paris en direction le Nid de l’Aigle.
Nombre important de ces combattants recevront la Croix de guerre, des
multitudes de citations. Granell sera décoré de la Légion
d’honneur en 1947 parallèlement à ses cinq citations sans
compter la Presidential Unit. Le légionnaire Etelvino Perez, vétéran
de Narvik et Bir Hakeim, meurt le 25 mai 1944 à San Giorgio. Il est
à ce jour le seul « Rouge espagnol » fait Compagnon de
la Libération, cette chevalerie gaulliste si forte de sens. Il fut
bien seul.
À l’automne 1945, Joseph Bégarra fut élu secrétaire fédéral,
lors du congrès de la Fédération d’Oran de la SFIO. La
Fédération compte alors 2 500 militants dont beaucoup d’Espagnols.
Car derrière le terme « Pied-noir » qui a pris un tâcheron très
politique avec la guerre d’Algérie, c’est toute la diversité
d’une communauté unie par un exode qui ne doit pas faire oublier
qu’aux côtés de leurs cousins arrivés en 1939 avec la guerre
d’Espagne, ces Ibères auront joué numériquement et militairement
un rôle prépondérant dans la défense de leur nouvelle Patrie qui
avait accueilli leurs parents et grands-parents avec parfois beaucoup
de mépris. On ne rappellera jamais assez ce sacrifice dans une
guerre de volontaires où l’esprit des guerilleros s’est
totalement incarné et sublimé.
En réalité, seul le Coranavirus semble avoir eu la peau, pour le moment de l’Hirak. Vendredi, pour la première fois depuis plus d’un an, la mobilisation n’aura pas lieu, afin d’éviter les risques. L’Asie, l’Europe, le Mexique tous semblaient avoir été touchés par ce désastre sanitaire. L’Afrique, par cette triste fatalité de l’histoire contemporaine, n’y échappe pas. Si on retourne au temporel, les raisons d’un énième rassemblement n’ont pas changé. Encore moins l’élection présidentielle. Au contraire, elle a consolidé ce mouvement civique et pacifique. L’ancien premier ministre Abdelmadjid Tebboune, âgé de 74 ans a bel et bien été élu au premier tour le 12 décembre 2019 avec 58,12 % des votes. Les opposants peuvent bien crier au scandale démocratique puisqu’ils ne se sont pas déplacés, mais force est de constater que leurs cris de colère, justifiés ou non, n’a pas eu l’écho contesté. 10 % de votants semblait être une mascarade selon eux, puisqu’ils n’avaient pas été voter comme pour prétendre que derrière leurs pas, c’était l’Algérie entière qui manifestait. Or c’est bel et bien 40 % des citoyens algériens qui se sont déplacés. Dans un pays où 20 millions d’habitants ont un compte Facebook sur 40 millions de personnes, le selfie avec un mégaphone et un drapeau comme pour un match des Fennecs n’est pas suffisant pour renverser un régime. Le virtuel n’est pas le réel.
Aujourd’hui
de plus en plus d’ouvrages sortent sur l’Hirak, par d’éminent
spécialiste du pays comme Benjamin Stora. Les travaux reposant sur
des données scientifiques, sont souvent tournés en sa faveur, afin
d’étudier ce mouvement, comprendre cette jeunesse et dézinguer
l’Etat
FLN et sa mythologie nationale. Ce récit, que nous connaissons
également chez nous, fait encore consensus dans une grande partie du
pays. Et comme la remise en question, où l’orgueil mal placé,
sont une
tradition locale, ni le pouvoir, ni l’opposition ne semble rebattre
ses cartes afin de gagner durablement la partie. Où faire gagner
l’intérêt du plus grand nombre.
Ce
que n’ont pas compris les partisans pacifiques de l’Hirak c’est
que leur pays reste un territoire rural, marqué encore par
la guerre civile. La population est attachée à son armée populaire
dont les soldats sont leurs fils et petits-fils et non des étudiants
en sciences humaines. Pasolini n’aurait pas dit mieux.
Le
pouvoir n’est pas parfait vu des douars. On connaît le népotisme,
les fraudes, le chômage des neveux partis en ville. On ne parle même
pas de la corruption. Mais lorsque l’on voit le bazar en Libye, au
Mali ou plus loin en Syrie, on préfère toujours ce régime
autoritaire à un régime libéral dans lesquels pourraient se
fourvoyer les islamistes ou un parti potiche, sous-fifre
des Français voir des Israeliens selon
le niveau de paranoia.
Tebboune
n’est pas l’homme providentiel. Pour personne. Mais on attend
qu’il rassure. Il reste le Préfet, qui ne sciera jamais la branche
qui l’a mise en place, à savoir l’Etat-parti FLN. Mais tel le
Wali, tel un maire de bled, il sait dire oui à tout le monde. Il
« entend » et « comprend » l’Hirak, il
salue « les femmes » en tête des cortèges mais il ne
change pas les structures du pouvoir pour autant. Un nombre important
de journalistes reste en prison. Les flics usent toujours de la
matraque.
Ne
disposant plus de minorités ethniques sous la main, il a mis une
dose plus forte de sociétale en augmentant le nombre de femmes au
gouvernement, afin de passer pour un homme d’ouverture et de
progrès. Le fameux « Je vous ai compris » avec un
appareil auditif déréglé.
L’opposition
partisane tente de se rassembler dans son auberge algéroise nommé
« Plate-forme politique de l’alternative démocratique »
mais aucun Ben Barka local n’a le charisme pour devenir le leader
demain. Ni le Michel
Debré pour écrire une vraie constitution digne de ce nom. Beaucoup
de cris et une terrible cacophonie.
Mais
personne n’est dupe, Tebboune n’a pas élu pour faire la
révolution mais pour consolider le pouvoir, éviter une
fragmentation de la nation. La Kabylie, d’habitude si bruyante est
restée au diapason. L’heure est grave dans la région et ce
n’est plus le moment d’entendre les jérémiades
de ces mômes devant la Grande Poste. D’autant que cette situation
repousse les investisseurs. Le cours du pétrole s’effondre, et ce
pays né sur des mines d’or (pétrole, gaz, céréales, vergers…)
devient progressivement un terrain miné. Les vraies
réformes se font attendre, cela devient urgent… L’économie
reste beaucoup trop dépendante du pétrole et les revenus sont
estimés à 20 milliards cette année contre 34 milliards
habituellement. Les réformes visant à diversifier des pans
entiers de
l’économie sont impératives.
Pour
couronner
le tout le plus grand pays d’Afrique est « mal entouré ».
Ce qui renforce sa paranoïa.
Et Tebboune doit encore et encore être très clair pour rassurer sa
population. Il tente de se montrer conciliant mais ferme au niveau
international.
Il a critiqué la position turque en Libye et a calmé le jeu avec
l’Ethiopie. Addis Abeba a exclu son ambassadeur après des heurts
contre une Egypte prétendument
alliée
d’Ager. (Sur la question des eaux du Nil, notre Uber reviendra dans
quelques semaines… promis). Le Mali est toujours au même point, la
Tunisie peut toujours s’enflammer.
Entre sursaut démocratique et déclin, l’Algérie est un pays où le système continue d’être contesté chaque vendredi. Des élections seront organisées en décembre.
« Sahla démission ». Le message est clair et expéditif. La contestation continue encore et encore… dans le pays qui a vu naître El Ouafi, Mimoun, Boulmerka et Morcelli, l’endurance semble un don. Mais le Graal espéré est loin d’être gagné d’avance. Trente-trois vendredis de suite, des dizaines de milliers d’Algériens défilent encore et encore pour un changement de régime et une démocratie nouvelle. Toute la caste est visée. L’exemple de leur voisin tunisien donne un étrange mélange de frustration et d’espoir qui n’entérine pas l’orgueil populaire. Et malgré la décision du chef de l’Etat-major d’interdire l’accès à la capitale aux Algériens des autres wilayas, Alger a été le théâtre de l’une des plus imposantes manifestations depuis le début de l’Hirak.Ouverture dans 0Sponsorisé par L’ Assurance MaladieMal de dos ?Gardez le mouvement grâce à vos activités quotidiennes pour muscler votre dosEn savoir +
Le système en place joue la montre
D’après les slogans brandis par les manifestants dans tout le pays, les Algériens refusent l’organisation d’élections avant un changement complet des symboles de l’ancien système.
Après deux reports, la date du scrutin présidentiel est officiellement fixée au 12 décembre par le chef de l’État par intérim Abdelkader Bensalah. Mais cela ne suffit pas aux habitants de ce pays qui demande un grand coup de balais à la tête des institutions. Le ton s’est également durci au sein de l’appareil d’état. Le général Sahla1, le chef d’état-major, continue d’imaginer l’Algérie comme une caserne géante : augmentation des arrestations arbitraires, interdiction des drapeaux kabyles dans les manifestations, visite constante auprès des effectifs militaires dans chacune des wilayas… On est loin de l’angélisme de certains commentateurs qui pensaient l’Hirak comme une révolution de velours. Chassé le naturel il revient au galop. Certes nous ne sommes pas dans la Kabylie des années 60, en 88 à Alger ou durant les années noires… mais l’art du compromis ne semble pas être une tradition algérienne et chacun des deux camps semble jouer la montre.
Les hauts-gradés et les officiers capables de régénérer le pays se font rares, sont vieux et n’ont plus la légitimité de leurs aînés. Ils n’ont aucune vision collective et ne peuvent plus jouer le coup de l’islamisme. L’armée actuelle n’est plus issue de l’armée des frontières des années 60 qui combattaient pour un clan les opposants kabyles ou les socialistes. Encore moins celle des années noires affrontant le Front Islamique du Salut. Ce n’est également pas une armée ethnique à la alaouite en Syrie défendant une vision tribaliste de la société. C’est l’Algérie jacobine avec son armée nationale composée de jeunes conscrits dont les mères, les sœurs, les pères représentent l’Hirak. Le pouvoir peut beugler, grogner, aboyer mais rien n’y fait les Algériens lui tiennent tête pacifiquement mais fermement.
Une élection irréelle
Garantir des élections est une chose. Balayer le pouvoir en place et changer de constitution en est une autre. Et l’opposition est ferme sur ce point. Si ferme que l’Autorité nationale indépendante des élections a annoncé il y a deux semaines que 10 postulants à la candidature avaient retiré les formulaires de souscription.
Le président du parti politique d’opposition « Talaie El Hourriyat », Ali Benflis a retiré les formulaires de candidatures. Il a été suivi. De l’autre côté de la barricade, Abdelkader Bengrina, l’ancien ministre du Tourisme, candidat du parti au pouvoir et du système a annoncé à son tour, samedi dernier, sa candidature. Il est même le premier à faire part de sa participation candidat au scrutin. « Je ne vois aucun candidat potentiel à ce scrutin organisé par les symboles du système! » s’exclame la jeune et talentueuse journaliste Amira Boudjemah, symbole de ce pays plein de ressources mais bloqué par les conservatismes et le népotisme…
Mais refuser le réel, refuser de manière mendésiste à participer à ce scrutin, c’est aussi fuir le combat. Car si la rue est si forte pourquoi ne pas soutenir un candidat d’union nationale susceptible de battre sur son propre terrain l’Algérie du passé pour incarner durablement celle de demain ? La politique de la chaise vide ne peut que conforter le crochet tendu par le pouvoir, et continuer en janvier 2020 la morose routine d’un déclin collectif permanent.
L’Hirak ne craque pas, le pouvoir non plus. Mais l’Algérie va-t-elle craquer ? Le pays né et consolidé sur un mythe est face à son destin. Aux âmes de bonne volonté d’être lucides sur le chemin collectif à suivre pour démonter ces légendes usurpées et tenter de continuer une histoire. Qui sait, peut-être un jour avec un grand « H ».
Il
m’apparaissait difficile après l’annonce de la mort de l’ancien
président de la République Jacques Chirac de ne pas revenir sur un
pan essentiel de ses deux mandats, à savoir sa politique étrangère
et en particulier dans les régions du Maghreb-Mashrek. Certes ses
prédecesseurs, Valéry Giscard d’Estaing ou François Mitterand
avaient pris des décisions politiques parfois très importantes dans
ces régions, mais aucun Président n’aura eu une politique aussi
volontariste que lui dans ces régions souvent si stratégiques pour
la France, en nouant parfois des liens amicaux d’une grande
intensité avec certains de ses dirigeants.
L’homme
avait pourtant combattu comme beaucoup de Français nés dans les
années 30 en Algérie.
Pourtant
exempté de service comme tout élève de l’Ecole Nationale
d’Administration, il s’était porté volontaire pour intervenir
dans le djebel face aux combattants du Front de Libération
Nationale. Sous-lieutenant du 11ème et 6ème régiment des Chasseurs
d’Afrique, régiment composés de jeunes Nordistes d’origine
polonaise pour la plupart, il avait lutté dans la région de Tlemcen
pendant 18 ans, de 1956 à 1957, recevant la croix de guerre et une
blessure au visage. C’est cette guerre qui l’avait, selon ses
propres mots, fait basculer de position « Algérie française »
au gaullisme avec le retour du général en 1958.
Dès
son arrivée à l’Elysée, Jacques Chirac a voulu affirmer un
retour de la France dans le « monde arabe » et au
Maghreb, engagement qui se voulait dégagé de la tutelle américaine.
Un
discours à l’Université du Caire le 8 avril 1996 donne toute le
ton de ce qu’il allait être une des volontés les profondes du
chef de l’état :
« Je souhaite aujourd’hui, dans ce haut lieu de la culture
arabe, vous présenter ma vision des des relations entre la France,
l’Europe, le Monde arabe et la Méditerranée. La politique arabe
de la France doit être une dimension de sa politique étrangère. Je
souhaite lui donner un élan nouveau, dans la fidélité aux
orientations voulues par son initiateur, le général de Gaulle.
« Tous nous commande disait-il dès 1958, de reparaître au
Caire, à Damas, à Ammam et dans toutes les capitales de la région.
Comme nous sommes restés à Beyrouth : en ami et en
coopérant. »
Comment ne pas penser à Jacques Chirac, et au choix si courageux de ne pas suivre la croisade organisée par l’Amérique de George W. Bush en Irak, guerre mensongère sans l’aval de l’Organisation des Nations Unies, qui a totalement déstabilisé la région ? Je ne m’étais senti aussi fier de mon pays que lors du discours de Dominique de Villepin à New-York pour prévenir des dangers d’une telle intervention. Un discours historique applaudi par l’ensemble de l’Assemblée nationale, une première dans l’histoire de l’institution. Et les fait ont malheureusement donné raison à l’avertissement de la France. Cette décision ne venait pas du ministre des Affaires étrangères de l’époque, athlantiste notoire élevé à Washington, fils d’un député antigaulliste mais bel et bien du président Chirac. De ce dernier, on peut tout dire : ses multiples trahisons et coups bas, les affaires judiciaires dont il parvint comme tant d’autres à échapper, sa politique intérieur d’une médiocrité absolue mais nul de pourra lui reprocher d’avoir défendu l’indépendance de la France au niveau diplomatique, alliant patriotisme et universalisme.
Cet
homme si souvent caricaturé de « Français moyen » avec
son goût pour les bières Corona et la tête de veau, était
pourtant un être d’une grande culture et un passionné des autres
civilisations comme le montre physiquement la création du musée au
Quai Branly. « Le seul homme a lire du Ronsard sous un livre de
cul » pour reprendre la citation de Marie-François Garraud,
son ancienne collaboratrice et maîtresse.
Bien sûr, sa politique étrangère ne fut pas uniquement marquée par des considérations philosophiques, les intérêts économiques entre la France et ces états furent d’une rare importance notamment en Irak. Les ventes d’armes et le financement occultent de certaines campagnes électorales restent la face noire de cette période. Mais ce goût des autres, quasi instinctif, s’était manifesté aux yeux du monde lors d’une altercation avec un militaire israelien. Alors qu’il tentait de serrer la main à un vieux marchand palestinien, il n’avait pas hésité à s’en prendre directement dans un anglais « très français » au soldat qui avait refusé brutalement ce contact. Il avait récidivé le lendemain dans une église copte, refusant de rentrer dans le batiment avec un homme armé.
Toutes
ces images avaient fait le tour du monde et redoré le blason de la
France dans le « monde arabe ». Une France gaullienne et
souverraine était de retour.
En Algérie, Jacques Chirac avait su réchauffer les liens si passionnels et si passionnés. Ces deux visites en 2001, à Bab-el-Oued après les inondations puis en 2003, s’étaient accompagnés de bains de foule inimaginables en France. Cette même année, l’opération « Djazair » inaugura une année de l’Algérie en France et de la France en Algérie, avec près de 300 manifestations culturelles de part et d’autres de la Méditerranée.
Jacques
Chirac avait également créé des liens humains très forts avec des
dirigeants « arabes ».
Rafik
Hariri en premier lieu. Dans un pays, où les arabes sunnites
étaient animés d’un fort sentiment antifrançais, la francophilie
des Hariri avait dans un premier temps facilité les contacts entre
les deux hommes. Une véritable amitié était née. Le président
libanais logea dans son hôtel particulier parisien l’ancien
président après son départ de l’Elysée en 2007. Hariri était
l’oeil de Paris dans la région. Un véritable conseiller spécial
sur place. Pas un jour sans qu’un coup de téléphone ne soit passé
entre les deux hommes d’état en exercice. En 2002, Jacques Chirac
avait personellement veillé sur la conférence de « Paris II »
où le président libanais avait trouvé auprès de donateurs les
quelques milliards de dollars permettant de sortir son pays de la
faillite. L’assassinat de Rafik Hariri fut vécu comme un véritable
drame personnel.
Paradoxalement
cette amitié ne fut jamais l’objet de contentieux avec Damas.
Jacques Chirac, critique sur la tentative d’hégémonie syrienne
sur le Liban avait toujours entretenu des liens plus que cordiaux
avec les Assad se montrant très critique sur les tentatives de
déstabilisation israelo-américaine dans la région.
Longtemps, il fut repproché à la diplomatie française et par une certaine gauche, de ne pas se soucier du statut démocratique de ces états et de soutenir certains dictateurs. Les héritiers de Jules Ferry, dont beaucoup tel Dominique Strauss-Kahn avaient ouvertement critiqué l’arrogance française sur le dossier irakien en 2001, représentaient un espace politique où la conception des droits de l’homme associée très souvent à un atlantisme passionnel, primait sur la realpolitik gaullo-chiraquienne. S’entourant d’éminents spécialistes du monde arabe, du maître espion Philippe Rondot aux diplomates Bernars Bajolet ou Yves Aubin de la Messuzière, Jacques Chirac aura été dans les moments de tension au Maghreb face à la menace islamique un partenaire fidèle, quitte à fermer les yeux sur des pratiques policières souvent en porte-à-faux avec les conventions internationales. Il n’était pas question pour l’ancien président de cesser les échanges avec ces pays, et ce quelque soit le régime en place.
Les liens avec Ben Ali et l’Elysée furent par exemple très intenses. Cette proximité sera notamment reprochée au clan chiraquien après la Révolution de 2011 et notamment à Michèle Alliot-Marie qui bénéficia pendant longtemps d’appartement luxueux dans l’ancienne Carthage. Et vice-versa… Durant ces deux mandats, un nombre important de contrats commerciaux furent signés entre les deux pays, notamment dans l’industrie textile qui fut plus que profitable à l’économie tunisienne.
La proximité entre la famille royale marocaine et le Président français a toujours également également très forte. Durant de la crise de 2002 opposant le Maroc et l’Espagne, à propos de l’îlot Persil, le président français fut le seul dirigeant européen à soutenir ouvertement le roi du Maroc quant les autres dirigeants européens avaient joué la carte de la solidarité communautaire. Le Maroc était pourtant l’agresseur. Idem, sur le dossier du Sahara occidentale, où la France soutint systématiquement le Maroc, malgré les plaintes incessantes de l’Algérie.
Les réactions pleines d’affection à Alger, Rabat ou Beyrouth après la mort jeudi de l’ancien président ont montré l’étendue des liens unissant l’ancien Président avec ces pays. Tout ne fut pas parfait, mais les positions de plus en plus néo-conservatrices de ses successeurs, avec pour summum la présidence de Nicolas Sarkozy, ont profondément modifié l’influence française dans ces régions.
Jacques Chirac reste un héritier direct d’une tradition gaullo-bonapartiste aux accents pro-arabes très affirmés, Napoléon Bonaparte comme son neveu avaient rêvé d’un empire puis d’un royaume arabe détaché des tutelles de l’époque.
L’ancien
président mort à 89 ans reste le dernier dirigeant à avoir incarné
une certaine idée de la France àl’étranger et de l’échange
entre les cultures. Le musée du Quai Branly comme le refus de
s’engager dans une croisade en Irak restent les actes les plus
pertinents et les plus symboliques de son rapport au monde et à la
vision universaliste d’une France sûre d’elle-même et de ses
principes.
Ce 8 décembre 2018 est une date importante dans le débat intereligieux. Pour la première fois de l’histoire, des Chrétiens seront béatifiés en terre musulmane. La basilique Santa Cruz d’Oran va voir s’élever au rang de « bienheureux » 19 religieux catholiques assassinés durant la « décennie noire » dont les tristement célèbres moines de Tibhirine.
Car le christianisme en Algérie c’est une longue histoire…
On sait peu de choses de l’introduction du christianisme à Carthage comme dans les villes côtières d’Afrique du nord. Plusieurs saints se disputent l’évangélisation tels que Pierre, Simon le Cananéen ou Marc. Cependant l’existence de communautés juives à Volubilis, Carthage ou Oea laisse envisager comme l’écrivait l’historien André Mandouze, la présence de communautés chrétiennes dans ces villes, bien avant les campagnes de conversions organisées par les envoyés de Rome.
Le christianisme s’implante en fonction de la romanisation comme toujours. La conversion de Constantin fait le reste. Mais le christianisme est essentiellement concentré sur les côtes, loin des territoires montagneux ou semi désertiques du sud. De cette époque de cette région l’un des plus grands penseurs chrétiens tous siècles confondus, l’un des quatre Père de l’Eglise (avec Grégoire, Jérôme et Ambroise) le fils d’un décurion romain et d’une berbère convertie, femme illégitime…Augustin d’Hippone (actuelle Annaba).
Un universalisme en remplaçant un autre, les invasions arabes et l’islamisation de la région ne laissent pas de place à un christianisme qui s’est peu appuyé sur le monachisme comme ses cousins coptes pour maintenir une emprise sur les populations berbères. Hormis quelques communautés au nord de l’actuelle Tunisie, on ne retrouve plus aucune trace d’un christianisme maghrébin de type allogène au XIVème siècle.
Bien entendu, c’est la conquête française qui marque le retour du christianisme en terre algérienne (l’état-nation n’existant pas rappelons-le en 1830). En 1838, le diocèse d’Alger se crée et le consistoire protestant en 1839. Ordre est donné au départ de ne pas des populations que l’on ne veut pas « brusquer ». Quelques conversions vont s’effectuer, soit de manière insidieuse, soit par attrait, mais elles sont rares, essentiellement concentrées en Kabylie. En réalité, la religion cristallise les communautés. La culture fataliste et mystique des « indigènes »- le mektoub- et leur absence de vision politique à moyen terme, va enfermer ces populations essentiellement rurales dans un triptyque identitaire insoluble: « langue orale, sexe et religion » comme le décrit l’historien Daniel Rivet.
De l’autre côté, on observe chez les populations européennes une rechristianisation de la part d’individus parfois très éloignés de la religion dans leur région d’origine. Hobereaux du sud-ouest, communards de 1870, optants d’Alsace-Moselle en Kabylie puis plus tard Levantins, Catalans, Suisses romands, Napolitains ou Maltais, toutes ces populations sont confrontées comme tout pionnier à un quotidien de dure labeur dans un environnement qu’ils jugent hostiles. Le retour vers le Christ est vécu comme un marqueur identitaire fort. On recherche moins, il est vrai, l’aventure spirituelle. Un catholicisme « ultramontain » et « ultramondain » que l’on aperçoit tous les dimanches à l’heure où bourgeoisie et petit peuple sortent ensemble des magnifiques Notre Dame d’Afrique ou Santa Cruz d’Oran. Religion nationale en trompe d’œil pour un monde qui jusqu’en 1960 n’a rien d’uniforme. Lire les témoignage de l’écrivain et résistant » pied-noir » Claude Roy, de son passage de séminariste à militaire, c’est comprendre toute une société à travers ses institutions. Certains prêtres jouent également un rôle politique de première. L’abbé Lambert est le maire emblématique d’Oran: pro-franquiste dans une ville essentiellement composée d’Espagnols puis vichysto-résistant.
Arrive la guerre d’Algérie. Elle déchire les Chrétiens comme l’ensemble des Français. Avec peut-être plus d’intensité. Les chrétiens progressistes nommés vulgairement « cathos de gauches » sont les piliers de l’anticolonialisme. Bien sur on retrouve des trotskistes, des communistes et des républicains sincères mais aucun groupe n’a eu la même intensité dés le début que ce courant philosophique. En 1951, Claude Bourdet écrit « Y’a-t-il une Gestapo française » dans « France Observateur » pour critiquer les interrogatoires musclés de la police algéroise. Qu’ils se nomment André Mandouze ou Henri-Irénée Marrou, Michel Rocard ou Georges Montaron, ils s’engagent en faveur des insurgés algériens à travers « Esprit », « Témoignage chrétien », contre la torture mais aussi plus « physiquement » dans les réseaux Jeanson.
De l’autre côté, une partie de l’Eglise se radicalise. L’anticommunisme et l’esprit de croisade ravivent les « vieux démons » de Vichy à Alger comme à Paris. Les Sidos repointent leur nez pour un « Ordre nouveau ». Le légendaire « Capitaine Conan » de la France Libre , Pierre Château-Jobert, cadre de l’Organisation Armée Secrète termine ses jours à Morlaix, sa ville natale, dans le catholicisme traditionaliste. Saint Nicolas de Chardonnay, point névralgique de la Fraternité Pie X, loue en son sein une plaque à la mémoire des « Soldats de l’Algérie Française ». Tout est dit.
Au sein de la hiérarchie algérienne, le débat est d’une rare violence: d’un côté, les partisans d’un maintien de l’Algérie comme département français. L’Archevêque d’Alger, Léon-Etienne Duval, de son côté, prend fait et cause pour le F.L.N.. Les « Ultras », peu avares de surnom saugrenu (« Bensoussan », « la grande Zohra »), lui affuble celui de « Mohammed Duval ».
Certains officiers de l’armée française illustrent leur foi d’une autre manière. Hubert de Séguin Pazzie et Jacques Paris de Bollardière refusent de torturer en chrétien, en militaire et en Français.
Depuis 1962, les choses ont changé. Dés la conférence de la Soummam, les dirigeants du Front de Libération Nationale ont été clairs sur l’identité de la « nouvelle Algérie »: elle est socialiste et musulmane. « La valise ou le cercueil » emporte aussi « sa » croix: peu de Chrétiens restent sur place. D’ ailleurs, on ne retrouve aucun Juif ou Chrétien dans les divers gouvernements pas même, le dernier maire d’Alger, le libéral Jacques Chevallier resté en Algérie après l’indépendance. Sa fille, l’historienne Corinne Chevallier vit encore sur Alger aujourd’hui…
Nombres de Pères blancs, Jésuites, bonnes sœurs vivent dans la « nouvelle Algérie ». Ils font du social, s’occupent des plus pauvres-en ville comme à la campagne. Ils se s’intègrent au tissu local. Ironie du sort, au moment où Houari Boumédiène, en s’appuyant sur des clercs formés en Egypte, opte pour l’arabisation dans les écoles, l’élite envoie ces enfants dans les écoles catholiques tenues par les Pères Blancs et les Jésuites. L’école des Jésuites d’Alger accueille les enfant d’Hydra comme le petit frère du Président Boumédiène. Actuellement, le président des Anciens élèves de l’école n’est autre que… Said Bouteflika. Hypocrisie quand tu nous tiens.
Les années noires, de 1991 à 2001, sont des années tragiques pour les chrétiens d’Algérie. La majorité des Français, et des chrétiens, rentrent en métropole. Ceux qui acceptent de rester sont la cible de ce fascisme vert. Dans la nuit du 26 au 17 mars, le Groupe islamique armée-branche militaire du Front Islamique du Salut- enlèvent 9 moines cisterciens à Tibhirine dans la région de Médéa. Malgré toutes les tentatives faites par Paris-via son maître-espion Philippe Rondot- et le Vatican, ces hommes qui jusque là avaient soigné des combattants du GIA comme ils soignaient les populations locales avec lesquels ils vivaient en harmonie, sont exécutés. Cette tragédie a beaucoup marqué les Français et les Chrétiens en général. Les moines sont enterrés à Tibhrine selon les vœux des responsables locaux. Le 1er août 1996, c’est autour de l’évêque d’Oran Pierre Claverie, originaire de Bab-el-Oued, d’être assassiné lors d’un attentat.
Aujourd’hui les catholiques seraient 45 000. Essentiellement, des fonctionnaires étrangers plus quelques familles européennes installées de longue date. Depuis les années 2000-2010, les rapports sont ambigus entre le christianisme et l’état musulman. La béatification de 9 décembre est plus qu’un symbole, tant les relations « Eglise catholique et Algérie » sont crispés. Les VISAS pour les prêtres catholiques sont complexes à obtenir. La géopolitique locale et le poids de l’islamisme dans la région sont une première raison que l’on ne peut épargner. En février 2007, les wilayas (préfectures), en application d’une directive venue d’Alger, ont invité les catholiques à quitter le pays en raison de menaces d’Al-Qaida au Maghreb. Mais les raisons sont plus larges que cela. Face à un pouvoir hégémonique, toute contestation qui plus est « menée » par une religion minoritaire apparaît pour le gouvernement comme une tentative ouverte de déstabilisation. En janvier 2008, Pierre Wallez, un prêtre, est condamné à un an de prison avec sursis pour y avoir célébré une messe de Noël avec des migrants subsahariens. Mais le cas des catholiques apparaît presque comme un épiphénomène tant les rapports apparaissent compliqués et tendu avec d’autres courants religieux.
Car, aujourd’hui le renouveau du christianisme n’est plus dans le catholicisme vieillissant. Depuis une quinzaine d’années, les églises évangéliques pullulent en Kabylie. Une région qui pose énormément de problèmes à Alger depuis l’indépendance. Berbérophone, autonomiste voir plus… Une région que la colonisation française a toujours regardé d’un autre œil, en surjouant la dichotomie « arabe-berbère ». Une région qui s’est révoltée a de nombreuses reprises comme en 2001 avec son « Printemps berbère ». Alors quand la région de Tizi-Ouzou, et à un degré moindre de Bejaia et d’Oran, voit ces conversions à l’évangélisme augmenter, le pouvoir voit rouge. Ils seraient aujourd’hui entre 50 et 100 000 fidèles aujourd’hui répartis en une dizaines de chapelles. La religion musulmane interdisant l’apostasie, sentiment qui s’est décuplé avec l’influence de la salafiya, ces transferts de religion sont très mal vus par la population. Le gouvernement a radicalisé son discours et fait multiplier les arrestations. Un directeur et un enseignant accusés d’avoir utilisé une salle de classe pour faire de l’évangélisation ont même été radiés de l’Éducation nationale. Mais les mesures ont aussi touché l’Église catholique, dont la présence discrète n’avait jamais posé problème. Une paranoïa s’est installée au niveau de l’Etat.
Le fonctionnement bien particulier de ces évangélistes n’arrangent rien. Pratiquant, comme les franc-maçons le culte du secret, ces nouveaux croyants ne laissent guère transparaître leur appartenance à telle ou telle église. Les messes se font dans des villas privées à l’abri des regards. Ces églises apparaissent à la fin des années 80 parallèlement aux intégristes islamiques. Des prédicateurs français mais surtout américains commencent à arpenter le pays mais également le monde entier tant le phénomène touche des contrées aussi différentes que le Brésil, l’Afrique de l’ouest ou la Chine. Sponsorisées par des fonds américains, les églises évangélistes créent une véritable angoisse. Plus profonde que sur une simple question spirituelle. Car ces églises aiment communiquer, se montrer. Elle sont clairement prosélytes. Il existe plusieurs chaînes de télévision et radios chrétiennes évangéliques. Comme Al-Hayat, diffusée par satellite et qui émet depuis Chypre. Ou bien encore Radio kabyle, une station de Trans World Radio (TWR), une organisation évangélique basée aux États-Unis qui a pour objectif de « faire connaître le Christ au monde grâce aux médias de masse celle d’une éventuelle balkanisation de l’Algérie comme en Irak, non plus via une intervention militaire mais par des églises américaines téléguidées par la C.I.A. De manière plus sournoise, en appuyant sur le point sensible du pays: la Kabylie. Diviser pour mieux régner. Face à un phénomène qu’il a du mal à gérer, l’état réprime. Le 16 mai, Nourdine un habitant de Tiaret, près d’Oran a été condamné à verser 10 000 dinars à l’état. Soit cinq fois le salaire de base mensuel en Algérie. Son méfait? Avoir été arrêté lors d’un barrage routier, non pas avec 3 kg de drogue dans sa voiture mais trois… bibles!
Comme la France, les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Empire ottoman l’ont connu en leur temps, les périodes de crise politique comme économique sont propices à la suspicion et à l’instrumentalisation. Le christianisme, présent depuis la colonisation, mais ultra-minoritaire dans un pays où l’islam est religion d’état, n’a pas bonne presse bien qu’il soit toléré. Mais l’apparition de ces évangélistes, prosélytes dans une région instable, cachée une bannière étoilée plus ou moins claire, créé des amalgames qui n’arrangent pas les choses dans un pays si fragile comme nous l’avons vu dans nos derniers billets.
Alors future situation à la syrienne ? Pas d’emballements mais attention l’histoire n’est jamais écrite d’avance. Beaucoup de pays se pensant stable sont tombés dans les ténèbres quelque soit la porte empruntée.
Mais « Madame d’Afrique » trône toujours au dessus de Saint-Eugène sous le regard plein de bienveillant et routinier des Algérois.
« Algérie-Maroc… Je t’aime…moi non plus ! » On dirait un tube de Serge Gainsbourg mais en berbère. Ou en Arabe selon les points de vue. Mais on sent la triste farce aliméntée d’une pointe de chauvinisme électorale.
Le 6 novembre, à l’occasion du 43e anniversaire de la Marche verte, le roi Mohammed VI a proposé aux autorités algériennes, dans son discours à la nation, de relancer les relations bilatérales en créant un «mécanisme politique conjoint de dialogue et de concertation» destiné à permettre de régler les différends entre les deux pays. Des termes très « techno » signifiant : « et si on discutait au lieu de se faire la tête ? ». Le parti au pouvoir, les « démocrate-musulmans » du Parti pour la Justice et du Développement a enchaîné le pas afin de régulariser la situation : « «de chercher des solutions dans le but de normaliser les relations bilatérales et dépasser tous les différents qui empêchent l’évolution de la coopération entre les deux pays», a indiqué Saâdeddine El Othmani le secrétariat général dudit parti. Les autorités ont donc ouvert le dialogue avec l’Algérie en pleine période électorale puisque des élections présidentielles vont avoir lieu en mars 2019. à Alger La réponse des autorités algéroises a été tardive et sans appel : « Non ».
Si des milliers d’Algériens, d’Alger à Annaba en passant par Constantine, vont se baigner sur les plages tunisiennes, il n’en ait pas de même sur le front occidental. Seule la contrebande, le fameux trabendo, fonctionne encore notamment en matière d’essence… le reste est surveillé par l’armée.
Cela fait 24 ans que les frontières sont fermées entre ces deux pays du Maghreb occidentale.
La dernière rencontre entre les deux autorités datent de 2005. Après un attentat à Marrakech, Rabat accusa Alger, soutien du Sahara occidentale (dont nous allons reparler)… et le débat fut clos.
Car la date du 6 novembre n’a pas été choisi au hasard par les Marocains.
Le 6 novembre 1975, Hassan II lance un appel à la population marocaine pour marcher sur le Sahara occidentale, alors colonie espagnole au nom de l’appartenance de ce territoire au Maroc. 350 000 Marocains drapeaux à la main firent le déplacement. Une « Marche verte » qui n’a pas plu à Houari Boumédiène et son clan. Un acte leur rappelant étrangement l’impérialisme européen du siècle passé et la volonté d’hégémonie chérifienne dans la région.
Le 21 mai 2018, les Marocains remirent une pièce dans le contentieux en critiquant ouvertement l’appui algérien au Front polisario, le mouvement indépendantiste du (nouveau nom du Sahara occidentale).
Or ce ne serait pas la première fois que l’Algérie soutient des groupes suspectés de terrorisme ou de séparatisme par des pays étrangers puisqu’elle avait hébergé et entraîné les Irlandais de l’I.R.A. et les Basques de l’E.T.A.
En 1976, c’est le départ de l’Espagne…immédiatement le Polisario proclame une République arabe sarahouie démocratique (RASD) et réclame un référendum d’autodétermination. En contrôlant 80 % du territoire de l’ancienne colonie, Rabat considère cette région comme partie intégrante de son territoire et propose comme solution de « compromis » une autonomie sous sa souveraineté. Mais Alger ne veut pas en entendre parler et décide de soutenir les indépendantistes sahraouis.
Seulement à travers ce conflit c’est un peu le « Mythe des deux Maghrebs » qui se joue… une mythologie chargée de stabiliser des pouvoirs en quête permanente de légitimité. D’un côté le Royaume Chérifien, véritable monarchie absolue au Maghreb. Dés l’indépendance en 1956 il revendique la Mauritanie (ancienne possession selon eux…) En 1963, il veulent une partie du Sahara algérien (d’où un premier contentieux avec l’Algérie lors de la guerre des sables), puis récemment ils tentent de prendre possession des Iles Persil, possession ibérique. Le Royaume Chérifien se rêve avec beaucoup d’orgueil en descendant des Almohades et Almoravides. On revendique des terres au nom d’un passé glorieux et mythifié. Un Royaume conquérant. Impérial.
De l’autre côté, on rivalise avec autant de morgue. L’Algérie se rêve encore en « Mecque de la Révolution ». Du temps des « Pieds rouges » ces coopérants français, bulgares ou cubains présents dans les écoles et les hopitaux. Du temps également où le Che se pavanait dans la Casbah cigare au bec, où lorsque le Festival panafricain accueillait en 1969 les Black Panthers, et autres leaders tiers-mondiste…. c’était le bon vieux temps. Dans la lignée de Ben Bella ou Boumédiène, l’ancien ministre des affaires étrangères Bouteflika souhaite rester le dernier des non-alignés, le dernier à ne pas reconnaître Israel-grand ami du Maroc, le dernier à soutenir les Palestiniens, les Sahraouis… tous les Damnés de la terre.
Comme si l’Algérie avait repris de la France, tout ce qu’elle lui reproche en temps normal : la bureaucratie (VISA…) et une certaine arrogance diplomatique…
A l’heure où les deux états apparaîssent comme des hauts lieux du clanisme, du népotisme et de corruption, les mythologies ont la vie dure. Comme des cache-sexe. Arrivés au pouvoir à la même période, Mohammed VI et Bouteflika ne semblent pas enclin à démarrer l’aventure, « Maghreb United ».
Or la pression viendra-t-elle de l’extérieur ?
La diplomatie européenne est trop faible pour parler d’un seul nom et les Algériens ne veulent pas voir les Français s’impliquer sur ce dossier. Les Russes n’ont aucun intérêt dans la région déjà empêtré en Syrie. Il reste l’Oncle Sam.
David Hale, le sous-secrétaire aux affaires étrangère américain a d’ailleurs fait un communiqué le 15 novembre demandant aux frères ennemis de se réconcilier afin de lutter ensemble sur des dossiers aussi sensibles que « le trafic de drogue, l’émigration illégale, le terrorisme… ». Les Américains sont un acteur remuant sur le dossier du Sahara occidentale. Horst Kohler, l’émissaire de l’ONU pour le Sahara occidental, a rencontré mardi 25 septembre David HALE, sous-secrétaire d’Etat américain aux Affaires politiques afin de discuter de la question sahraouie quand l’ONU tente de relancer les négociations entre Rabat et le Front Polisario.
Cette position américaine fait écho à la déclaration de Washington en avril qui espérait relancer les pourparlers d’ici le mois d’octobre 2018, félicitant les efforts de médiation menés par KÖHLER et la MINURSO (Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental) en vue de l’organisation d’un référendum d’autodétermination dans cette région4.
Cette rencontre précède également la remise du rapport du Secrétaire Général de l’ONU concernant le Sahara occidental au Conseil de Sécurité. La présentation a été au mois d’octobre et vient relancer le processus de paix au Sahara occidental, dans l’impasse depuis 2012, date à laquelle le Maroc et le Front Polisario se sont rencontrés pour la dernière fois aux Etats-Unis.
Car les Américains ont toujours eu œil attentif sur l’Afrique du Nord.
Qui se souvient que le premier conflit à l’extérieur du continent américain fut la guerre de Tripoli entre 1801 et 1805 où la marine américaine s’opposa aux Etats barbaresques coupable de piraterie et de razzia sur les bateaux marchands… des Etats composés du Sultanat indépendant du Maroc, des régences d’Alger, de Tripoli et de Tunis, provinces en «théorie » ottomane…
Les Américains mirent pied définitivement dans la région le 8 novembre 1942 lors du débarquement anglo-américain en s’appuyant sur des diplomates efficaces comme le consul Murphy à Oran(du temps où les services spéciaux de l’OSS distribuaient des tracts en arabe aux « Indigènes » pour appeler à la révolte contre l’occupant français…en 1942, en pleine occupation allemande.). Depuis les Américains ont toujours gardé un œil sur l’Algérie chez les universitaires comme chez les diplomates. Le Maroc est un allié de longue date des Américains notamment en matière d’antiterrorisme. Les Américains avaient d’ailleurs soutenu le Maroc contre l’Algérie et ses alliés soviétiques et cubain durant la « guerre des sables ». C’était la Guerre froide dans le chaud Sahara. La très efficace Direction Générale de la Sureté Nationale, peut-être la plus efficace du monde arabe, a reçu une formation appuyée de la part de la CIA. La vieille alliance Maroc-Etats-Unis-Israel est toujours sur pied…du côté Algériens, la troisième voie tant rêvée est sans issue… même la Chine a d’autres chats à fouetter….
Dans cette Méditerranée si agitée, tout le monde auraient intérêt à éteindre des braises incandescentes depuis beaucoup trop de temps… il y a tant de feux ardents ailleurs…
Dans le précédent billet, nous nous sommes attelés à déchiffrer l’identité du premier candidat déclaré aux élections : le président sortant, Abdelaziz Bouteflika. Quelle était son histoire ? Son parcours ? Ses réseau et sa légitimité pour pouvoir briguer une 5ème mandature digne des « Républiques bananières » ? Un homme donc incontournable, inévitable malgré son âge pour un bilan mitigé certes mais un bilan tout de même.
Mais qu’en est-il de l’opposition ? Et d’abord existe-t-elle ? Dés l’indépendance, le Front Libération Nationale fut le seul parti autorisé. Tous les mouvements de contestation (socialistes, Kabyles, communistes, Républicains modérés…) furent éradiqués en utilisant tous les moyens possibles : tortures, arrestations, exils forcés, meurtres etc.
Bachir Hadj Ali, le leader du Parti Communiste Algérien eut le malheur d’être arrété et torturé à deux reprises : par la France coloniale puis l’Algérie de Boumédiène…
En 1989, la nouvelle constitution accorde la vie à d’autres partis… résultat : le Front Islamique du Salut, mené par Ali Belhadj et Abbassi Madani, arrive en tête des municipales de 1990 … en prenant notamment Alger la Blanche devenue bien noire…
On connaît la suite l’Armée arrête le processus électorale de 1991 et s’ensuit onze et longues années de guerre…
Depuis l’opposition végète. Stagne. Capitule en rase campagne et engrange les « Palestro électoraux ». Quelques mairies, peut-être un tiers des députés en moyenne mais comme relève c’est bien peu. La personnalité de Bouteflika mais aussi le manque de leader, tant au niveau intellectuel que politique, l’émiettement de l’électorat et la peur d’une énième aventure tel le FIS… tout cela explique la situation actuelle. Et le pétrole arrose les assiettes à défaut comme dans ce genre d’économie de créer des emplois (qui ne leur sont pas destinés comme nous l’avons vu auparavant). Une dose de chauvinisme antimarocain ou antifrançais lorsque cela va très mal… mais on est loin d’ « un seul héros le peuple » immortalisé par René Vautier.
Mais pourtant les opposants existent certains plus légitimes que d’autres…panorama d’une opposition multiple et variée ;
Le Front des Forces Socialistes apparaît comme l’opposant historique depuis 1989.
Créé le 29 septembre 1963, le parti est une des émanations de la résistance algérienne au colonialisme français. Membre de la Seconde internationale, son créateur n’est autre que « l’intellectuel des neuf chefs historiques » de l’Insurrection de 1954, le Kabyle Hocine Ait-Ahmed. Opposé à Ben Bella, c’est la version « girondine » de la révolution de 1962 : social-démocrate, décentralisatrice et viscéralement attachée à la démocratie, aux libertés publiques et au caractère multiculturelle de l’Algérie. Composé en majorité de Kabyles, région qui donna un nombre très important de combattants pendant la guerre d’indépendance, le parti est un défenseur déterminé de la culture berbère. Ait-Ahmed n’hésite pas quelques années plus tard à regretter le départ des Européens et à défendre l’existence de l’État d’Israel !…preuve de la très grande hétérogénéité idéologique du F.L.N. masqué par la prise en main des Ben Bellistes dés la fin de la guerre ! Qu’importe à l’image de ces leaders, Ait-Ahmed et Krim Belkacem, les militants sont pendant une vingtaine d’années pourchassés (exil, emprisonnement, assassinat…) avant d’être autorisés à rentrer à la fin des années 80 pour subir peu de temps après les foudres des islamistes… Depuis les années 2000, le parti tente de survivre. En dehors de quelques foyers électoraux comme Tizi Ouzou ou la région algéroise, le parti qui possède 14 députés n’apparaît pas en mesure de contester le parti majoritaire, faute de leader charismatique et d’assise sur tout le territoire…sans compter les divisions internes !
Une pale copie de son homologue français…
Les centristes du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie du député d’Alger Mohcine Belabas et les libéraux de Talaie El Houriat le magistrat Ali Benfils, ancien chef du gouvernement, semblent trop isolés pour incarner une alternative crédible.
Les islamistes gardent un électorat plus ou moins volage mais capable de se mobiliser. La crise à la frontière tunisienne, le groupe AQMI au Mali et les nombreux Algériens en Syrie mobilisent les plus jeunes et les actifs de leur militant. De plus, la concorde de 2001 n’a pas vacciné tous les électeurs notamment les plus radicaux et les éternels déçus de 1962. Mais les islamistes ne peuvent jouer sur l’effet de surprise de 90 et ont vacciné beaucoup d’Algériens parmi les plus populaires. Le quasi lynchage par des passant d’un islamiste qui tentait de détruire la statut d’une femme nue près de Sétif montre que les Algériens ne veulent pas revivre une seconde décennie noire. Dans les faits, les partis islamistes, dont celui d’Abderrazak Makri, sont trop divisés pour parvenir à s’entendre sur une stratégie en commun. Les rumeurs d’un noyautage par ces derniers dans l’appareil de l’état frisent, cependant, le fantasme d’une société en manque de repères.
Enfin, Le mouvement « Citoyenneté-Démocratie » plus communément appelé « MOUWATANA » est le petit nouveau. Né en juin 2018, c’est pour beaucoup d’Algériens un sérieux outsider et un peu d’air frais dans ce désert de corruption et de népotisme. C’est officiellement le seul mouvement politique à dénoncer ouvertement un 5ème mandat. Il s’appuie sur une multitude d’associations, de syndicats et de partis unis contre le régime de Bouteflika dont le parti « Jil Jadid » (le « Nouvelle génération») du vétérinaire Soufiane Djilali, déjà opposé au 4ème mandat !
Un nombre important de manifestations à éclater dans les villes d’Algérie comme à l’étranger.
Les valeurs réclamées: la démocratie, le progressisme, la laicité. Ce sont en majorité des jeunes trentenaires et quadras surdiplômés fortement influencés par les Printemps arabes mais également par les différents mouvements européens nés dans les 2010 à l’instar, de Podemos ou des Insoumis. Le problème pour le moment : une tête d’affiche peu charismatique et un manque cruel d’impact chez les couches populaires et dans l’électorat plus âgé.
Mais Bouteflika a des cartes en main. Djamel Ould Abbès, le secrétaire général du FLN et l’ensemble du parti (parti il est vrai peu enclin à la démocratie interne) apportent un soutien clair et sans faille au président qu’il considère « comme un maestro. La centrale syndicale UGTA ou les patrons du FCE d’Ali Haddad également. L’ensemble de l’establishment part derrière son « champion ».
Il faut dire que le ménage a été fait : démission du premier ministre Abdelmajid Tebboune à l’été 2017) et l’été 2018 après la découverte de 700 kilos au large d’Oran plusieurshauts responsables militaires sont démis de leur fonction pour corruption…
La nouvelle n’est pas officielle, ni surprenante, mais fait déjà beaucoup sourire à l’étranger, Abdelaziz Bouteflika postule à 81 ans à sa propre succession pour les élections de 2019.
Cet homme assis dans un fauteuil-roulant après un A.V.C. est absent physiquement de toutes les manifestations populaires et politiques depuis des mois. Remplacé par une photo. Ce dinosaure de la politique, enfin, que certaines mauvaises langues pensent mort, devient à ce jour le seul candidat et le favori en Algérie pour des élections au combien cruciales…
Comment, l’un des pays les plus jeunes du pourtour méditerranéen (27 ans de moyenne d’âge en 2014) peut-il encore laisser son destin à un octogénaire dont l’existence même est remplie de mystère ?
Ce malaise ne vient pas de nulle part…retour en « UBER » sur quarante années de démocratie si fragile dans ce pays qui vit naître saint-Augustin, l’Emir Abdelkader, Albert Camus…
« L’Homme d’Oujda », réputé pour son amour débordant des jolies femmes, est un homme de la guerre d’Indépendance. C’est en grande partie ce conflit qui a fait l’homme politique qu’il est et qu’il reste. Un habile stratège et un séducteur patenté armé d’ un cynisme aiguisé.
Né en 1937 à Oujda au Maroc d’une famille de Tlemcen, Abdelaziz est éduqué au nationalisme au sein des scouts musulmans, véritable vivier de futurs moudjahidines (« combattants » en arabe). En 1956, le jeune homme intègre « l’Armée des Frontières » basée au Maroc. Contrairement à Si Azzedine et d’autres, il ne connaît pas l’épreuve du feu mais va progressivement grimper les échelons de l’appareil clandestin à travers un clan destiné à jouer un rôle central à la fois durant la guerre mais surtout sous l’Algérie indépendante : le Clan d’Oujda. Centré autour de deux hommes, le colonel Boumédiene-futur président-et du colonel Boussouf, sorte de « Béria local », ce groupe fortement politisé et armé va progressivement mettre la main sur l’appareil du Front de Libération Nationale puis sur l’Algérie à partir de 1965. Bouteflika devient rapidement le secrétaire de Houari Boumédiene. Il supervise à la fin de la guerre les troupes basées au sud du pays, à la frontière malienne.
Proche de Houari Boumédiene, il est partie prenante du coup d’état contre Ben Bella le 19 juin 1965. Habile apparatchik, il devient sous Boumédiene un ministre des affaires étrangères particulièrement soucieux de faire de l’Algérie, le chantre du Tiers-monde. Il ouvre des négociations avec la France en faveur de l’émigration économique en signant l’accord du 27 décembre 1968 relatif à « la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et leurs famille ». Il voyage énormément et se fait un solide carnet d’adresse.
Lorsque son mentor meurt, Bouteflika connaît un période plus trouble. Pourtant ministre d’État sous Chadli Bendjedid, il est accusé d’extorsion de fonds et doit s’exiler de 1981 à 1987 où il se lance dans des affaires fructueuses.
De retour au pays, il va, en bon spécialiste, comploter, ferrailler en interne et réussir à gravir pas à pas les sommets de l’appareil du F.LN. qui occupent avec la compagnie pétrolière SONATRACH et l’efficace Direction du Renseignement et de la Surveillance tout le pouvoir. Durant la guerre civile, (près de 100 000 morts et un million de déplacés en onze ans!), il s’oppose à la ligne dure portée par le président Zeroual et choisit une solution plus modérée et plus conciliante avec les islamistes.
Ancien du Clan d’Oujda mais aussi ministre de Boumédiene, il a pour lui la légitimité historique pour incarner en cette période de guerre civile à la fois l’unité de l’état tout assurant un discours de paix civile.
Après les élections « libres » de 1991, la campagne de 1999 est d’une importance cruciale pour le pays. Opposé au socialiste Ait-Ahmed-l’un des « Neufs chefs historiques du FLN », au libéral Mouloud Hamrouche et à l’islamiste Abdellah Djaballah, « l’Indépendant »Bouteflika gagne l’élection dés le 1er tour avec 73,5 % de votants. La réalité est moins lisse puisque les autres candidats se sont retirés du scrutin reprochant le manque de transparence et les fraudes lors du vote. Mais qu’importe, conforté par le Président Zéroual, seul garant de la stabilité des institutions, Bouteflika est élu Président de la République le 20 avril 1999 pour un mandat de 2 ans puis 5 .
Toutes les élections se suivent et sont identiques: des opposants inėxistants, un président surpuissant aidé par une armée et une entreprise d’état et des scores de « démocratie populaire » en sa faveur » : 85 % en 2004, 90,2 % en 2009 et 81 % en 2014.
La messe (à peu près …) est dite!
Mais Bouteflika reste l’homme de la réconciliation nationale. Il crée des aides financières pour les familles des victimes de l’islamisme, il libère les militaires emprisonnés après des exactions contre des membres du F.I.S. … malgré certaines critiques émanant d’associations des droits de l’homme, ces mesures sont appréciées par une population désireuse une bonne fois pour toute, de tourner la page.
Au niveau économique, la flambée des prix du pétrole permet au pouvoir d’enchaîner les grands chantiers : métro d’Alger, amélioration des voies de communication, construction d’une grande Mosquée… le grand problème reste que ces grands travaux sont sous-traités à des entreprises étrangères ne créant que très peu d’emplois auprès des jeunes. Les Chinois sont devenus depuis 2011 le premier partenaire économique du pays devant la France… mais la Chine vient avec ses ouvriers célibataires, sa logistique et ne se mélange que très peu avec la population locale. Une xénophobie commence sérieusement à éclore dans un pays ayant rompu tout contact avec l’altérité depuis l’exil des Pieds-Noirs… en 1962. (Paradoxe 1)
Cette période est également une ère de scandales financiers où une caste mêlant hommes d’état, militaires et nouveaux riches vont se partager un pactole alors qu’une grande partie des Algériens est confronté au chômage et à la pauvreté… les affaire Khalifa et SONATRACH eurent par exemple une raisonnance particulière dans l’opinion…
Culturellement, l’Algérie de Bouteflika est une Algérie souffrant de schizophrénie. Berbérophone ? Arabophone ? Francophone (la langue de l’ancien occupant) ? Socialiste ? Islamique ?… ou tout à la fois ?
Tiraillé depuis sa naissance, entre une frange « occidentaliste et francophile » et une tendance « national-islamiste » dont les têtes pensantes étaient formées à Kairouan ou au Caire, loin de la Sorbonne. Ce pays a plus de mal qu’il n’y paraît avec son identité culturelle. La guerre civile a forcé Bouteflika à donner des garanties aux conservateurs. Dans la ligne droite de la politique d’arabisation de « Bendjedid », Bouteflika a fait fermé en 2006 , 42 établissements francophones tout en mettant ses frères et enfants dans des établissements privés tenus par… des prêtres français.
Le Printemps noir des Kabyles en 2001 a également obligé le gouvernement à offrir des garanties linguistiques et culturelles à ces irréductibles montagnards à la fois « humiliés » culturellement mais pourtant si présents au sein des armées ou de la police. Paradoxe (2)
Au niveau diplomatique, l’Algérie de Bouteflika reste dans la ligne « tiers-mondiste » de Ben Bella et Boumédiene. Soutien déterminé des Palestiniens, l’Algérie a toujours ses frontières fermées à l’ouest avec son voisin marocain. Elle s’est également rapprochée des Américains notamment sur les questions de sécurité bien qu’historiquement très attaché à son armurier russe.
Avec la France, c’est une autre danse… l’ancienne puissance coloniale garde des intérêts économiques importants en Algérie même si la Chine l’a dépassé et que les Italiens arrivent à grands pas. Au niveau politique, les liens entre l’ancien lieutenant des Chasseurs d’Afrique Jacques Chirac et « Abdelkader El Mali » ont globalement été bons. Bouteflika a toujours eu un rapport conflictuel avec la France fait de mépris et d’admiration. Ancien moudjahidine, il a très souvent surjoué les contentieux historiques en période de crise tout en se faisant soigner aux hôpitaux de Grenoble et du Val-de-Grâce… Paradoxe (3)
Porté par sa politique au Proche-Orient (Palestine, refus de la guerre en Irak…), le Président français a jouit en Algérie d’une sympathie qui ne sait jamais affaibli… l’extrême inverse de son successeur Nicolas Sarkozy. Entre son atlantisme assumé, le projet de loi sur « le rôle positive de la colonisation » et ses discours sur l’identité national (quand près de 3 millions d’Algériens et de Franco-Algériens vivent en France) ont porté un coup terrible aux rapports entre les pays. L’arrivée de François Hollande (ancien stagiaire à l’ambassade d’Alger) que continue son ancien conseiller Emmanuel Macron a adoucit les rapports entre les deux pays entre reconnaissance de certains crimes coloniaux et opérations militaires au Mali… une situation qui s’explique par la fin dans les deux pays, de générations au pouvoir ayant combattu durant la guerre d’Algérie.
Dans un monde « arabo-musulman » qui a connu les « printemps arabes », l’Algérie est une exception. Seule pays se revendiquant du socialisme, il est également le seul à avoir obtenu son indépendance après une guerre brutale et le premier a avoir subi l’islamisme avec les années noires. Ces deux périodes sont déterminantes si on veut comprendre l’âme de ce pays.
Mais le pays a changé. Il est jeune (27 ans de moyenne d’âge en 2014), connaît un des chômages les plus lourds d’Afrique (avec 17 % en 2014) et son pétrole n’est pas éternel. La majorité des forces vives du pays ne pensent qu’au fameux « VISA » pour la France ou pour l’Amérique du Nord et des manifestations ont commencé à éclater les cinq dernières années. Les procès contre des militaires tombent comme des flocons de neige sur les sommets du Djurdjura.
Bouteflika, malgré les railleries et le caractère surnaturel de sa candidature, est toujours un symbole. Usé certes mais existant. Il est à la fois le dernier représentant des « Résistants de 1962 », avec ses travers et ses espoirs mais aussi l’homme de l’unité en 1999.
Pour finir, le fait qu’un homme de 81 ans reste au pouvoir montre également l’inertie de cette société qui n’a pas su réellement relever le tournant démocratique de la fin des années 1990. La corruption, les pleurs et le sang peuvent expliquer beaucoup de choses mais pas tout non plus…Si les années noires ont calmé la population de toute dérive islamiste, on ne voit pour le moment aucune alternative crédible…les jeunes ont paradoxalement déserté les engagements militants au profit d’autres préocupations que la gestion « politique » de leur pays… un mot comme « survie » semble être devenue la priorité mais sans« se remonter les manches » et prendre son destin collectif en main comment avoir un avenir viable avec un projet collectif ? Afin de résister : être libre, indépendant, fier (sans orgueil)…
Combien de temps cela va-t-il durer… c’est un autre tour de « UBER » pour Tobrouk » qu’il nous faudra…
L’actualité est décidément un écho permanent à l’histoire.
Un va-et-vient incessant entre les périodes les moins glorieuses de notre vie publique depuis la Libération.
L’affaire Alexandre Benalla a donc fait ressurgir un vocabulaire d’un autre siècle que l’on pensait révolu . Par naïveté ? Par romantisme ? L’opposition parlementaire, de droite comme de gauche, s’est donnée à coeur joie pour qualifier cette situation digne des Pieds Nickelés dans laquelle s’est fourvoyé le pouvoir macroniste : « Barbouze ».
Le mot arrive tranchant comme une lame, terrible semble la sentence … mais c’est quoi une barbouze au juste ?
Retour vers ce fait divers digne d’une Vème République :
Un membre du Cabinet d’Emmanuel Macron est filmé avec un casque et un brassard de la « police » en train de cogner sur des manifestants un 1er Mai. Le jeune homme, âgé de 26 ans, du nom d’Alexandre Benalla, a commencé ses gammes au sein du service d’ordre du Parti Socialiste puis est devenu attaché à la sécurité du candidat Macron lors des élections présidentielles de 2017. Promotion très rapide puisqu’ il intègre le cabinet présidentiel avant cette bévue monumentale.
Le résultat : le premier gros couac de la planète Macron et un énième scandale pour une République encore une fois fragilisée par un népotisme si loin des promesses de campagne…
En Marche … Arrière .
L’embellie de la bande à Deschamps aura été bien plus courte que celle de France 98 mais a qui la faute après tout ?
Au « gros bras » et à son commanditaire…Emmanuel Macron.
Un petit récapitulatif s’impose.
Ce terme a été popularisé par l’excellent Georges Lautner en 1964 dans une parodie burlesque des films d’espionnage. Le mot est pourtant né dix ans auparavant dans le cerveau d’un certain …Dominique Ponchardier, écrivain de polar à succès. Or ce gaulliste de choc, Compagnon de la Libération, a eu parallèlement à sa vie littéraire un après-guerre plutôt musclé… au sein de ses fameuses Barbouzes (encore et encore) mais les vraies cette fois-ci, les dures. Ces hommes venus d’environnements assez différents, furent regroupés, nous allons le voir, afin de lutter en pleine guerre d’Algérie contre les partisans de l’Algérie française et en particulier les « plus excités » : l’Organisation Armée Secrète.
Le tout avec des méthodes prohibées pour les services de l’état, dans un état de droit qui plus est. Des actions semi-clandestines, en « fausse barbe »… des pratiques musclées en période de quasi guerre civile loin de cette vulgaire estocade de voyou comme l’illustre cette scène inondant nos téléviseurs et notre presse depuis quelques jours.
Vie et mort de Lucien Bitterlin
Cette parenthèse politico-linguistique nous permet dans ce premier billet d’ « Un UBER pour Tobrouk » de revenir également sur une mort passée quasiment inaperçue l’année dernière mais symbolisant elle par contre le côté sombre de la période algérienne mais aussi toute la profondeur des relations franco-arabes depuis 50 ans : celle de Lucien Bitterlin, le créateur des vrais Barbouzes pour le coup… en chair et en os.
C’était il y a plus d’un an, un 11 février 2017… son décès ne fit aucun bruit.
Né le 15 juillet 1932, le jeune Titi parisien commence sa carrière comme journaliste à l’Agence France-Presse puis comme producteur de radio. Trop jeune pour la Résistance, il milite néanmoins dés les années 50 au sein des organisations de jeunesses gaullistes à Paris. C’est dans ce cadre qu’il va connaître son premier engagement « physique » et politique avec le monde « arabe » : l’aventure des « Barbouzes » (encore et encore…).
Récemment arrivé au pouvoir, le pouvoir gaulliste, crée le 9 juillet 1959, en pleine guerre d’Algérie le « Mouvement pour la Coopération ». Recrutant chez les Jeunes gaullistes, cette structure est chargée d’assurer les liens entre la France et ses anciennes colonies africaines amenées à devenir indépendantes.
Sur Paris, le mouvement est dirigé par Jacques Dauer et tient un rôle plus « politique » loin, très loin de l’incandescence algéroise…
De son côté, Lucien Bitterlin devient le secrétaire général du Mouvement qui s’installe dans la préfecture algérienne : Alger.
Cette structure est chargée en toute logique de soutenir la politique algérienne du Général dans une période trouble où partisans de l’Indépendance et du maintien de l’Algérie française s’affrontent politiquement et…physiquement.
Epaulé par des « Gaullistes de la première heure » comme Pierre Lemarchand, André Goulay ou le commissaire Michel Hacq (tous passés par les rangs de la France Libre ou de la Résistance Intérieure), le mouvement va rapidement être chargé de lutter physiquement contre les partisans de l’Algérie Française regroupés après la tentative de putsch d’avril 1961 au sein de l’Organisation armée secrète.
La structure dirigée par Jean-Jacques Susini recrute de plus en plus chez les Européens d’Algérie comme chez les militaires en rupture de banc déterminés à combattre la politique « libérale» et la « trahison » du général de Gaulle.
Bitterlin recrute en toute logique chez les anciens Résistants (autour des Frères Le Tac), dans les cercles d’arts-martiaux (le célèbre dojo parisien de Jim Alcheik ) jusqu’à la pègre et Jo Attia. Ces hommes mènent une lutte sans merci contre les commandos Delta dans les rues algéroises puis sur l’ensemble du territoire. Colis piégés, embuscades… tous les coups sont permis dans la Ville Blanche.
Composés de près de 200 hommes, les militants usent de méthodes « musclées » et controversées comme lors de l’affaire Camille Petitjean (un militant de l’OAS et ancien résistant séquestré et torturé par des « Barbouzards »).
L’organisation, de par les actio,s de certains de ses membres, finit par se couper en deux et par perdre de son influence. Jacques Dauer critique amèrement les méthodes employées. La structure périclite.
Bitterlin retracera cette expérience dans « Histoire des Barbouzes ».
Spécialiste reconnu du Proche-orient, le journaliste s’engage dés la fin de ce qui apparaît encore comme les « événements d’Algerie » dans la diplomatie parallèle à destination du monde arabe.
Pendant plus de quarante ans, Bitterlin va oeuvrer à maintenir des liens constants en multipliant les réseaux d’amitiés tout autour de la Méditerranée. Proche toujours plus proche des dictatures laiques du Proche-Orient.
En 1963, il participe avec Germaine Tillion, Edmond Michelet à la création de l’association « France-Algérie », une association désirée par le général de Gaulle pour garder des « contacts » avec le nouveau pouvoir.
Quelques années plus tard, Bitterlin décide de créer avec d’autres militants « historiques de la cause arabe » comme Claude Bourdet (Compagnon de la Libération , ce catholique de gauche a été un ardent militant de la cause algérienne) une association « France-Palestine » chargée de créer de liens avec les autorités palestiniennes en exil. Fin connaisseur de la Syrie et du Liban, il va nouer des liens très forts avec le dirigeant baasiste Hafez el-Assad comme avec les différents leaders libanais et palestiniens. Disposant d’un large carnet d’adresses, il devient un intermédiaire central entre l’État français et les pays du Proche-Orient notamment lors de la libération d’otages. Ainsi Bitterlin, en sa qualité de Président de l’Association de solidarité franco-arabe, négocie directement avec le mouvement terroriste palestinien « Fatah-CR » pour la libération de deux jeunes filles, les Valente, qui sont libérés à la fin du mois de décembre 1988. Proche des services secrets français, il est constamment sollicité en période de crise par la majorité des gouvernements de la Vème République, droite et gauche confondues.
En toute logique, Lucien Bitterlin devient de 1968 à 2008 le Président de l’Association de solidarité Franco-Arabe (créée en 1967) et le rédacteur en chef du mensuel « France-Arabe ». Il est également pendant deux ans l’administrateur de l’Institut du Monde Arabe entre 1984 à 1986.
Féru d’histoire, ce passionné de géopolitique va rédiger neuf ouvrages dont plusieurs sur la Syrie comme « Hafez El-Assad, le parcours d’un combattant » ou encore «Alexandrette, le Munich de l’Orient ou quand la France capitulait ». Avec toujours une vision bien particulière…assez loin des printemps arabes mais à des années-lumières de l’islamisme radical. Avec un toujours un brin de nostalgie.
« Cheveux noir, visage en lame de couteau, louchant très légèrement et fine moustache à la Clark Gable » pour reprendre le portrait de George Fleury (Algérie française à l’époque), Bitterlin aura perpétué une tradition française portée par les universitaires (Louis Massagnon, Jacques Berque) ou les militaires (Vincent Monteil, Pierre Rondot) en faveur d’un certaine idée de la France et de la cause arabe.
A travers ces groupes d’amitiés, ces écrits ou ces activités parallèles, l’ancien producteur gaulliste aura tenté de maintenir des liens très forts entre la France et les pays du Maghreb et du Proche-Orient, particulièrement dans les moments de crise comme ce fut le cas lors du conflit libanais ou de la première guerre du Golfe.
Une mort anonyme pour un activiste des plus endurants, malgré des méthodes souvent douteuses, né dans un pays si… amnésique par moment.
Si les trois B (Bitterlin, Barbouze, Benalla…) démontrent les failles d’un système aussi complexe que celui de la Vème République, la comparaison malgré le romantisme estudiantin de certains, s’arrête là. Ces anathèmes à l’emporte pièce ne permettent pas de comprendre et d’analyser la situation telle que nous la connaissons aujourd’hui aussi ridicule et symptomatique soit-elle.