La « dissidence » au Maghreb en question.

« Dissidents du Maghreb depuis les indépendances »

La démocratie au Maghreb  reste une énigme en Occident.

Près de 60 ans après les indépendances, la question est toujours d’actualité. En dehors des islamistes, elle apparaît comme floue, stérile. Presque une utopie.

Où est la dissidence ? Qui est-elle ? Quelles sont ses réseaux ?

En dépit des railleries des nostalgiques d’un Maghreb français ou des naïves interrogations de quelques tiers-mondistes, la situation est complexe et peut laisser perplexe.

Entre la réélection d’un président octogénaire et grabataire en Algérie, une monarchie omnipotente et omniprésente au Maroc et une Tunisie toujours en transition plus de sept ans après les Printemps arabes, la question de l’opposition au pouvoir reste d’actualité. Pourtant les dissidents et les opposants ont toujours existé depuis l’indépendance de ces pays. Car non il n’y a pas eu de dimension bonapartiste dans ces régimes entre un homme -et parfois un clan- et son peuple. Bien au contraire, des hommes qui souvent s’étaient battus pour l’indépendance nationale, ont gardé un goût d’inachevé lors des indépendances. Ils espéraient et s’étaient battus pour des sociétés libres et plurielles. En vain.

C’est leur histoire que décrit l’excellent ouvrage « Les dissidents du Maghreb depuis les indépendances » paru chez Belin en 2018. Les auteurs sont des spécialistes reconnus du Maghreb. Bien avant ces analyses sur le mouvement des Gilets jaunes dans « le Figaro » Pierre Vermeren est avant tout un orientaliste, professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne et éminent spécialiste du Maroc et du Maghreb contemporain. Khadija Mohsen-Finan est politologue, spécialiste de la Tunisie et une des responsables de la revue « Orient XXI ».

Les deux universitaires ont classé les figures de la résistance au Maghreb en grandes familles. Nationalistes éconduits au moment des indépendances (Salah Ben Youssef en Tunisie, Mehdi Ben Barka au Maroc, Hocine Aït Ahmed en Algérie), gauchistes dans les années 60 et 70, berbéristes (kabyles, rifains), islamistes, puis défenseurs des droits de l’homme…  ces hommes et ces femmes, dont nous suivons les pas dans ce remarquable travail, ont lutté avec acharnement et conviction en faveur d’une vie démocratique dans leur pays.

La réponse de ces Etats autoritaires nés de la décolonisation a été systématiquement la même : la prison, l’exil ou la mort. Chacun des trois pays a une histoire qui lui est propre mais la tendance à une dictature policière est rapidement apparue symétrique et implacable. Parfois aidée de l’extérieur.

Si bien que lorsque ces pouvoirs ont tenté un dégel démocratique, la solution du recours apparue vaine… ou pire. Devant l’interdiction des syndicats et des partis d’opposition, seuls les islamistes inspirés des Frères Musulmans égyptiens sont apparus comme un recours au pouvoir sortant. De quoi conforter par une cynique dialectique l’existence d’un pouvoir policier. Infiltrant les mosquées, les clubs sportifs ou les associations de quartiers, ils ont souvent palliés socialement des Etats corrompus en donnant « leurs » mots à des colères populaires. Ce fut le cas en 1989 après le changement constitutionnel en Algérie où le Front islamique du salut a gagné les élections locales avant de précipiter le pays dans une guerre civile sanglante de plus de dix ans. On peut bien sûr citer plus récemment Ennahdha après un Printemps ayant illuminé d’espoir une région politiquement triste et monolithique. Au Maroc, l’islamisme s’est limité aux campus avant d’être muselé par l’autorité royale. Mais les bombes ont ensanglanté Casablanca en 2003…

Hocine Ait Ahmed

Ces conflits internes ont débuté tôt. Dès le début de la guerre d’Algérie, la lutte entre Messalistes et militants du Front de Libération Nationale a fait des centaines de morts en France comme en Algérie. L’objectif était de contrôler la résistance. Imposer ses choix et ses hommes. Puis la lutte s’abat dans le camp des vainqueurs. Abane Ramdane, l’un des organisateurs du Congrès de la Soummam, est étranglé dans une ferme marocaine en 1957 parce qu’il s’opposait – déjà – aux dérives autocratiques des dirigeants du Caire et d’Oujda . A la libération, les emprisonnements et les assassinats s’accélèrent.

Le musicologue et secrétaire du Parti communiste algérien Bachar Hadj Ali est emprisonné par le nouveau président Ahmed Ben Bella. Ce dernier est emprisonné à son tour par son successeur Boumédiene. Le socialiste Ait Ahmed, l’un des intellectuels les plus fins du FLN pendant la guerre d’indépendance, est contraint de s’exiler au bord du lac Léman après s’être évadé de sa geôle algéroise. La Kabylie, sa région d’origine, une des Wilayas les plus téméraires contre les troupes coloniales, se rebelle dés 1963 contre une centralisation qu’elle juge excessive et inégalitaire. Au Maroc, c’est le Rif qui accumule les révoltes depuis 1956 jusqu’à aujourd’hui. Avec cependant des leaders contemporains moins charismatiques. L’armée et l’ancien Tabor de l’armée française, Oufkir, tente des coups d’états dans les années 70… échec et reprise en main musclé par Rabat de cette institution.

En Tunisie, Bourguiba éradique son rival Salah ben Youssef et le fait abattre en 1961 en Allemagne.

Pendant longtemps, la France ferme les yeux sur ce nouveau paradis touristique, aux femmes émancipées, comme le montrent les cartes postales qui oublient de raconter l’exil forcé des opposants socialistes, militants des associations des Droits de l’Homme …

Les meurtres continuent. Parfois loin de leur frontière comme celui du trésorier du FLN, Mohamed Khider assassiné à Madrid en 1967 ou ledu signataire des accords d’Evian, Krim Belkacem en 1970 à Francfort, à chaque fois par la Sécurité militaire algérienne.

Car ces régimes s’appuient sur des services de répression implacables mené par des « Bérias » orientaux aux noms de Boussouf, Dlimi. Ces organisateurs hors-pairs, s’appuient sur des militaires chevronnés ou des voyous pour liquider cles dissidents, ce nom reflétant en d’autres lieux le stalinisme, Soljenitsyne… Souvent ces crimes se font avec l’aide de pays étrangers. Amis dit-on.

Le cas le plus connu reste bien entendu le meurtre de Mehdi ben Barka. Ce professeur de mathématique socialiste avait joué un rôle très important durant l’indépendance du pays. Mais ce leader tiers-mondiste, membre du Parti socialiste doit assister à la Conférence Tricontinentale à La Havane en janvier 1966. Ce principal opposant au Roi, très critique sur la guerre des Sables opposant son pays à l’Algérie n’ira nulle part. Il est arrêté le 29 octobre 1965 devant la brasserie Lip, boulevard Saint-Germain à Paris. Une arrestation et un assassinat mêlant membre du Milieu, services spéciaux français et marocains.

Aujourd’hui, l’opposant semble avoir changé. Les modes opératoires également. Le texte court d’un forum internet a remplacé les articles stylisés des journaux des années 60. La foule un parti structuré.

Symbole que le temps ne change pas, cet ouvrage, particulièrement réussi encore une fois est pourtant boycotté de l’autre côté de la Méditerranée. Dans les trois pays. Preuve que la liberté d’expression et l’autocritique ne font pas bon ménage et dérange dans cette région du globe.

Preuve, encore une fois, que les mœurs tardent à changer. La solution viendra-t-elle des nouvelles générations ? Si elles n’émigrent pas ou ne se résignent pas, peut-être.

Comprendre le Maghreb, et sa complexité, c’est entendre tous les cris de Casa à Tozeur en passant par Belcourt. Cris de douleur, de détresse, de colère et d’espoir.

Choeur fraternel entre les deux versants de « Mare Nostrum ».

4 réponses sur “La « dissidence » au Maghreb en question.”

  1. Tout y est vrai.
    Mais tellement sorti du contexte que cela devient faux ; mensonges par omission.

    Car nous sommes loin d’une problématique spécifiquement « maghrébine » comme laisse entendre cet article ; à commencer par le titre.

    A lire on oublierait presque qu’il s’agit de pays arabo-musulmans et que TOUS ces pays, à savoir les 22 membres de la « Ligue Arabe », souffrent de maux semblables sinon pires.

    Diagnostiques et remèdes n’y peuvent donc pas être pensés dans le cadre limité du Maghreb.
    En conséquence la culpabilité « coloniale », traduisez française, souvent évoquée comme prétexte par ces régimes, disparait de l’équation.

    Les causes en sont consubstantielles à l’état dégradé et arriéré de TOUS ces pays ; alors que certains possèdent un sous-sol richissime et que tous descendent d’une civilisation qui fut pionnière et conquérante il y a encore 7 siècles.

    On est en droit de demander POURQUOI. Se limitant au Maghreb ce texte s’affranchit de cette question alors qu’elle est la principale.

    Par ailleurs la terminologie de cet article n’a rien d’innocent ni de neutre. Dire «…résistance au Maghreb » cherche à mobiliser une empathie française en jouant sur la corde culpabilisatrice.
    Efficace, vu que la France n’a pas encore soldé ses comptes avec sa propre « non-résistance ».
    Evitons de rappeler les détails qui fâchent…

    Cela permet d’occulter la nature de la « résistance » aux régimes en place de ces pays. Une tyrannie islamiste corrompue y aspire à renverser une dictature militaire encore plus corrompue ; ou le contraire.

    Non, je n’ai pas dit qu’ils se portaient mieux en étant colonisés…

    1. Bonsoir monsieur,

      je vous remercie pour ce commentaire sans accepter pour autant le terme de « mensonge par omission », qui est loin du compte.
      A aucun moment je n’ai écris ni même pensé que la France était LA responsable de ce marasme. Ces pays jeunes se sont laissés tout seuls engrainer par ces régimes bien que le modèle colonial fut loin d’être une réussite…
      Ce billet appelait l’existence d’un ouvrage boycotté dans ces pays traitant exclusivement de l’opposition et du Maghreb (Quid du reste).
      Il est bon de rappeler que plus que les sous-sols (qui peut s’avérer un piège si l’argent n’est pas utilisé à bon escient par un état stratège, la crise au Venezuela le montrant parfaitement). Vous oubliez de parler de la situation de ces territoires à leur indépendance, de jeunes états n’ayant jamais connu la démocratie libérale, essentiellement composée de fellah illettrés, de nations aux cultures très diverses sans élites digne de ce nom.
      Quand à votre discours sur « état arabo-musulman », « arriéré », je ne crois pas au déterminisme (que je juge extrêmement réducteur) et je ne suis pas sur que le modèle ultra-libéral, productiviste et consumériste soit la panacée du bien-être universel. La remise en question de ces sociétés ne doit pas oublier que la notre n’a jamais été effectué concernant le regard que nous portons sur nos anciennes colonies.
      Tous mes articles s’efforcent de montrer des sociétés qui évoluent malgré des histoires très différentes, loin du regard souvent binaire que nous portons sur le monde.

      Bien cordialement.
      CG.

  2. Plus que Ait Ahmed, dans l’imagerie Kabyle, sur Bejaia, la figure de Maatoub Lounes est déifiée. Juste, je dis ça pour montrer que j’ai jeté un œil comme promis. Je regarde les autres mais il faudra que tu m’expliques le pourquoi…

    1. Ait Ahmed est resté trop longtemps en exil en Suisse. de plus Amirouche apparaît toujours comme le symbole kabyle de la guerre d’Indépendance. Ait Ahmed garde une image d’un intellectuel froid alors que Maatoub Lounes est un symbole culturel et populaire du berbérisme. Avec plus de chaleur. Et un martyr en plus.

Répondre à Cyril Garcia Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *