« Terreur de jeunesse »: témoignage d’un ancien djihadiste français.

Ce livre aurait pu s’appeler « Voyage au bout de la nuit » ou au « bout des mille et une nuit » tant cette aventure reflète le destin d’une génération d’Européens dans les méandres du djihadisme des années 90. Un tunnel long et étroit dont beaucoup ne trouvèrent jamais une véritable sortie. L’auteur, un lyonnais nommé David Vallat, converti à l’islam salafiste dans sa forme la plus violente, a tour à tour combattu en Bosnie puis en Afghanistan avant de s’acoquiner aux terroristes comme Khaled Kelkal, l’auteur présumé des attentats du métro Saint-Michel en 1995. Après cinq années de prison et de saines lectures, l’auteur a fait un énorme travail sur lui-même pour nous livrer ce magnifique témoignage sorti en 2017 suite aux attentats des frères Kouachi.

Son « Terreur de jeunesse » est à la fois un exil intérieur auprès d’une jeunesse désœuvrée et sans véritable repère dans une France ouvrière et provinciale. La France des Gilets jaunes mais pas que… Seulement, le parcours de David est également une véritable odyssée le long de cette route de la soie, où se mène un djihad militaire au centre d’une région stratégique depuis des siècles. Un jeune Français converti à l’islam au centre d’enjeux qui le dépasse. Un engagement dans le djihadisme international en forme de va-et-vient, dans un périple inique pour n’importe quel Français de sa génération. Et en particulier lorsque l’on vient d’une petite cité ouvrière de Villefontaine, entre l’Isère et le Rhône, à deux pas de la Loire. Au milieu de tout et de rien. Aîné d’une famille de quatre enfants, élevé dans une famille populaire et monoparentale, l’auteur passe son enfance comme des millions d’autres entre football et rigolade sur le parking du quartier. Le petit gaulois au teint hâlé grandit au milieu d’enfants d’immigrés turcs, portugais, et maghrébins dont les parents sont venus travailler dans nos usines, aux côtés de Français de plus vieille souche issus de l’exode rural. La communauté maghrébine, notamment Algérienne, y est majoritaire. David rencontre donc l’islam avec des amis d’enfance qui ne le pratiquent souvent que par mimétisme familial sans en connaître les tenants et les aboutissants, religion du repli sur soi souvent éloignée de toute spiritualité.

Etre confronté à d’autres cultures peut être une source d’enrichissement personnel comme de frustration identitaire lorsque les piliers censés incarner son propre pays semblent défaillants à faire vivre ce tout. L’école, jadis assimilationniste et républicaine, est en décomposition, et le mal est déjà fait lorsque la Grande Muette l’appelle pour le service militaire. Crêpe sur la tête, sa formation militaire et une certaine discipline transforment le jeune homme déjà déscolarisé aux portes de la délinquance. Marqué par les cours d’histoire sur la Seconde Guerre mondiale, le petit-fils de militant communiste, rêveur et idéaliste, est frappé par la violence subie par les Bosniaques, coreligionnaires certes mais victimes de l’Histoire. La naïveté adolescente est ainsi hameçonnée par de cyniques pêcheurs-prêcheurs de l’islam politique le plus dévastateur.

Aventure tant tiers-mondiste que religieuse, internationalisme vert et noir, teintée d’un rouge si tragique, ces combats dépassent très largement les frontières hexagonales pour mieux combattre ses propres démons. Il décide en février 1993 de rejoindre des combattants bosniaques à Mostar. Avec d’autres compagnons d’infortune, il traverse en voiture toute l’Italie jusqu’à Trieste avant de rejoindre les Balkans. Chance ou malchance, la Croatie et la Bosnie alliées contre la Serbie avant leur départ, se déclarent la guerre lorsqu’ils sont en voiture. Ils échappent de peu la mort, désarmées. Mais ce court voyage reste formateur. Sur place, ils sont au contact d’une culture slave bien plus variée qu’il ne l’imaginait, dans cette poudrière sanglante que fut l’ancien « royaume » du maréchal Tito. Une guerre où ces moudjahidines venus mourir en martyrs sont très mal vus par les Bosniaques, musulmans culturels et amateurs de rakia comme de bonne chère. Cette première aventure s’avère un fiasco qui ne rompt pas pour autant l’élan du jeune homme plein de testostérones et d’illusions.

Le périple se prolonge, devient sérieux. Le Pakistan, officiellement allié des Américains mais au comportement trouble. Peshawar. L’Afghanistan, ses montagnes arides peuplées de populations pauvres mais vaillantes, auréolées d’une victoire sans précédent sur les Soviétiques, Kandahar. Ils fréquentent sur place les camps d’entraînement djihadiste au milieu de soldats de Dieu aguerris et fanatisés. L’ancien chasseur alpin fait vite ses preuves mais subit un racisme pour le moins surprenant chez ces tenants d’une Oumma imaginaire. Le « gaouri », terme venu du persan désignant ces mécréants de Français, entraîne des réponses particulièrement virils de sa part. Après quelques escarmouches, il retourne en Europe avec l’espoir tenace de combattre. Là, il fréquente les quartiers les plus sensibles du continent, véritable guêpier où se côtoient schizophrènes et petites frappes devenus fous de Dieu en deux coups de tapis de prière. Avec d’autres islamistes, il transporte faux passeports et armes à tout le gotha des ghettos djihadistes, du Londonistan à Molenbeeck en passant par les Minguettes, le tour d’Europe de l’apocalypse conforté par un indéniable déni des pouvoirs publics.

Au fil du temps, une rencontre avec des membres de Groupes Islamiques Armés lui sert de déclic. Combattre des nationalistes Serbes ou des hommes en treillis lui semblaient un chemin honnête mais lorsque ces hommes nommés Kelkal commencent à envisager de s’attaquer aveuglément à des civils, cela dépasse son imagination. On imagine la phrase pleine de sens d’Albert Camus trotter dans sa tête. Le Prix Nobel choisissant « sa mère plutôt que la justice » en pleine guerre d’Algérie. Le dépucelage par le réel.

Tout stopper avant qu’il ne soit trop tard. La police l’arrête… à temps.

Au milieu de portraits, paysages et introspections, le désormais cadre d’une entreprise de métallurgie et père d’une petite Sarah, analyse froidement son parcours sans se chercher d’excuses. Son travail lui permet aujourd’hui d’intervenir dans les médias afin d’analyser une mouvance qui malheureusement ne tarit pas. L’écriture de son livre est concise, claire et sans fioriture, ni complaisance. Son témoignage riche et dépassionné s’avère fondamental pour comprendre une jeunesse en manque de repère, idiots utiles d’une idéologie nihiliste, amenés à suivre la pire des voies possibles : le meurtre au nom d’un crépuscule sanguinaire et démoniaque. Triste comble.

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