Rapport Stora… mettre les pieds dans le plat.

Le rapport « Stora » rendu mercredi par l’historien du même nom au Président de la République est déjà contesté et houspillé de part et d’autre de la mer Méditerranée. Emettre une histoire complète sans déclencher des débats passionnés sur ce sujet est impossible à l’image de cette Algérie, autrefois plurielle, et les mémoires et les histoires sont diverses et conflictuelles. Chacun des acteurs se renvoie la balle dans une partie de tennis mémorielle sans filet moral ni recul. Bien sûr les réseaux s’agitent dans tous les sens et ce quelque soit le camp. Les rejetons de la gauche anticolonialiste et les nationalistes algériens critiquent un rapport jugé comme beaucoup trop complaisant avec l’ancienne puissance coloniale. On lui reproche même un vocabulaire jugé trop light vis à vis de Paris. Benjamin Stora devient un laquais de Macron. Rien que cela.
On peut reprocher beaucoup de choses à Benjamin Stora mais personne ne peut douter de son intégrité intellectuelle ni de son courage qui faillit lui coûter la vie à plusieurs reprises. Nous ne venons pas des mêmes galaxies intellectuelles, lui venant du trotskisme et moi de la gauche souverainiste. Je dois avouer également l’existence de sa préface sur mon premier ouvrage concernant le rôle des Historiens pendant ce conflit et plus largement des courants intellectuels actifs à cette époque. Il faut être honnête. J’ai bien sûr des désaccords de fond avec lui sur sa vision de la nation ou de l’émigration mais personne, hormis les aigris, ne peut lui reprocher d’avoir tenté de coller au plus près de la réalité dans ses ouvrages comme dans « La gangrène et l’oubli ».
Petite parenthèse, on peut tout d’abord se questionner, sur les raisons ayant poussé Emmanuel Macron à demander un tel rapport sur un sujet aussi sensible en pleine période de confinement, précédée de la crise des Gilets jaunes. A trop parler de séparatisme, Emmanuel Macron est devenu l’antithèse de la Vème République, l’autorité au service de l’ultralibéralisme. Les paniques identitaires empêchant ainsi toute unité populaire.
Or, un tel rapport ne peut se faire sans une coopération d’historiens français et algériens. Pas un éternel colloque entre pédants bavards, mais un travail de somme comme de fond entre des spécialistes ayant durement étudié ces sujets, éloignés des récupérations politiciennes et pseudo-intellectuelles. Trop de militants cachés sous un scientisme des plus obscènes ont fait beaucoup de tort à une histoire déjà si sensible et si volcanique. Car comme me le rappelait Marc Ferro, les liens entre la France et l’Algérie sont un mélange de haine et d’amour. Ce dernier sentiment, d’une rare noblesse, est malheureusement caché sous l’orgueil des différents groupes « pourrissant » toute réconciliation que l’idée de ce rapport aurait dû contribuer à esquisser de manière durable.

En Algérie, la majorité des jeunes qui luttent contre le pouvoir en place n’est plus dupe de la stratégie utilisée depuis longtemps de dénoncer les autres pour mieux se couvrir. Si certaines figures du nationalisme algérien font figures de symboles, cette jeunesse rêve d’avenir plus que de nostalgie. Cependant, les Algériens, élevés au lait FLN, et incapables de remettre en question leurs dirigeants, ont beau jeu de demander à la France repentance et excuse lorsque de l’autre main ils demandent des VISAS. Ces générations ne comprennent pas que cet acharnement mémoriel cache l’incurie des dirigeants algériens depuis l’indépendance. Le bouc-émissaire si cher à René Girard est toujours le gage d’un combat d’arrière-garde.
De plus, à quelle France demander des excuses ? Aux descendants de paysans et d’ouvriers dont beaucoup n’ont jamais quitté leur Béarn ou leur Limousin natal? Aux petits-enfants de républicains espagnols ? Aux descendants d’esclaves de Guadeloupe ? A leurs propres petits-enfants ? A qui ? Au appelés du contingent obligés de partir dans ce que l’on appelait à l’époque les évènements ? Depuis quand une responsabilité se transmet-elle par le sang ? Et pourquoi un territoire fruit de multiples conquêtes romaines, vandales ou encore ottomanes devrait se tourner uniquement vers la France ? Pourquoi nombre de ces accusateurs se sentent-ils si obsédés par la France au point, pour un grand nombre , de ne rêver que de venir ici ?

En réalité l’élite qui a pillé le pays depuis 1962 a conforté sa place en récupérant une guerre que beaucoup n’avait pas faite tout en la récupérant lâchement. A chaque scandale, on tentait une diversion. La France a connu cela sous la IVème République avec nombre de Résistants au Francisque. Mais ces derniers ont au moins tenté un rapprochement avec l’Allemagne, le général de Gaulle le premier. Pourtant ce dernier n’a jamais été se faire soigner à Bonn comme Bouteflika à Grenoble tout en critiquant la France pour mieux masquer le fiasco de sa présidence et de ses mentors. De la Grande Poste aux vergers de la Mitidja en passant par les centaines d’installations portuaires, militaires, sans parler du pétrole, comment peux-t-on dire que la France n’a rien laissé ?
Mais taper éternellement sur la France, ne donnera pas plus de travail aux Algériens et plus de dignité au pays. Idem, pour les Franco-Algériens, atteints pour beaucoup de schizophrénie identitaire. Présents depuis parfois trois générations, ces derniers ont beau jeu de se penser plus « royalistes que le roi » alors qu’ils sont exemptés de service national. Le patriotisme, c’est avant tout des actes. Eux qui ne vivraient pas, pour tout l’or du monde, au bled, trop accroché à ce pays de cocagne qu’a toujours été la France, n’en déplaisent aux hypocrites. Se remettre en question, éviter les pièges est peut-être trop difficile pour certains. Car les grands perdants de cette histoire, à l’instar des Harkis, restent l’immense majorité des Algériens avec une pensée particulière pour les Berbères de Kabylie, d’Alger et des Aurès qui fournit la plupart des bataillons du FLN avant d’être lâchement réprimés par l’Armée des frontières et les satrapes de la dernière heure. Ces hommes libres, pour beaucoup anciens soldats de De Lattre comme Krim Belkacem et bien sûr Si Saddek le père de mon ami Ali Dehilès.
Le plus brillant penseur de la Révolution, avec Ramdane, le « Girondin « Ait-Ahmed avait compris l’importance d’une société multiculturelle. Malheureusement, les identitaires ont gagné. Le peuple a perdu sur le long terme.
A croire que l’Algérie n’a récupéré de la France que nos pires travers : une certaine arrogance et notre absurde bureaucratie.

Quant à l’extrême-gauche française et les héritiers de Rocard, héritière de l’anticolonialisme, il y a longtemps que sous couvert d’antiracisme et d’une certaine francophobie, elle a créé des problèmes qui prendront du temps à régler dans un grand nombre de quartiers. Cela ne peut endiguer la gestion catastrophique de l’État français sur cette migration. Personne ne peut se dédouaner tout le temps et doit se regarder dans une glace. Avec ce rapport c’est bien sûr un regard sur elle-même que la France porte également.
Au sein de l’Hexagone, la « Nostalgérie » apparaît comme un véritable cancer mental que des générations de personnes ne parviennet pas à consumer. L’obsession anti algérienne s’est transformée en discours anti-islam. Il faut avérer également que les divers attentats et l’impossibilité des musulmans à l’organisation amplifient également ce ressentiment. Le fils spirituel de l’Abbé Lambert, Robert Ménard comme Louis Alliot ont été élus sur un vote en partie identitaire par un électorat pied-noir et leurs descendants, une population très présente dans le Sud . Ils ne devraient pas oublier que ces partisans d’une Algérie française, avaient déjà été trahis par leur champion antigaulliste, Valéry Giscard d’Estaing, qui tout en étant entouré de Claude Dumont ou Hubert Bassot, avait décrété sous pression patronale, un regroupement familial qui semblait hérisser les poils de nos « Nostalgériens ».
Comment critiquer la présence de voiles dans la rue lorsque l’on regrette une époque où ils étaient un million d’Européens entourés de 9 millions de musulmans ? Comment, après avoir craché sur Ferhat Abbas, Albert Camus ou Chevalier qui souhaitaient trouver un vrai compromis, les Européens d’Algérie pensaient-ils réellement et éternellement rester dans un pays habité par un peuple d’une autre culture et pour y être traités civiquement avec iniquité. On a beau glousser sur la solidarité des tranchées ou de Monte Cassino entre les communautés, rien n’ a permis l’émergence d’une société unie en Algérie.
On peut d’ailleurs clairement se demander si plus que l’islam, dont la droite et l’extrême-droite ont été si admirative jusqu’en 1962, ce n’est pas la présence de Maghrébins en France qui irrite ces courants qui prennent plus de place dans le débat français, aidé il est vrai par la gauche la plus bête du monde. Pourtant les Pieds-Noirs, comme les Harkis et les Juifs, présents depuis des générations dans le pays, font clairement partie des dossiers plus que sensibles que l’Algérie comme la France devront régler. Cela ne soignera pas les plaies, mais rien ne peut complètement détruire la douleur de l’exil. Dans ce ping-pong mémoriel, personne ne veut se coucher.

Pour être sincère, au lieu de Gisèle Halimi, j’aurais très largement préféré proposer Jacques Paris de Bollardière, ce Compagnon de la Libération ayant refusé la torture, pour le Panthéon. Ce fervent croyant, peut-être trop blanc et trop catholique pour l’époque, incarne plus que quiconque une vision noble et généreuse de la France. Ce « Bayard des temps modernes », qui aura lutté pour une Cité humaine juste et sans faille, reste sur le dossier algérien, l’image française de la droiture sans la démagogie.

Bien sûr ce rapport n’est pas parfait, mais il reste la première pierre d’un édifice amené à se construire au travers des années, loin des passions identitaires stériles, dans l’estime et le respect de nos peuples. Laissons les historiens travailler sur l’histoire, et les jeunes générations construire un avenir, dans le respect de chaque composante. Il le faut. Nous le devons aux futures générations.

4 réponses sur “Rapport Stora… mettre les pieds dans le plat.”

  1. Cyril,
    Ton billet apporte un éclairage historique puissant… qui fait peut-être un peu mal aux yeux de lecteurs non avertis…
    En tout cas très intéressant.
    David

  2. Avancer en terrain miné comme le fait Benjamin Stora nécessite des pas prudents. Malgré ses précautions, il est attaqué par tous ceux dont les œillères dirigent la pensée. Michèle Audin, dans sa contribution sur l’Algérie dans L’OBS de la semaine dernière, est la seule à parler d’apartheid. Pourtant, un apartheid qui ne disait pas son nom a toujours constitué notre présence en Algérie. Les Européens ont le plus souvent vécu à côté des indigènes sans les voir. Ils ne consentaient à les considérer que lorsqu’ils avaient besoin d’eux. Tout ce que la France y a fait était à son usage propre. Les infrastructures n’étaient là que pour asseoir sa présence, l’éducation concédée aux indigènes ne l’était que pour former les cadres inférieurs indispensables, comme l’apprentissage de l’arabe par les Européens se limitait à commander légumes et autres produits au marché ou à diriger les domestiques et ouvriers. Cet apartheid de fait s’opposait à toute tendance qui favoriserait une assimilation éventuelle, et les mariages mixtes ont été exceptionnels et sources de conflits. Les Arabes devaient rester à leur place, serviteurs des maitres européens. L’Afrique du Sud nous a montré comment son apartheid institutionnel s’est terminé. Pas à l’avantage des blancs !
    L’indépendance n’a pas ouvert les yeux des « pieds-noirs », rien n’a pu les convaincre qu’ils avaient fait fausse route, abusés par leur conscience de classe, de supériorité, de « race », conscience cultivée chaque jour par l’histoire enseignée et leur conviction de posséder la force. C’est ce qu’on nomme aussi fascisme.
    Maintenant que plus aucun survivant des colons de l’Algérie n’est en mesure d’apporter réparation, il faut au moins apporter aux victimes de l’humiliation la considération qui puisse conduire à une entente raisonnée pour une cohabitation sans heurts, notamment en France où les communautés continuent à s’affronter par leurs discours, leurs écrits et parfois leurs armes et poings.

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