Les Espagnols en Afrique du nord, diversité d’engagement

Intervention au Musée des Invalides pour l’association « Les Compagnons du 8 novembre 1942 », le 25 novembre 2019.

La chapelle de Santa Cruz à Oran (Photographie personnelle)

La présence des Espagnols en Algérie commence sur un souvenir d’adolescence. Tous les jours je descendais un boulevard de ma ville d’origine, Villefranche sur Saône, pour aller au lycée. en croisant la plaque d’un homonyme : Dominique Garcia. C’était la plaque d’un Algérien comme m’avait dit ma grand-mère, mort en 1944 durant la libération, quelques semaines après avoir débarqué en Provence dans les rangs de l’Armée d’Afrique. D’autres Pieds-noirs « espagnols de cette génération ont fait rayonner la France dans le monde, à leur manière. Albert Camus, Marcel Cerdan, Emmanuel Roblès tous issus de cette émigration souvent oubliée de l’historiographie officielle. Il m’apparaissait fondamental dans ce colloque de rappeler et de comprendre le destin d’hommes en pleine force de l’âge amenés à croiser à partir de la fin de la guerre d’Espagne, leurs cousins éloignés, vétéran de l’Armée républicaine pour libérer la France.

L’Histoire et ses méandres.

La présence en Algérie des Espagnols est très ancienne, notamment dans l’ouest du territoire. Fernand Braudel avait écrit un ouvrage sur « les Espagnols en Berbérie » rappelant les liens ancestraux que ceux-ci entretiennent avec ce territoire.

Oran apparaît comme un véritable îlot ibérique en pleine Algérie française. Sans remonter aux marins andalous qui accostaient sur ses côtes au IXème siècle, la ville a été une possession espagnole pendant près de trois siècles de 1509 à 1792. De la moitié du XIXème siècle jusqu’à la fin des années 20, l’émigration espagnole est constante et devient rapidement la première communauté étrangère chez les Européens, à Oran et les villes environnantes comme Mostagadem ou Sidi Bel Abbès et dans une moindre mesure à Alger. La majorité de cette population est originaire des Baléares, du Levant et, à une moindre mesure, d’Andalousie, notamment de la ville d’Almeria.

En 1881, on estime, selon l’historien Pierre Darmon, à 114 320 le nombre d’Espagnols (essentiellement des Levantins de Murcia ou de Valencia). Au début ouvriers agricoles, beaucoup vont par la suite se spécialiser comme maçons, boulangers ou comme dockers. La majorité vit dans des quartiers miséreux de Bab-el Oued ou Belcourt à Alger. Si une petite élite commerçante émerge, il faut attendre une ou deux générations pour voir émerger des instituteurs ou des pharmaciens de cette communauté. L’historien espagnol Juan Bautista Vila écrit au sujet des immigrés Espagnols,

« pépinière de main-d’œuvre » dont la France avait besoin pour construire l’Algérie : « Pendant la conquête et jusqu’au début du XXe siècle, la réticence massive de la population autochtone à collaborer avec l’occupant européen a rendu indispensable le recours à une main d’œuvre importée». Enfin et surtout, autre disposition essentielle de cette période charnière dans l’histoire de l’Algérie française, l’application aux Européens de la loi du 26 juin 1889 sur le droit du sol, aurait créé sur tout le territoire plus de 150.000 Français en moins de 30 ans. Un faubourg comme Babel-Oued (Alger) voit ainsi sa population de nationalité Espagnole passer en 25 ans de majorité (54 %) à minorité (36 %), entre 1876 et 1901. Idem en 1927, avec le décret favorisant la naturalisation des enfants d’Espagnols pour combler une démographie française marquée par la Grande guerre. Ces Espagnols s’emploieront en particulier dans l’industrie du bâtiment, comme ouvriers agricoles ou comme boulangers. L’exemple parfait de cette intégration est Joseph Begarra. Petit-fils d’émigrés espagnols : il est repéré par son instituteur et parvient à faire l’Ecole normale à Alger, symbole d’une méritocratie républicaine dont l’école est le pilier.

Les années 30, les années de tension :

En 1932, la Fédération d’Oran lui confia la tâche de relever Le Semeur, l’hebdomadaire fédéral, dont la gestion était déficitaire. L’Oranie comptait une douzaine de sections, celles de Tlemcen et de Sidi-Bel-Abbès étant les plus importantes. Très vite, le journal fut remis à flot et tira à 2 ou 3 000 exemplaires. À Oran, il se vendait à la criée, malgré l’opposition du noyau de militants communistes regroupés autour de Torrecillas, très populaire sur le port et dans le vieil Oran.

En 1935, Joseph Bégarra devint secrétaire fédéral-adjoint, chargé de l’administration, il le demeura jusqu’à la guerre. Il avait gagné suffisamment d’influence à la Fédération pour obtenir de créer une section à Aïn-el-Turck, contre l’avis d’Henri Bertrand, son directeur d’école, secrétaire d’Oranie du Syndicat National des Instituteurs. En mai 1936, Oran élisait député Marius Dubois, secrétaire fédéral, le seul député de la SFIO élu outremer avec Marcel Régis, élu député à Alger. Certes, la victoire n’avait été remportée que grâce au maintien, au second tour, de l’abbé Lambert, maire d’Oran, aventurier populiste, et populaire, que la Droite traditionnelle exécrait au point de voter pour le candidat Croix-de-Feu. Minoritaires à Oran, les forces de gauche se resserrèrent autour d’une SFIO très combative, très rouge, très proche par nécessité des communistes, appuyée par les Juifs et par les Musulmans. En face, les Droites s’étaient rassemblées autour de l’abbé Lambert qui portait au revers de sa soutane l’insigne du PPF. Le patronat oranais les subventionnait largement, car les grandes grèves de juin 1936 avaient été très dures à Oran, où le PC organisait les piquets de grèves tandis que les instituteurs du SNI rédigeaient les cahiers de revendications. La majorité des militants comme des « gros bras » sont des Espagnols, notamment recrutés dans les docks.

De 1936 à 1938, Oran fut, plus encore que Marseille, la ville française où les affrontements politiques étaient les plus violents, les plus meurtriers. Le Préfet décrivait la ville au bord de la guerre civile. Marius Dubois étant député à Paris, et Henri Bertrand étant absorbé par la direction de l’UD-CGT d’Oran,

Joseph Bégarra fut de fait secrétaire fédéral. Il enseignait à présent à Oran, dans le quartier de Saint-Eugène. Il était d’autant plus écouté qu’il s’exprimait couramment en espagnol valencien, et en arabe oranais. Qu’il soit lieutenant d’artillerie (du cadre de réserve) ajoutait encore à son prestige. Se répandait alors au Parti communiste algérien la boutade selon laquelle « un petit-bourgeois social-démocrate d’Oran est plus révolutionnaire qu’un ouvrier communiste d’Alger ».

La guerre d’Espagne, le début des hostilités

La tension était encore plus forte, depuis qu’en juillet 1936 l’Espagne était en proie à la guerre civile. L’abbé Lambert avait des relations étroites avec les franquistes, dont les victoires étaient fêtées par les beaux-quartiers d’Oran qui pavoisaient à leurs couleurs. Mais le petit peuple espagnol d’Oranie était passionnément républicain. Joseph Bégarra à la mi-août 1936 gagna Alicante, où il dirigea une formation accélérée d’artilleurs dans un camp de l’armée républicaine. Il y consacra à nouveau ses vacances de l’été 1937. Malgré la menace d’être suspendus, Joseph Bégarra et sa femme étaient du petit nombre d’instituteurs qui firent grève le 30 novembre 1938.

Parallèlement à la vie quotidienne en Algérie, la Retirada arrive en France. Plus 500 000 réfugiés passent les Pyrénées mais également les côtes algériennes fuyant l’arrivée des troupes de Franco. Le tout dans des conditions misérables et tragiques. Le 29 mars 1939, le bateau « le Stanbrook » dirigé par un Gallois Dickson quitte le port d’Alicante avec 2638 personnes entassés dans les cales jusqu’au pont. Les autorités françaises, et républicaines, refusent l’arrivée sur le port du bateau. Ils prétextent qu’un millier de personnes n’est pas enregistré sur les registres d’émigration du port. Devant les problèmes sanitaires déplorables, 600 personnes, femmes et enfants sont autorisés à arriver sur terre ferme. Pour les autres, essentiellement des combattants, l’enfermement commence à destination des 9 camps existant en Algérie tels que Colomb-Béchard dans le sud oranais ou le Camps Morand à Boghar dans l’Algérois que nous aborderons plus tard avec un autre intervenant. Parmi les réfugiés, on retrouve un homme appelé à un destin hors du commun, Amado Granell dont j’ai écrit une biographie plusieurs fois traduite.

En septembre 1939, mobilisé, Begarra fut envoyé dans une batterie de 105 long sur la ligne Mareth, dans le sud tunisien, face aux forces italiennes de Libye. Avant la fin juin 1940, par le « téléphone arabe » le contenu de l’appel du 18 juin 1940 parvint à sa batterie. Le capitaine, juif d’Oran, et les six lieutenants, instructeurs, calculaient comment rejoindre le général De Gaulle à Londres et reprendre le combat. Mais l’annonce du désastre de Mers El-Kébir, début juillet, dressa les soldats contre les Anglais.

Les Espagnols, sous l’Occupation, survivre et s’engager sous Vichy

A Oran, parallèlement à une résistance gaulliste dirigée par Roger Carcassonne et aux activités du consul américain Murphy, les réfugiés anti-franquistes se réunissent clandestinement dans des cafés tenus par des Espagnols. Sociologiquement, en comparaison à l’émigration en France, ce sont les dignitaires de la IIème République qui sont sur place : des officiers de l’armée, des hommes politiques de 1er plan, des ingénieurs etc. Le Grand Orient d’Espagnol qui comptait 6 frères sur 11 dans le gouvernement de la République se réunit avec ces Frères Français. Idem pour les membres du PSOE qui se retrouvent chez un ancien député socialiste Salvador Garcia Munoz. Cet ancien médecin devenu tailleur est un rouage essentiel chez les réfugiés à qui il fournit des papiers administratifs. Les cercles s’organisent. Les réfugiés tentent pendant une année ou deux de survivre. Le climat en Algérie se raidit. La population européenne est farouchement maréchaliste. La police de Vichy est impitoyable et le camp de Djelfa accueille beaucoup d’anarchistes.

La majorité des Européens d’Algérie subissent de plein fouet la crise. Peu ont des enfants prisonniers et la vie continue tant bien que mal dans ce contexte.

Le réseau de résistance auquel participa Joseph Bégarra en 1940-1942 n’avait pas de contact direct avec Londres. Il se limitait à la transmission de maigres renseignements et était en rapport avec certains militants communistes clandestins pour échange d’informations. À Oran, la répression politique vichyste s’accélère. Les anarchistes sont les premiers touchés. Peu de mesures d’internement en camps, en dehors de militants ou de sympathisants actifs du Parti communiste, les seuls dont l’organisation clandestine ait entretenu une campagne sporadique de tracts et d’inscriptions murales. Mais les mesures de révocations furent nombreuses, contre les francs-maçons notamment. Dans les petites villes et les villages, guidés par les haines de clocher, l’internement frappa les socialistes aussi.

Avec l’Opération Torch, les choses basculent. Dans la confusion des combats qui ont opposé l’Armée d’Afrique aux Anglais et aux Américains, le 8 novembre 1942, Joseph Bégarra parvint à éviter de rejoindre son régiment qui eut plusieurs dizaines de morts. Comme nous avons pu le voir, la résistance, bien que sporadique, joue son rôle contre des éléments vichystes déterminés à ne pas lâcher leur pré-carré.

Amado Granell semble avoir été courant du débarquement bien avant. C’est un des rares Républicains à avoir joué un rôle lors du débarquement. Comment l’a-t-il su ? La question est peu claire. Peut-être via Duran, son ancien officier supérieur en Espagne devenu Consul américain à Cuba. Toujours est-il que la population européenne fête les Américains comme de véritables libérateurs. Ces derniers n’arrivent pas en territoire inconnu. L’OSS et les services diplomatiques ont bien préparé le débarquement et connaissent la population.

« J’étais en train de pêcher avec mon père, sur la plage des Pêcheurs, à 20 kilomètres d’Oran quand on a vu arriver des bateaux et vu débarquer une grande quantité de soldats. Mon père a eu très peur. On a d’abord cru que c’étaient des soldats allemands ou des troupes de Franco, il m’avait semblé entendre parler espagnol, et on s’était caché derrière des dunes. En voyant leurs uniformes, et un drapeau avec des étoiles, comme ceux que je voyais dans les films de cow-boys, on s’est vite rendus compte qu’ils étaient américains mais ils devaient être du Texas ou de Californie parce qu’ils parlaient espagnols. Comme les habitants de la région d’Oran étaient d’origine espagnole, les Américains avaient envoyé un corps expéditionnaire hispanique dirigé par le colonel Ramirez. »

Le témoin de cette scène se nomme Daniel Hernandez. Il est né le 6 janvier 1924 à Almeria dans une famille de pêcheurs. Poussé par la misère, il émigre avec sa famille en 1930 d’abord Alger puis à Oran où la famille vit, comme nombre d’Espagnols, dans des conditions très difficiles. Immédiatement, Hernandez, âgé de de 18 ans, sert de guide aux Américains jusqu’à un village où était stationnées des batteries de guerre de la 64ème artillerie d’Oran dont il connaissait le lieutenant, vendeur de poisson. Il fait l’intermédiaire et aucun coup de feu n’est tiré. Immédiatement, il s’engage dans un bataillon d’Infanterie américain pour combattre quelques semaines plus tard en Tunisie contre Rommel.

Quelle est la réaction des Républicains Espagnols face au débarquement? Depuis plusieurs jours, une rumeur circule qu’un débarquement va arriver. Les réfugiés espagnols sont fous de joie et beaucoup veulent reprendre du service pour libérer l’Europe avec l’espoir de renverser Franco. Sur Oran, Granell semble avoir pris part à la résistance quelques temps auparavant. Comment a-t-il su l’existence de ce débarquement ?

Les Espagnols au combat, les Républicains pour de Gaulle et les Pieds-Noirs pour Giraud

Drapeau des Corps Francs d’Afrique (Droits réservés)

Les nouvelles autorités françaises, appuyées par les Américains décident de créer les Corps Francs d’Afrique dans le but de participer aux côtés des Alliés à la libération du territoire national. Les Corps Francs se sont formés au Maroc alors protectorat français le 25 novembre 1942 sur demande du général Giraud. Les Américains soutiennent ce général évadé d’une prison allemande pour faire barrage au général De Gaulle. Rapidement mis en place, malgré les réticences d’une armée plus vichyste que jamais. Les volontaires sont très nombreux : gaullistes, giraudistes, Européens d’Algérie dont nombre de Juifs et d’Ibériques et beaucoup de Républicains dont Granell. Ces unités sont rapidement formées afin de combattre la mythique Afrika corps dirigée par le général Rommel.

Les Corps Francs sont dirigés par un vétéran de la Grande guerre, le général de brigade Joseph de Goislambert de Montsabert. Un nombre très important de Républicains espagnols s’engagent. Ils se retrouvent en majorité dans le 3ème Bataillon. Deux compagnies sont touchées : la 3ème dirigée par un Espagnol, l’Amiral Miguel Buiza, ancien officier de la Légion Etrangère et la 9ème, dirigée par Joseph Putz, un Vétéran de la Grande guerre et des Brigades internationales. Ces deux hommes vont recruter directement dans les cercles espagnols. Amado Granell apprend la présence de Joseph Putz .Le 25 novembre, il s’engage avec ses papiers militaires espagnols.

Ils vont côtoyer d’autres Républicains espagnols engagés depuis le début de la guerre dans la Légion étrangère où ils représentent la première nationalité étrangère, soit 28 % des effectifs. Le 3ème Régiment étranger d’Infanterie qui s’est notamment illustré à Bir Hakeim est composé en très grande majorité de réfugiés.

Les Granell, Hernandez, Begarra ou Buiza connaissent des chemins différents au service de la France Libre. A partir de 1943, après la prise de Bizerte, on demande aux hommes de choisir entre les troupes de Leclerc et ceux de De Lattre, les Républicains des Corps Francs d’Afrique rejoignent majoritairement la 2ème division de Leclerc et en particulier la fameuse « Nueve » où Granell joue un rôle stratégique. Il recrute directement les Hernandez, Campos, Fabregas qui quittent leur régiment pour suivre le Valencien. Cette unité où le castillan domine en même temps que le drapeau républicain côtoie celui de la France Libre est un véritable paradoxe dans les rangs d’une armée française en reconstruction et en manque de reconnaissance. Ces apatrides appartiennent tout simplement à l’avant-garde de la 2ème DB où ces Rouges seront à la fois craints et profondément respectés. Les Pieds-noirs espagnols sont moins soupçonneux et un grand nombre se retrouvent dans l’Armée d’Afrique dirigé par des officiers gaullistes ou giraudistes. Le sous-officier Lucien Camus, frère d’Albert, dirigeant au mouvement « Combat » et fils de Catherine Sintès de Minorque ou Emmanuel Roblès, officier interprète et correspondant de guerre, en font partis.

Begarra comme des milliers de ses compatriotes Oranais ou Algérois combat. L’ancien résistant rejoint son régiment fin novembre 1942 pour la Tunisie où il se battit jusqu’en mai 1943 contre les troupes de l’Axe.

Bilan et reconnaissance

Les taux de mobilisation des Européens d’Afrique du Nord en 1944/1945, entre 16 et 17 % de la population active, dépassent en effet les plus forts taux de mobilisation de la Première Guerre mondiale.

En tout, il y aura 170.000 hommes mobilisés, dont 120.000 pour la seule Algérie. Il n’y a qu’à remonter la vallée du Rhône et franchir les Vosges pour regarder les patronymes ibériques sur les plaques. Le 15 août 1944, Begarra débarqua avec sa batterie en Provence, dans les rangs de la 2° Division d’infanterie de montagne, participa à la libération de l’Alsace et passa le Rhin en mars 1945. Mais il termina la guerre en Normandie, à l’instruction, le commandement de sa batterie ayant été donné à un conseiller d’État affligé de la francisque, en voie de réhabilitation.

Les Républicains de Leclerc partent en Normandie, entrent les premiers dans Paris et protègent De Gaulle le 26 août sur les Champs Élysées. Le lieutenant Granell est le premier à percer les lignes allemandes pour être reçu par les autorités de la Résistance à l’Hôtel de Ville. C’est également lui qui ouvre le défilé du 26 août au moment où le général De Gaulle revient en chef de la France Libre victorieux à Paris.

Ceux de la légion et les Pieds-Noirs feront Monte Cassino, le débarquement de Provence et libéreront avec l’aide des maquis locaux la vallée du Rhône, les Vosges rejoints par la 2ème DB venue de Paris en direction le Nid de l’Aigle.

Nombre important de ces combattants recevront la Croix de guerre, des multitudes de citations. Granell sera décoré de la Légion d’honneur en 1947 parallèlement à ses cinq citations sans compter la Presidential Unit. Le légionnaire Etelvino Perez, vétéran de Narvik et Bir Hakeim, meurt le 25 mai 1944 à San Giorgio. Il est à ce jour le seul « Rouge espagnol » fait Compagnon de la Libération, cette chevalerie gaulliste si forte de sens. Il fut bien seul.

À l’automne 1945, Joseph Bégarra fut élu secrétaire fédéral, lors du congrès de la Fédération d’Oran de la SFIO. La Fédération compte alors 2 500 militants dont beaucoup d’Espagnols.

Car derrière le terme « Pied-noir » qui a pris un tâcheron très politique avec la guerre d’Algérie, c’est toute la diversité d’une communauté unie par un exode qui ne doit pas faire oublier qu’aux côtés de leurs cousins arrivés en 1939 avec la guerre d’Espagne, ces Ibères auront joué numériquement et militairement un rôle prépondérant dans la défense de leur nouvelle Patrie qui avait accueilli leurs parents et grands-parents avec parfois beaucoup de mépris. On ne rappellera jamais assez ce sacrifice dans une guerre de volontaires où l’esprit des guerilleros s’est totalement incarné et sublimé.

Algérie, le « virus » de la politique

En réalité, seul le Coranavirus semble avoir eu la peau, pour le moment de l’Hirak. Vendredi, pour la première fois depuis plus d’un an, la mobilisation n’aura pas lieu, afin d’éviter les risques. L’Asie, l’Europe, le Mexique tous semblaient avoir été touchés par ce désastre sanitaire. L’Afrique, par cette triste fatalité de l’histoire contemporaine, n’y échappe pas. Si on retourne au temporel, les raisons d’un énième rassemblement n’ont pas changé. Encore moins l’élection présidentielle. Au contraire, elle a consolidé ce mouvement civique et pacifique. L’ancien premier ministre Abdelmadjid Tebboune, âgé de 74 ans a bel et bien été élu au premier tour le 12 décembre 2019 avec 58,12 % des votes. Les opposants peuvent bien crier au scandale démocratique puisqu’ils ne se sont pas déplacés, mais force est de constater que leurs cris de colère, justifiés ou non, n’a pas eu l’écho contesté. 10 % de votants semblait être une mascarade selon eux, puisqu’ils n’avaient pas été voter comme pour prétendre que derrière leurs pas, c’était l’Algérie entière qui manifestait. Or c’est bel et bien 40 % des citoyens algériens qui se sont déplacés. Dans un pays où 20 millions d’habitants ont un compte Facebook sur 40 millions de personnes, le selfie avec un mégaphone et un drapeau comme pour un match des Fennecs n’est pas suffisant pour renverser un régime. Le virtuel n’est pas le réel.

Aujourd’hui de plus en plus d’ouvrages sortent sur l’Hirak, par d’éminent spécialiste du pays comme Benjamin Stora. Les travaux reposant sur des données scientifiques, sont souvent tournés en sa faveur, afin d’étudier ce mouvement, comprendre cette jeunesse et dézinguer l’Etat FLN et sa mythologie nationale. Ce récit, que nous connaissons également chez nous, fait encore consensus dans une grande partie du pays. Et comme la remise en question, où l’orgueil mal placé, sont une tradition locale, ni le pouvoir, ni l’opposition ne semble rebattre ses cartes afin de gagner durablement la partie. Où faire gagner l’intérêt du plus grand nombre.

Ce que n’ont pas compris les partisans pacifiques de l’Hirak c’est que leur pays reste un territoire rural, marqué encore par la guerre civile. La population est attachée à son armée populaire dont les soldats sont leurs fils et petits-fils et non des étudiants en sciences humaines. Pasolini n’aurait pas dit mieux.

Le pouvoir n’est pas parfait vu des douars. On connaît le népotisme, les fraudes, le chômage des neveux partis en ville. On ne parle même pas de la corruption. Mais lorsque l’on voit le bazar en Libye, au Mali ou plus loin en Syrie, on préfère toujours ce régime autoritaire à un régime libéral dans lesquels pourraient se fourvoyer les islamistes ou un parti potiche, sous-fifre des Français voir des Israeliens selon le niveau de paranoia.

Tebboune n’est pas l’homme providentiel. Pour personne. Mais on attend qu’il rassure. Il reste le Préfet, qui ne sciera jamais la branche qui l’a mise en place, à savoir l’Etat-parti FLN. Mais tel le Wali, tel un maire de bled, il sait dire oui à tout le monde. Il « entend » et « comprend » l’Hirak, il salue « les femmes » en tête des cortèges mais il ne change pas les structures du pouvoir pour autant. Un nombre important de journalistes reste en prison. Les flics usent toujours de la matraque.

Ne disposant plus de minorités ethniques sous la main, il a mis une dose plus forte de sociétale en augmentant le nombre de femmes au gouvernement, afin de passer pour un homme d’ouverture et de progrès. Le fameux « Je vous ai compris » avec un appareil auditif déréglé.

L’opposition partisane tente de se rassembler dans son auberge algéroise nommé « Plate-forme politique de l’alternative démocratique » mais aucun Ben Barka local n’a le charisme pour devenir le leader demain. Ni le Michel Debré pour écrire une vraie constitution digne de ce nom. Beaucoup de cris et une terrible cacophonie.

Mais personne n’est dupe, Tebboune n’a pas élu pour faire la révolution mais pour consolider le pouvoir, éviter une fragmentation de la nation. La Kabylie, d’habitude si bruyante est restée au diapason. L’heure est grave dans la région et ce n’est plus le moment d’entendre les jérémiades de ces mômes devant la Grande Poste. D’autant que cette situation repousse les investisseurs. Le cours du pétrole s’effondre, et ce pays né sur des mines d’or (pétrole, gaz, céréales, vergers…) devient progressivement un terrain miné. Les vraies réformes se font attendre, cela devient urgent… L’économie reste beaucoup trop dépendante du pétrole et les revenus sont estimés à 20 milliards cette année contre 34 milliards habituellement. Les réformes visant à diversifier des pans entiers de l’économie sont impératives.

Pour couronner le tout le plus grand pays d’Afrique est « mal entouré ». Ce qui renforce sa paranoïa. Et Tebboune doit encore et encore être très clair pour rassurer sa population. Il tente de se montrer conciliant mais ferme au niveau international. Il a critiqué la position turque en Libye et a calmé le jeu avec l’Ethiopie. Addis Abeba a exclu son ambassadeur après des heurts contre une Egypte prétendument alliée d’Ager. (Sur la question des eaux du Nil, notre Uber reviendra dans quelques semaines… promis). Le Mali est toujours au même point, la Tunisie peut toujours s’enflammer.

Enfin tout ne tient qu’à un fil.

Erdogan, sultan aux pieds d’argile

Le président turc Erdogan s’adresse aux membres de son parti (AKP), Ankara, mars 2020. Auteurs : Burhan Ozbilici/AP/SIPA. Numéro de reportage : AP22437347_000002

Le président turc Erdogan lâche des réfugiés syriens sur les îles grecques pour pousser les Européens à le soutenir dans sa lutte contre l’armée syrienne à Idleb. Cette nouvelle crise des migrants va laisser des traces durables, notamment pour la Grèce qui doit gérer seule une crise migratoire sans l’appui des autres pays européens. Certes, Athènes en a l’habitude mais la solidarité européenne révèle ses limites. S’il fallait encore le démontrer, la diplomatie bruxelloise est une coquille vide incapable de peser sur Ankara.

Recep Tayyip Erdogan joue gros. Très gros. Il est loin le temps où le frère Erdogan, enfant des quartiers pauvres de Kasimpasa, régnait sur une nation en plein expansion économique avoisinant les 10% de croissance économique dans les années 2000. Loin aussi le temps où il régnait sur un parti tout-puissant dont l’islamisme se mâtinait de libéralisme économique, faisant de l’AKP un UDF ottoman aux yeux de certains observateurs. Puis le retour de quelques foulards dans les universités avait progressivement effrité cette image modérée.

Frustration ottomane

Aujourd’hui, la donne a littéralement changé. L’AKP a perdu les élections dans les deux plus grandes villes turques, Ankara et Istanbul. Plusieurs piliers du mouvement comme l’ancien président de la République Abdullah Gül ont quitté l’AKP pour créer de nouvelles formations. Et la situation économique de plus en plus grave menace son bilan.

L’AKP et la Turquie ont besoin d’un nouveau souffle. Erdogan joue la carte d’une politique étrangère agressive car il se sait en perte de vitesse à l’intérieur de l’Anatolie. On compense la récession comme on peut. En l’occurrence, le président turc se rêve à la fois en héraut d’un monde sunnite en manque de leader charismatique et en nouveau sultan ottoman. La nostalgie de l’Empire ottoman est très forte et dessine aujourd’hui la diplomatie turque. Les îles grecques, anciennes Dodécanèse, la Cyrénaïque, le Fezzan ou le pays de Cham sont effet de terres ottomanes perdues entre 1912 et 1920. Et aujourd’hui, cette frustration ressort.

Sur le front syrien, les radars médiatiques sont tournés vers Idleb. Les Turcs y appuient militairement une Armée syrienne libre noyautée par les anciens membres d’Al-Qaïda et autres groupuscules islamistes contre les troupes de Bachar Al-Assad soutenu au sol par les Iraniens, et dans les airs par les Russes.

Ankara intervient également en Libye. La presse française semble avoir oublié que ce pays est toujours en guerre. Que des migrants venus d’Afrique subsaharienne tentent toujours de rejoindre Lampedusa. Que le Sahara libyen abrite de plus en plus d’islamistes près à en découdre après le fiasco levantin.

Opération Libye 

Or, les députés turcs ont voté le 2 janvier une motion permettant au président Recep Tayyip Erdogan d’envoyer des troupes en Libye pour soutenir le gouvernement d’union nationale de Fayez al-Sarraj, reconnu par l’ONU mais menacé par une offensive du maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est libyen, soutenu notamment par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Russie et l’Égypte. Officiellement, la Turquie intervient dans la région à la demande de Tripoli pour contrer le renfort de mercenaires russes soutenant les troupes d’Haftar. Le soutien militaire turc au gouvernement de Fayez al-Sarraj intervient après la signature, le 27 novembre dernier, d’un accord controversé entre Ankara et Tripoli qui prévoit une coopération renforcée en matière de sécurité entre les deux parties et la démarcation des frontières maritimes entre elles. Lors d’une session parlementaire extraordinaire, 325 députés turcs ont voté pour et 184 contre un texte qui donne à l’armée un mandat pour intervenir en Libye, valable pendant un an. Les principaux partis d’opposition se sont opposés au texte. A leurs yeux, une intervention en Libye pourrait déstabiliser la région et entraîner la Turquie dans une guerre coûteuse. Et l’opinion publique est de plus en plus soucieuse de la mort de ces soldats à l’étranger. Fini, le temps où l’opinion appuyait toute intervention au-delà des fr

Mais il n’est plus question de reculer. L’entraide turco-tripolitaine s’inscrit dans le cadre de la présence croissante d’Ankara en mer Méditerranée. La Turquie tente de contester l’influence de Moscou dans toute la région comme elle l’a fait en Syrie. Se dessine ainsi un affrontement clair entre une Russie soucieuse de défendre des régimes autoritaires et anti-islamistes et une Turquie soutien de partis islamistes sous paravent démocratique.

Ankara vs. Moscou

Démocrate-islamiste contre autoritarisme « laïc » ? Le prisme philosophico-théologique est bien entendu insuffisant. La Turquie a également une dent contre Le Caire, autre soutien d’Haftar. Les relations entre l’Égypte et Ankara sont très tendues depuis que l’armée a renversé le président islamiste Mohamed Morsi en 2013. Les raisons sont toujours plus profondes et le pétrole reste le nerf de la guerre. Il faut savoir que le Libye est le théâtre d’une course aux forages d’hydrocarbures avec la découverte d’importants gisements ces dernières années. En raison de l’accord maritime conclu en novembre 2019, qui étend considérablement son plateau continental, la Turquie a plus que jamais besoin du gouvernement libyen d’al-Sarraj pour faire valoir ses revendications en Méditerranée orientale face à la Grèce, Chypre et l’Egypte.

Mais Ankara tente également de contrer l’accord « Eastmed » entre la Grèce, Chypre et Israël. Ce pacte sert à sécuriser sur 1870 kilomètres l’approvisionnement énergétique de l’Europe face aux tentatives turques de contrôle de la Méditerranée orientale.

Après avoir accumulé les impairs au Proche-Orient, les Occidentaux ne semblent pas davantage comprendre la politique turque en mare nostrum.

L’Egypte d’al-Sissi: entretien avec Tewfik Aclimandos

« Un Uber pour Tobrouk » vous présente à toutes et à tous ses vœux de bonheur pour cette année 2020 avec l’espoir toujours aussi grandissant de voir un monde toujours plus juste et en paix… bien que cette nouvelle année ne semble pas débuter sous les meilleurs auspices que ce soit en Iran, en Syrie, en Libye…

Je remercie dans un premier temps tous les lecteurs qui m’ont été fidèles cette première année pour mon blog et qui me soutiennent dans un travail que je souhaite le plus clair, le plus concis et le plus pédagogique possible. En historien, en politiste, en citoyen.

J’ouvre cette année avec un nouveau format que je ferai régulièrement avec des entretiens, principalement avec des intellectuels et des observateurs des pays concernés.

Nous parlons aujourd’hui souvent à tord et à travers des problèmes liés à Iran, en Algérie et à la Libye ; ces problématiques je les avais bien entendu abordées l’année dernière et sur lesquels nous reviendrons, mais j’ai décidé d’ouvrir l’année 2020 avec un pays fondamental dans la région par la richesse de sa culture plurimillénaire comme par sa position stratégique, l’Egypte du Maréchal Abdel Fattah al-Sissi. Cet enfant du Caire, officier de l’infanterie mécanisée passé par le renseignement militaire, est arrivé au pouvoir suite à un coup d’Etat le 3 juillet 2013 avant de démissionner en 2014 pour se représenter la même année. Réélu en 2018, le nouveau Président apparaît parfois comme un nouveau Moubarak ou un nouveau Sadate selon les observateurs, avisés ou non.

Fer de lance des Printemps arabes de 2011, pays le plus peuplé du monde dit arabo-musulman, l’Egypte veutredevenir un acteur incontournable dans une région toujours aussi mouvementée.

J’ai donc posé quelques questions à l’intellectuel égyptien Tewfik Aclimandos, chercheur associé à la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France et spécialiste de l’histoire de l’Égypte.

Les années 2000 ont été une période particulièrement meurtrière pour la communauté copte, où de nombreux attentats ont touché une communauté ancestrale dans le pays. Quel rapport entretient, aujourd’hui, le nouveau pouvoir avec les Chrétiens en Egypte qui représentent 6 % de la population ? Les actes de violence semblent s’être apaisés mais le maréchal al-Sissi est-il clairement soutenu par la communauté ?

Les rapports du Président avec la communauté copte sont excellents, et il est incontestable qu’il est le chef d’Etat le mieux disposé à l’égard de cette communauté que l’Egypte ait jamais eu. Après, la communauté est souvent indignée par le fait que la police ne les protège pas dans un ou deux gouvernorats où les incidents sont nombreux. Certains pensent que ladite police, ou que l’appareil d’Etat, sont des salafistes masqués, mais l’accusation est injuste.

Bien sûr, au sein de la communauté, vous n’aurez pas une unanimité totale sur l’appui au Président, beaucoup (des jeunes révolutionnaires, ou au contraire certains hommes d’affaires), lui en veulent pour une raison ou une autre, mais l’écrasante majorité l’appuie. La communauté est, avec les femmes de plus de 40 ans, sa clientèle la plus fidèle.

-Les changements politiques ont souvent des impacts forts, parfois négatifs sur les économies des pays concernés. On a vu par exemple que le chômage des jeunes diplômés en Tunisie avait eu un impact déterminant durant les dernières élections présidentielles. Des grèves et des manifestations sont apparues dernièrement dans le paysage politique. Quelle est réellement la situation économique dans le pays ? Que pensez-vous des réformes entreprises dans le pays par le pouvoir exécutif ?

Les grèves et les manifestations qui ont été relayées par certains médias occidentaux n’apparaissent pas aussi importantes que cela, la preuve étant le peu de vidéos défilant sur les réseaux sociaux dont nous avons vu l’importance en 2011. Sur l’économie, oui, on peut dire que l’économie égyptienne va mieux que le pouvoir d’achat des égyptiens. Mais, à sa décharge, al-Sissi a du adopter en catastrophe un plan de restructuration qui aurait dû être mis en route quarante ans avant. Il faut voir l’ampleur du défi ou du problème: l’Egypte a entre 2 et 2,5 millions d’habitants en plus chaque année, et doit donc, pour les vingt prochaines années créer, au minimum, entre un et deux millions de nouveaux emplois par an. Donc elle a besoin de nouveaux investissements en permanence, et ces derniers ne seront pas au rendez vous si les finances de l’État ne sont pas en ordre, condition nécessaire mais insuffisante.

On peut critiquer les politiques économiques et on ne se prive pas de le faire, mais on omet de montrer le revers positif de chaque mesure. On peut par exemple trouver que ce régime s’appuie trop sur le BTP, mais il faut dire aussi que celui-ci crée des centaines de milliers d’emplois pour les plus pauvres. On peut estimer que la dette monte beaucoup trop vite, mais il faut ajouter qu’elle reste encore à des niveaux raisonnables et qu’en tout cas cette augmentation illustre ce que je disais, le régime s’attaque à tous les dossiers.

– L’Egypte souhaite garder une influence dans la région comme l’atteste son officieux soutien aux troupes du Maréchal Haftar en Libye mais quelles sont aujourd’hui ses relations avec Israël et les États-Unis ? Quels sont également ses rapports avec la Russie, nouvel acteur fort en Méditerranée orientale ?

L’Egypte veut avoir de bonnes relations avec tout le monde, mais pas à n’importe quel prix, bien sûr. Nous ne sommes pas dans une posture agressive. Evidemment, les Etats-Unis restent un partenaire clé. Mais ils sont imprévisibles et nous n’avons pas oublié les sanctions adoptées, au pire moment, par le président Obama, qui ont fait mal. D’où une diversification des partenariats. Les relations avec Israël sont très bonnes, puisque les deux pays sont confrontés à des défis communs (Turquie, Hamas). Les relations avec les Russes sont bonnes, même s’il y a des arrières-pensées et de mauvais souvenirs de part et d’autre. En ce qui concerne les relations entre l’Egypte et Libye, je dirai que l’Egypte a intérêt à ce que l’Est du pays soit « sûr », et qu’il y ait une solution politique. Elle n’est pas contre le principe d’une intégration des islamistes, mais estime que ces derniers sont trop gourmands.

– Beaucoup d’observateurs occidentaux font un parallèle, peut-être osé et caricatural, entre les présidences d’Housni Moubarak et le Maréchal al-Sissi, deux militaires, il est vrai d’un régime autoritaire et libéral au plan économique. Que pensez-vous de cette comparaison ?

Sissi et Moubarak sont très différents, et si je peux comprendre qu’on préfère l’un ou l’autre, les comparer n’a aucun sens. Pour faire court, Moubarak était dans une approche « gestion des équilibres », Sissi dans une approche de « refondation de la société », de « restructuration ». Moubarak évitait certains problèmes, soit pour laisser du temps au temps, soit parce que le sujet était « dangereusement clivant », soit parce que cela ne l’intéressait pas. Al-Sissi s’attaque aux problèmes et va au coeur de l’affaire (ce qui ne veut pas dire nécessairement que son approche soit la bonne, mais elle a le mérite d’exister), Moubarak était en mode « qui n’est pas explicitement contre moi est avec moi » et n’avait pas de conceptions claires du futur du pays, ce qui veut dire qu’il avait tendance à laisser la société suivre son cours. Al Sissi a une vue très précise de ses ennemis, de ce qu’il veut pour le pays, etc. Sur les coptes, al Sissi est philo-copte, Moubarak se contentait de ne pas être anti copte. Moubarak avait plus de patience pour le débat public, et tolérait la corruption voire pis. Sissi est moins patient.

Leur seul point commun est dans leur intention d’incarner une « certaine idée de l’Egypte » et une grande prudence dans la gestion de la politique étrangère. Mais même sur ce dossier, il y a des différences: al Sissi et ses hommes ont plus d’orgueil et sont plus conscients de la « grandeur » de l’Egypte.

De plus, al-Sissi gère une situation où la question de la révolution est omniprésente, même si elle est souterraine.

Un grand merci Tewfik pour ces éclaircissements.

Bonne lecture à tous et à bientôt.

Algérie: le cul entre deux chaises

Un manifestant à Alger, le 20 septembre, lors d’un vendredi du hirak algérien © Toufik Doudou/PPAgency/SIPA Numéro de reportage: 00924779_000012

Entre sursaut démocratique et déclin, l’Algérie est un pays où le système continue d’être contesté chaque vendredi. Des élections seront organisées en décembre.


« Sahla démission ». Le message est clair et expéditif. La contestation continue encore et encore… dans le pays qui a vu naître El Ouafi, Mimoun, Boulmerka et Morcelli, l’endurance semble un don. Mais le Graal espéré est loin d’être gagné d’avance. Trente-trois vendredis de suite, des dizaines de milliers d’Algériens défilent encore et encore pour un changement de régime et une démocratie nouvelle. Toute la caste est visée. L’exemple de leur voisin tunisien donne un étrange mélange de frustration et d’espoir qui n’entérine pas l’orgueil populaire. Et malgré la décision du chef de l’Etat-major d’interdire l’accès à la capitale aux Algériens des autres wilayas, Alger a été le théâtre de l’une des plus imposantes manifestations depuis le début de l’Hirak.Ouverture dans 0Sponsorisé par L’ Assurance MaladieMal de dos ?Gardez le mouvement grâce à vos activités quotidiennes pour muscler votre dosEn savoir +

Le système en place joue la montre

D’après les slogans brandis par les manifestants dans tout le pays, les Algériens refusent l’organisation d’élections avant un changement complet des symboles de l’ancien système.

Après deux reports, la date du scrutin présidentiel est officiellement fixée au 12 décembre par le chef de l’État par intérim Abdelkader Bensalah. Mais cela ne suffit pas aux habitants de ce pays qui demande un grand coup de balais à la tête des institutions. Le ton s’est également durci au sein de l’appareil d’état. Le général Sahla1, le chef d’état-major, continue d’imaginer l’Algérie comme une caserne géante : augmentation des arrestations arbitraires, interdiction des drapeaux kabyles dans les manifestations, visite constante auprès des effectifs militaires dans chacune des wilayas… On est loin de l’angélisme de certains commentateurs qui pensaient l’Hirak comme une révolution de velours. Chassé le naturel il revient au galop. Certes nous ne sommes pas dans la Kabylie des années 60, en 88 à Alger ou durant les années noires… mais l’art du compromis ne semble pas être une tradition algérienne et chacun des deux camps semble jouer la montre.

Les hauts-gradés et les officiers capables de régénérer le pays se font rares, sont vieux et n’ont plus la légitimité de leurs aînés. Ils n’ont aucune vision collective et ne peuvent plus jouer le coup de l’islamisme. L’armée actuelle n’est plus issue de l’armée des frontières des années 60 qui combattaient pour un clan les opposants kabyles ou les socialistes. Encore moins celle des années noires affrontant le Front Islamique du Salut. Ce n’est également pas une armée ethnique à la alaouite en Syrie défendant une vision tribaliste de la société. C’est l’Algérie jacobine avec son armée nationale composée de jeunes conscrits dont les mères, les sœurs, les pères représentent l’Hirak. Le pouvoir peut beugler, grogner, aboyer mais rien n’y fait les Algériens lui tiennent tête pacifiquement mais fermement.

Une élection irréelle

Garantir des élections est une chose. Balayer le pouvoir en place et changer de constitution en est une autre. Et l’opposition est ferme sur ce point. Si ferme que l’Autorité nationale indépendante des élections a annoncé il y a deux semaines que 10  postulants à la candidature avaient retiré les formulaires de souscription.

Le président du parti politique d’opposition « Talaie El Hourriyat », Ali Benflis a retiré les formulaires de candidatures. Il a été suivi. De l’autre côté de la barricade, Abdelkader Bengrina, l’ancien ministre du Tourisme, candidat du parti au pouvoir et du système a annoncé à son tour, samedi dernier, sa candidature. Il est même le premier à faire part de sa participation candidat au scrutin. « Je ne vois aucun candidat potentiel à ce scrutin organisé par les symboles du système! » s’exclame la jeune et talentueuse journaliste Amira Boudjemah, symbole de ce pays plein de ressources mais bloqué par les conservatismes et le népotisme…

Mais refuser le réel, refuser de manière mendésiste à participer à ce scrutin, c’est aussi fuir le combat. Car si la rue est si forte pourquoi ne pas soutenir un candidat d’union nationale susceptible de battre sur son propre terrain l’Algérie du passé pour incarner durablement celle de demain ? La politique de la chaise vide ne peut que conforter le crochet tendu par le pouvoir, et continuer en janvier 2020 la morose routine d’un déclin collectif permanent.

L’Hirak ne craque pas, le pouvoir non plus. Mais l’Algérie va-t-elle craquer ? Le pays né et consolidé sur un mythe est face à son destin. Aux âmes de bonne volonté d’être lucides sur le chemin collectif à suivre pour démonter ces légendes usurpées et tenter de continuer une histoire. Qui sait, peut-être un jour avec un grand « H ».

Jacques Chirac, une certaine vision de la France

Jacques Chirac et Rafic Hariri le 25 avril 2003.PATRICK KOVARIK / AFP

Il m’apparaissait difficile après l’annonce de la mort de l’ancien président de la République Jacques Chirac de ne pas revenir sur un pan essentiel de ses deux mandats, à savoir sa politique étrangère et en particulier dans les régions du Maghreb-Mashrek. Certes ses prédecesseurs, Valéry Giscard d’Estaing ou François Mitterand avaient pris des décisions politiques parfois très importantes dans ces régions, mais aucun Président n’aura eu une politique aussi volontariste que lui dans ces régions souvent si stratégiques pour la France, en nouant parfois des liens amicaux d’une grande intensité avec certains de ses dirigeants.

L’homme avait pourtant combattu comme beaucoup de Français nés dans les années 30 en Algérie.

Pourtant exempté de service comme tout élève de l’Ecole Nationale d’Administration, il s’était porté volontaire pour intervenir dans le djebel face aux combattants du Front de Libération Nationale. Sous-lieutenant du 11ème et 6ème régiment des Chasseurs d’Afrique, régiment composés de jeunes Nordistes d’origine polonaise pour la plupart, il avait lutté dans la région de Tlemcen pendant 18 ans, de 1956 à 1957, recevant la croix de guerre et une blessure au visage. C’est cette guerre qui l’avait, selon ses propres mots, fait basculer de position « Algérie française » au gaullisme avec le retour du général en 1958.

Dès son arrivée à l’Elysée, Jacques Chirac a voulu affirmer un retour de la France dans le « monde arabe » et au Maghreb, engagement qui se voulait dégagé de la tutelle américaine.

Un discours à l’Université du Caire le 8 avril 1996 donne toute le ton de ce qu’il allait être une des volontés les profondes du chef de l’état :

« Je souhaite aujourd’hui, dans ce haut lieu de la culture arabe, vous présenter ma vision des des relations entre la France, l’Europe, le Monde arabe et la Méditerranée. La politique arabe de la France doit être une dimension de sa politique étrangère. Je souhaite lui donner un élan nouveau, dans la fidélité aux orientations voulues par son initiateur, le général de Gaulle. « Tous nous commande disait-il dès 1958, de reparaître au Caire, à Damas, à Ammam et dans toutes les capitales de la région. Comme nous sommes restés à Beyrouth : en ami et en coopérant. »

Comment ne pas penser à Jacques Chirac, et au choix si courageux de ne pas suivre la croisade organisée par l’Amérique de George W. Bush en Irak, guerre mensongère sans l’aval de l’Organisation des Nations Unies, qui a totalement déstabilisé la région ? Je ne m’étais senti aussi fier de mon pays que lors du discours de Dominique de Villepin à New-York pour prévenir des dangers d’une telle intervention. Un discours historique applaudi par l’ensemble de l’Assemblée nationale, une première dans l’histoire de l’institution. Et les fait ont malheureusement donné raison à l’avertissement de la France. Cette décision ne venait pas du ministre des Affaires étrangères de l’époque, athlantiste notoire élevé à Washington, fils d’un député antigaulliste mais bel et bien du président Chirac. De ce dernier, on peut tout dire : ses multiples trahisons et coups bas, les affaires judiciaires dont il parvint comme tant d’autres à échapper, sa politique intérieur d’une médiocrité absolue mais nul de pourra lui reprocher d’avoir défendu l’indépendance de la France au niveau diplomatique, alliant patriotisme et universalisme.

Cet homme si souvent caricaturé de « Français moyen » avec son goût pour les bières Corona et la tête de veau, était pourtant un être d’une grande culture et un passionné des autres civilisations comme le montre physiquement la création du musée au Quai Branly. « Le seul homme a lire du Ronsard sous un livre de cul » pour reprendre la citation de Marie-François Garraud, son ancienne collaboratrice et maîtresse.

Bien sûr, sa politique étrangère ne fut pas uniquement marquée par des considérations philosophiques, les intérêts économiques entre la France et ces états furent d’une rare importance notamment en Irak. Les ventes d’armes et le financement occultent de certaines campagnes électorales restent la face noire de cette période. Mais ce goût des autres, quasi instinctif, s’était manifesté aux yeux du monde lors d’une altercation avec un militaire israelien. Alors qu’il tentait de serrer la main à un vieux marchand palestinien, il n’avait pas hésité à s’en prendre directement dans un anglais « très français » au soldat qui avait refusé brutalement ce contact. Il avait récidivé le lendemain dans une église copte, refusant de rentrer dans le batiment avec un homme armé.

Toutes ces images avaient fait le tour du monde et redoré le blason de la France dans le « monde arabe ». Une France gaullienne et souverraine était de retour.

En Algérie, Jacques Chirac avait su réchauffer les liens si passionnels et si passionnés. Ces deux visites en 2001, à Bab-el-Oued après les inondations puis en 2003, s’étaient accompagnés de bains de foule inimaginables en France. Cette même année, l’opération « Djazair » inaugura une année de l’Algérie en France et de la France en Algérie, avec près de 300 manifestations culturelles de part et d’autres de la Méditerranée.

Jacques Chirac avait également créé des liens humains très forts avec des dirigeants « arabes ».

Rafik Hariri en premier lieu. Dans un pays, où les arabes sunnites étaient animés d’un fort sentiment antifrançais, la francophilie des Hariri avait dans un premier temps facilité les contacts entre les deux hommes. Une véritable amitié était née. Le président libanais logea dans son hôtel particulier parisien l’ancien président après son départ de l’Elysée en 2007. Hariri était l’oeil de Paris dans la région. Un véritable conseiller spécial sur place. Pas un jour sans qu’un coup de téléphone ne soit passé entre les deux hommes d’état en exercice. En 2002, Jacques Chirac avait personellement veillé sur la conférence de « Paris II » où le président libanais avait trouvé auprès de donateurs les quelques milliards de dollars permettant de sortir son pays de la faillite. L’assassinat de Rafik Hariri fut vécu comme un véritable drame personnel.

Paradoxalement cette amitié ne fut jamais l’objet de contentieux avec Damas. Jacques Chirac, critique sur la tentative d’hégémonie syrienne sur le Liban avait toujours entretenu des liens plus que cordiaux avec les Assad se montrant très critique sur les tentatives de déstabilisation israelo-américaine dans la région.

Longtemps, il fut repproché à la diplomatie française et par une certaine gauche, de ne pas se soucier du statut démocratique de ces états et de soutenir certains dictateurs. Les héritiers de Jules Ferry, dont beaucoup tel Dominique Strauss-Kahn avaient ouvertement critiqué l’arrogance française sur le dossier irakien en 2001, représentaient un espace politique où la conception des droits de l’homme associée très souvent à un atlantisme passionnel, primait sur la realpolitik gaullo-chiraquienne. S’entourant d’éminents spécialistes du monde arabe, du maître espion Philippe Rondot aux diplomates Bernars Bajolet ou Yves Aubin de la Messuzière, Jacques Chirac aura été dans les moments de tension au Maghreb face à la menace islamique un partenaire fidèle, quitte à fermer les yeux sur des pratiques policières souvent en porte-à-faux avec les conventions internationales. Il n’était pas question pour l’ancien président de cesser les échanges avec ces pays, et ce quelque soit le régime en place.

Les liens avec Ben Ali et l’Elysée furent par exemple très intenses. Cette proximité sera notamment reprochée au clan chiraquien après la Révolution de 2011 et notamment à Michèle Alliot-Marie qui bénéficia pendant longtemps d’appartement luxueux dans l’ancienne Carthage. Et vice-versa… Durant ces deux mandats, un nombre important de contrats commerciaux furent signés entre les deux pays, notamment dans l’industrie textile qui fut plus que profitable à l’économie tunisienne.

La proximité entre la famille royale marocaine et le Président français a toujours également également très forte. Durant de la crise de 2002 opposant le Maroc et l’Espagne, à propos de l’îlot Persil, le président français fut le seul dirigeant européen à soutenir ouvertement le roi du Maroc quant les autres dirigeants européens avaient joué la carte de la solidarité communautaire. Le Maroc était pourtant l’agresseur. Idem, sur le dossier du Sahara occidentale, où la France soutint systématiquement le Maroc, malgré les plaintes incessantes de l’Algérie.

Les réactions pleines d’affection à Alger, Rabat ou Beyrouth après la mort jeudi de l’ancien président ont montré l’étendue des liens unissant l’ancien Président avec ces pays. Tout ne fut pas parfait, mais les positions de plus en plus néo-conservatrices de ses successeurs, avec pour summum la présidence de Nicolas Sarkozy, ont profondément modifié l’influence française dans ces régions.

Jacques Chirac reste un héritier direct d’une tradition gaullo-bonapartiste aux accents pro-arabes très affirmés, Napoléon Bonaparte comme son neveu avaient rêvé d’un empire puis d’un royaume arabe détaché des tutelles de l’époque.

L’ancien président mort à 89 ans reste le dernier dirigeant à avoir incarné une certaine idée de la France àl’étranger et de l’échange entre les cultures. Le musée du Quai Branly comme le refus de s’engager dans une croisade en Irak restent les actes les plus pertinents et les plus symboliques de son rapport au monde et à la vision universaliste d’une France sûre d’elle-même et de ses principes.

On en est loin aujourd’hui…

Tunisie: la victoire des outsiders

Les milliers d’Algériens, qui chaque année partent sur les côtes tuniennes profiter des complexes touristiques, peuvent être envieux. Non pas des espaces bétonnés de La Goulette ou d’Hammamet…mais de découvrir à quelques pas de chez eux, en plein Maghreb, une vie démocratique certes imparfaite comme tout système humain mais vivante, pleine d’espoir…loin de la morosité algérienne et de ces élites aveugles et corrompues pour beaucoup.

Le 15 septembre dernier, 7 millions d’électeurs ont été appelés à élire leur Président de la République. Symbole unique de cette semaine folle d’espoir pour nombre de Tunisiens n’ayant connu jusqu’en 2011 que la dictature, Ben Ali mourait en exil quelques jours plus tard en Arabie Saoudite. A croire que toutes les planètes semblaient s’aligner du côté de Tunis.

26 candidats étaient alignés sur la ligne de départ représentant toutes les opinions et sensibilités du pays : des islamistes à l’extrême gauche en passant par les socialistes et les candidats les plus loufoques. Il y’en avait pour tous les goûts.

Si ces élections donnaient au préalable d’une démocratie vivante et pleine d’espoir, la réalité en Tunisie est d’un acabit.

Certes, le pays est celui du Printemps arabe qui a tenu le plus ses promesses en ce qui concerne le respect des droits civiques et des libertés publiques. Mais mettre un bulletin dans l’urne ne nourrit pas toujours son homme et la crise économique ajoutée à des erreurs de casting ont profondément affecté le moral de nombreux citoyens tunisiens. Le pays connaît une crise de confiance profonde envers ces élites en place depuis 2014. L’économie n’a pas redémarré. Dépassant dans les années 2010 l’Afrique du Sud comme premier atelier africain en matière de textile, le pays est pourtant en crise économique. La révolution n’a pas eu l’impact escompté sur les finances du pays et les mesures prises par les gouvernements respectifs furent des fiascos totaux. Depuis 2016, le chômage est toujours à 15% touchant plus particulièrement les femmes en milieu rural. Mais le problème est plus ample : fer de lance de la révolution de 2011, les étudiants sont les premiers touchés par le manque d’emploi et en particulier les « surdiplômés ». Ces grosses têtes, parfois bien faites, sont les premiers frustrés par le système en place. Et ils n’ont pas hésité à s’en plaindre sur les réseaux sociaux. Près d’un tiers des étudiants sortant de l’université ne trouvent pas leur place sur le marché de l’emploi. La faute en partie à un système éducatif peu adapté au marché tunisien et à une fuite des cerveaux toujours aussi présente.

C’est dans un contexte de rejet des élites traditionnelles que s’est déroulé ce scrutin.

Le rejet des nouvelles élites post-révolution est total sans pour autant tomber dans une quelconque nostalgie du Benalisme.

La campagne a d’ailleurs été calme et beaucoup plus respectueuse que nombre d’élections occidentales : pas de bourrage d’urnes, aucune fraude avérée, un réseau internet intact, des militants sincères et peu agressifs…

Il faut « sortir les sortants » semble pourtant avoir été le slogan adopté par celles et ceux qui se sont aventurés dans urnes. Mais l’abstention a été faible. La participation a été de 49% selon des chiffres encore provisoires de l’Isie, un taux faible en regard des 64% enregistrés lors du premier tour de la présidentielle de 2014.

Les « Frères » tunisiens d’Ennahdah pensaient clairement être en tête du scrutin. Moncef Marzouki, proche du mouvement et président en 2011, avait en 2014 atteint le second tour en perdant face à l’actuel président, l’ancien diplomate destourien Béji Caid Essebsi.

En tentant d’effacer leur image de parti islamiste pour apparaître tel le Parti de la Justice et du Développement marocain en bon démocrate-musulman, Ennahdha pensait attirer vers eux les classes moyennes et les plus diplômés : erreur de stratégie puisque Abdlelfattah Mourou a terminé troisième avec 12,9 % des scrutins. Le visage abattu du président du parti Ghannouchi à l’annonce des résultats était révélateur de cette claque.

Le duel va opposer le 6 octobre prochain deux candidats « hors système », deux électrons libres de la politique à l’image de leur pays : l’universitaire Kais Saied arrivé en tête avec 18,8 % sans parti, ni moyen de communication au magnat de la presse Nabil Karoui arrivé second avec 15,4 %.

Comme rien ait jamais simple en politique, ce véritable self-made-man, patron d’une importante chaîne de télévision… est en détention provisoire pour fraude fiscale.

Un peu léger vu le climat déjà constaté quelques lignes auparavant dans le pays.

Surtout que le major de l’élection a déjoué tous les sondages en parvenant en tête du 1er tour sans appareil, ni militant. Ce juriste longiligne au visage d’ascète remplit beaucoup de critères ayant favorisé cette ascencion fulgurante. Parfait connaisseur de la constitution, il a promis de réformer le pays en décentralisant la république tunisienne en s’appuyant davantage sur les cantons. Décentraliser pour rendre le pouvoir au peuple. Universitaire reconnu, fin lettré, il a fait campagne en arabe littéraire, avec beaucoup de pégagogie pour expliquer son programme. Surtout « Rococop » pour sa voix monocorde, il est l’anti-thèse du tribun de la plèbe. Et ce sont paradoxalement ces qualités qui ont permis de faire des émules chez les étudiants et la classe moyenne éduquée, lassés des fausses promesses des hommes politiques nés d’une Révolution où l’art de communiquer a pris le pas sur le réel. Musulman particulièrement pieux, sans être suspecté d’une quelconque collusion avec les intégristes, il fut à de nombreuses reprises évasif sur l’application de la charia dans la société tunisienne, reste favorable à la peine de mort et très claire sur son opposition à l’homosexualité en Tunisie « amenée selon lui par les Étrangers ».

Des déclarations qui lui ont apporté sur un plateau la voix des musulmans pratiquants et des plus vieux, peu tentés par une aventure Ennahdah.

Mais ces derniers n’ont pas dit leur dernier mot. Grand spécialiste de l’entrisme, ils ont déjà montré à de nombreuses reprises leur capacité au sein de l’Assemblée à influencer les votes. Dés l’annonce des résultats, ils ont clairement appelé à voter pour le « révolutionnaire-conservateur » Kais Saied. C’est en grande partie ces électeurs qui pourraient faire l’élection si l’abstention devait rester intact.

Car on voit mal la gauche si désunie, qu’elle soit socialiste, trotskiste ou laïque soutenir le charismatique mais si clivant Nabil Karoui dont la situation personnelle est en elle-même inique.

Mais en politique comme avec les Hommes, rien n’est jamais joué d’avance.

La suite le 6 octobre.

Etats-Unis, Iran: la politique des gros muscles


Etats-Unis, Iran: la politique des gros muscles

Les tensions s’accélèrent entre Washington et Téhéran. Les faucons de la Maison blanche tentent par tous les moyens de maintenir la pression sur le régime iranien, quitte à engager un bras de fer. Donald Trump semble vouloir passer « pour un dur » en politique étrangère, après avoir joué les isolationnistes durant la campagne électorale. Il a ainsi pu rassurer son électorat néo-conservateur, en soutenant une Jérusalem capitale d’Israël ou en reconnaissant la souveraineté de son allié historique sur le Golan.

Plus trumpistes que le Trump

En réalité, dans sa politique au Proche-Orient, le président américain fait davantage preuve de prudence, malgré quelques saillis verbales avant tout électorales. Dans une volonté de rupture avec ces prédécesseurs, conservateurs comme démocrates, il ne protège plus aveuglément les groupes islamistes. Il soutient ainsi également le maréchal Haftar en Libye et le maréchal Sissi en Egypte après avoir proposé d’inscrire les Frères musulmans dans la liste des organisations terroristes, comme le rappelle le chercheur Roland Lombardi.

Donald Trump est avant tout un pragmatique radical, du fait de son passé d’homme d’affaires. En entrant dans un bras de fer avec l’Iran, le président américain n’est pas aussi martial que les images le laissent voir ou entendre. Il compte avant tout redéfinir le rôle des Etats-Unis dans la région, face à un nouvel ennemi très différent des autres Etats de ce coin du Globe et des caricatures que l’on en fait.

Mais ce pragmatisme doit compter avec les vieux démons néo-conservateurs qui hantent encore les couloirs de Washington poussés par des lobbys confessionnels et un complexe militaro-industriel plus que jamais influents. Des hommes comme Mike Pompeo ou John Bolton continuent de faire pression comme hier Dick Cheney. Et ce sont eux qui semblent porter le dossier iranien pour le moment.

Donald « che » Trump

Le 22 avril, la Maison blanche a ouvert les hostilités en supprimant le régime d’exemption permettant à des Etats comme la Chine ou l’Inde de s’y ravitailler en pétrole. Le retour d’une politique d’embargo visant littéralement à asphyxier l’Iran est mise en place. Interdiction à toutes les entreprises étrangères d’acheter du pétrole en Iran.

Alors que la Libye est au bord de l’implosion et que la situation en Syrie n’est pas réglée, les Américains tentent l’ouverture d’un troisième front dans le Golfe. Une technique des « focos » guevarienne à grande échelle avec pour seule précepte révolutionnaire celui de semer « le souk » pour garder la mainmise.

Face au risque d’une riposte iranienne, notamment sur les bases américaines en Irak, le Pentagone a envoyé le porte-avion « Abraham Lincoln », une batterie antimissile sans compter, d’après le New-York Times, le possible envoi de 120 000 hommes dans le Golfe. L’information et la désinformation accompagnent cet élan. Les presses alliées, israéliennes comme saoudiennes, font monter les tensions, en parlant, sans preuve tangible, d’agressions iraniennes ou de supposés alliés qui, tels les houtistes du Yémen, auraient attaqué des pétroliers saoudiens dans le Golfe d’Ormuz, zone stratégique entre l’Iran et l’Arabie saoudite. En réponse, l’Iran a menacé de fermer ce détroit où transite 40 % du pétrole mondial, avec toutes les implications que cela pourrait avoir sur l’économie mondiale.

La non-prolifération de l’Iran

Téhéran avait jusque-là respecté les accords de non-prolifération nucléaire signés à Vienne en 2015. Contrairement à Israël, à l’Inde, au Pakistan ou à la Corée du Nord, l’Iran ne s’était pas lancé dans le nucléaire militaire. De fait, les Américains, soutenus par leurs alliés locaux et sunnites, ont bafoué ces accords. Les autres signataires – l’Union européenne, la Russie et la Chine – ont immédiatement demandé à Khamenei de ne pas répliquer afin d’éviter une escalade potentiellement violente.

Couper les exportations iraniennes, c’est stopper avant toute chose le financement de l’État iranien à destination de la Syrie, du Liban ou de l’Irak. Depuis une vingtaine d’années, l’Iran, lourdement marqué dans sa chair par la guerre contre l’Irak, a soutenu les chiites et leurs alliés au Moyen-Orient. Une méthode digne de la guerre froide que les Américains ont très bien pratiquée au Nicaragua ou en Afghanistan. Le corps des gardiens de la révolution, les pasdarans, ont formé à la guerilla les forces du Hezbollah infligeant, de fait, la première défaite militaire d’Israël dans sa jeune histoire. Même activité en Irak, où la majorité chiite s’était vue très longtemps méprisée par Saddam Hussein puis par les Américains. Idem en Syrie en soutien de l’allié et cousin damascène. Toutes ces victoires avaient dépassé les frontières des héritiers d’Ali pour faire de Nasrallah, d’Ahmadinejad ou de l’alaouite Bachar el-Assad de véritables héros dans tout le monde musulman sunnite. Un terrible affront pour des Saouds, perçus par les masses populaires comme la cinquième colonne américaine. Seul Erdogan commence quelques peu à sortir du bois. Bien que non-arabe… Car depuis l’insurrection syrienne de 2011, la sanglante répression du régime de Bachar Al-Assad indéfectiblement soutenu par le Hezbollah de Hassan Nasrallah ont fait pâlir leur étoile dans le monde arabe.

Tensions partout, conflit nulle part

Face à l’axe russo-syro-iranien, les Américains ont en toute logique soutenu leurs alliés turcs, saoudiens ou qataris contre la formation d’un cercle chiite et anti-Otan dans le monde arabe.

Personne n’a en réalité intérêt à déclencher un conflit. Ni les Russes ni les Chinois ne veulent d’un Iran trop fort dans la région. Chacun a compris le profit qu’il pouvait tirer de la balance des pouvoirs qui s’y est installée et du monde multipolaire tel qu’il s’ouvre. Personne ne veut non plus d’un Iran, tendance empire perse, en Asie centrale.

On a longtemps caricaturé le régime iranien comme un régime théocratique et archaïque porté par des leaders plébéiens soutenus par des foules excitées. C’est oublier que le véritable pouvoir est  tenu par des mollahs fins limiers adeptes du double discours. Des tenants d’une religion certes minoritaires mais aujourd’hui incontournable dans la région. Malgré un Etat stable et un territoire sécurisé, l’Iran sait qu’il n’a pas les moyens de résister à un embargo militaire et que ses alliés russes et chinois ne le suivront pas dans un éventuel conflit violent. Dans une religion chiite où le martyr est sacralisé, la jeunesse iranienne n’a plus les mêmes velléités que les générations précédentes, sacrifiées pendant huit ans face aux soldats de Saddam Hussein. Seulement, Téhéran ne peut pas perdre toute son influence dans la région sur un coup de poker après tant d’années à patienter à un renouveau dans la région.

Dans cette nouvelle partie de dominos, chacun des deux camps va faire face à ces contradictions internes afin de faire émerger un nouveau compromis ou un nouveau conflit central dans la redéfinition des nouveaux impérialismes qui s’annoncent de toute par

Oui, la France joue un trouble jeu en Libye

Si la France soutient officiellement le gouvernement libyen d’union nationale d’El-Sarraj, elle semble, malgré les protestations de l’Elysée, placer des pions dans le camp du maréchal Haftar. Plus globalement, la Libye est (re)devenue le théâtre d’affrontements des intérêts des plus grandes puissances mondiales. 


Des milliers de personnes ont défilé à Tripoli, ce vendredi 3 mai, pour protester contre la présence des troupes de l’Armée nationale libyenne aux portes de la capitale. Mais cette colère populaire a également visé la France et son rôle jugé très ambigu dans les offensives. Paris est accusé par le gouvernement libyen de soutenir financièrement et militairement le chef de l’insurrection, le maréchal Haftar.

Un taxi pour Tripoli

Depuis le 4 avril, ces forces composées de rescapés de l’armée de Kadhafi, de Tchadiens et de tribus de l’est tentent de prendre la ville dirigée par le gouvernement d’union national d’El-Sarraj, seul acteur reconnu par les Nations unies (ONU). Les combats ont encore fait près de 400 morts ces trois dernières semaines. Immédiatement, le chef du Quai d’Orsay, Jean-Yves Le Drian a déclaré que la France n’était pas partisane d’Haftar : Paris travaille pour un cessez-le feu et l’organisation d’élections.

Que la France ne soit pas neutre sur ce dossier n’est pas une nouveauté. C’est sous Nicolas Sarkozy que Kadhafi fut renversé, avec le concours de l’Otan. Plus récemment, les gouvernements de François Hollande et d’Emmanuel Macron avaient tenté des sorties diplomatiques au conflit. Elles ont systématiquement échoué, faute de compromis possible entre les deux belligérants. La dernière en date, en décembre 2018, à Paris. De son côté, El-Sarraj est depuis quelques jours de passage en Europe à la recherche d’alliés : de Milan à Paris en passant par Berlin.

Officiellement, Emmanuel Macron a clairement apporté son soutien à Tripoli. Il reste solidaire de la position européenne en soutenant le gouvernement adoubé par les instances internationales. Et juge « inacceptables et infondées » les critiques affirmant le contraire. Mais dans les faits, Paris semble appuyer les deux camps.

Eviter un nouveau foyer islamiste

Le 17 juillet 2016, un hélicoptère transportant trois sous-officiers de la DGSE s’écrasait à Benghazi, dans la zone d’Haftar… Une scène qui ne fut pas du goût des hommes du Commandement des opérations spéciales français en poste… à Tripoli. Le but étant probablement de placer des pions dans chaque camp. L’arrivée des islamistes dans le sud-est du pays a semble-t-il poussé l’Elysée à soutenir Haftar. La crainte de voir naître un foyer islamiste avec l’arrivée de combattants syriens a forcé la France à agir dans une région où son influence a toujours été forte comme le montre sa présence au Tchad ou au Mali. Car, soyons clairs, si elle soutient Haftar, un militaire à poigne, elle renoue avec la tradition diplomatique gaullienne, dont le dernier représentant fut Jacques Chirac, qui visait à s’allier à des régimes autoritaires contre les Frères musulmans et autres islamistes. Depuis Nicolas Sarkozy, le camp atlantiste a très largement pris le dessus au Quai d’Orsay et dans certains services de l’armée, comme au renseignement militaire. La première intervention en Libye puis les tentatives de soutenir des combattants islamistes en Syrie, toujours pour les droits de l’homme, en attestent. Mais redorer son blason en jouant les équilibristes après le fiasco syrien est un exercice particulièrement sensible, et il n’est pas sûr que la France sorte grandie de cette situation.

Tout le monde aime la Libye

La crise syrienne a redonné des ailes à un grand nombre d’Etats qui, jusque-là, se contentaient de défendre leur pré-carré et leur frontière. Dorénavant, chacun des deux acteurs en présence en Libye a ses propres soutiens, parfois les mêmes.

L’Italie, petite puissance diplomatique, est aujourd’hui le principal appui d’El-Sarraj. L’ancienne puissance coloniale a dirigé Tripoli de 1911 à 1947. Rome avait renoué des contacts avec la Libye sous Berlusconi qui, par l’entremise de Vladimir Poutine, s’était lié d’amitié avec Mouammar Kadhafi. En 2008, un accord avait été signé où l’Italie s’engageait à verser 25 milliards en cinq ans comme compensation à la colonisation. En échange, l’Italie est devenue le premier partenaire économique de la Libye. ENI, la société pétrolière italienne y possède de nombreux puits… Le partenariat s’est étendu par la suite à la lutte contre l’émigration clandestine. L’Italie de Salvini est très présente sur ce dossier. Soucieuse de maintenir une influence dans la région, Rome a envoyé 400 soldats dans la Tripolitaine qu’El-Sarraj et ses hommes ont de plus en plus de mal à tenir. Outre la solution militaire, l’Italie a tenté à Palerme une solution diplomatique qui a totalement avorté. Soucieux de maintenir sa crédibilité diplomatique, Salvini – qui est tant critiqué par les chapelles européennes pour ses prétendus souverainisme et autoritarisme – gère le dossier libyen de très près, quitte à s’accrocher avec son voisin français.

El-Sarraj est soutenu par des Etats très différents. Le tampon « ONU » n’a par exemple jamais empêché les islamistes de soutenir par intérêt les transitions dites démocratiques. Les islamistes sont présents au sud et à l’est du pays, où se mêlent tribalisme et radicalité religieuse, mais également à Tripoli. Les Frères musulmans ont été, depuis les années 50, parmi les premiers opposants aux régimes autoritaires et c’est donc en toute logique qu’ils se sont retrouvés au pouvoir des dites démocraties après les Printemps arabes en Tunisie ou en Egypte. Nombre de ces militants particulièrement bien formés et structurés soutiennent El-Sarraj avec l’espoir de récupérer le pouvoir. C’est dans cette optique que la Turquie soutient militairement et financièrement les forces politiques de tendances islamistes. Soucieux d’apparaître comme un calife tant espéré du monde sunnite, Erdogan a promis d’aider Tripoli contre les troupes d’Haftar. En décembre dernier, des bateaux turcs remplis d’armes avaient été interpellés. Et des drones ont été saisis il y a peu par les hommes d’Haftar à destination de leurs adversaires. Autre aspect important souligné par le géographe Ali Bensaad, la Turquie tente aussi de s’appuyer sur des relais ethniques. La ville de Misrata, à 200 kilomètres à l’est de Tripoli est composée d’un tiers de Kouloughlis, descendants des soldats ottomans du temps de la Régence. Comme souvent, le Qatar apparaît comme le grand argentier de ces opérations visant à installer les islamistes au pouvoir, au même titre que les Emirats arabes unis.

Dans le camp d’en face, le principal soutien reste l’Egypte. Historiquement, la Cyrénaïque, foyer de départ de l’insurrection, est la région la plus arabisée et la plus proche de l’Egypte. Depuis le début, le maréchal Sissi soutient « son petit frère libyen », maréchal également. L’ancien combattant du Kippour et du Tchad, Haftar, correspond également à la logique de pouvoir égyptienne, à savoir un autoritarisme militaire usant de l’anti-islamisme comme stratégie de pouvoir. Le Caire espère bénéficier d’une aide pétrolière et économique à moyen terme. L’Arabie saoudite, afin de contrecarrer l’influence turco-qatari dans la région, aide financièrement.

Les Etats-Unis revoient leur copie

Côté russes et américains, Haftar semble l’emporter. Dans la même logique qu’en Syrie, Moscou a fait de la lutte contre l’islamisme un de ses cheval de bataille. Si elle n’a pas d’intérêt direct comme en Syrie, la Russie tente d’élargir son influence sur tout le pourtour méditerranéen en s’appuyant sur des pouvoirs autoritaires.

Du côté américain, Donald Trump est encore en rupture avec ces prédécesseurs. Il a sensiblement retenu les leçons des échecs américains au Moyen-Orient depuis bientôt 40 ans, la Syrie étant la dernière en date. Le vendredi 19 avril, un communiqué de la Maison blanche a ainsi indiqué qu’un appel téléphonique avait été échangé entre le président américain et le maréchal Haftar. Après avoir longtemps tergiversé entre les deux camps, le sous-secrétaire d’État Mike Pompeo avait même demandé un cessez-le-feu après le début de l’offensive de l’ANL. Désormais le président américain soutient officiellement le coup de force d’Haftar. Un « coup d’Etat » selon l’ONU.

La Libye reste décidément le carrefour de toutes les luttes comme l’avait compris le grand géologue français Conrad Kilian après sa découverte, dans le Fezzan, de gigantesques nappes de pétrole. Découverte qui lui coûta la vie et un injuste oubli. Plus de 70 ans après Tobrouk et Bir Hakeim, les sables libyens, dont les intérêts économiques n’ont sensiblement pas changé, sont encore les témoins d’âpres affrontements entre des belligérants toujours plus nombreux…

Avec Bensalah, Bouteflika est toujours là.

Si le départ d’Abdelaziz Bouteflika a ravi la foule qui manifestait depuis plusieurs semaines, son remplaçant automatique, Abdelkader Bensalah, possède les mêmes caractéristiques que lui. En Algérie, le système est toujours là, tout a changé pour que rien ne change. 


L’acte I s’est enfin terminé. Le 4 avril, la rue a eu raison d’Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis vingt ans.

Depuis des semaines, des manifestations pacifiques s’étaient déployées dans toutes les rues du pays. Drapeaux algériens à la main, des centaines de milliers de personnes ont battu le pavé avec l’espoir de voir partir le président âgé de 82 ans. Hommes, femmes, enfants, jeunes comme vieux, cadres et sans emplois, jamais l’Algérie n’avait connu de tels mouvements de liesses depuis l’Indépendance en 1962. Tous ont occupé les rues avec l’espoir et la détermination de voir ce pays gangrené par le chômage et la corruption se doter d’une démocratie saine et renouvelée.ADVERTISINGOuverture dans 0

Bouteflika, l’arbre qui cachait Bensalah

Alors, lorsque conformément à la Constitution, le président du Sénat Abdelkader Bensalah s’est retrouvé président de la République, c’est un sentiment d’humiliation et de colère qui a frappé la foule. Car Bensalah ressemble à l’ancien président.

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Légèrement plus jeune, 77 ans, c’est un éléphant dans une société où l’âge moyen est de 26 ans, parmi les plus jeunes du continent africain. Bensalah est membre du Rassemblement national démocratique (RND), un parti créé par l’ancien Premier ministre, Ahmed Ouyahia, pour servir d’appoint au Front de libération nationale (FLN), le parti majoritaire. Bien qu’il ne doive rester que 90 jours au pouvoir, Bensalah représente tout ce qu’a combattu la rue pacifiquement mais avec détermination. Le système. Une coalition mêlant monde politique, pétrole et armée. Bouteflika n’était que l’arbre cachant une forêt bien plus vaste à laquelle appartient le nouveau président par intérim, une forêt que la décennie noire n’a fait que densifier dans les années 90.

Bensalah, le « Marocain »

Abdelkader Bensalah a été journaliste dans les années 70, spécialisé notamment sur le Levant. Devenu député de la région de Tlemcen dans la même décennie, il entame une carrière de diplomate en devenant ambassadeur en Arabie saoudite à la fin des années 80, une période où Bouteflika s’est éloigné de la politique. Les deux compères, comme d’autres de cette génération, reviennent aux commandes avec la guerre civile. Bensalah préside entre 1994 et 1997, le Conseil national de transition, l’unique chambre parlementaire après l’interruption du processus électoral de 1991. Puis c’est la voie royale : président de l’Assemblée populaire nationale de 1997 à 2002 puis de la plus haute chambre du pays de 2002 à 2019.

De manière totalement caricaturale, son CV incarne de A à Z la génération Bouteflika qu’a justement rejetée cette révolte pacifique. Immédiatement, de vieilles rumeurs ont éclaté sur le pavé et les réseaux sociaux : Bensalah ne pourrait être président car né Marocain.

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En 2013, lorsque s’était posée la question d’une possible succession d’Abdelaziz Bouteflika, le nom de Bensalah avait déjà surgi. Lakhdar Benkhellaf, leader parlementaire du Front pour la Justice et le Développement (FJD), avait suscité la polémique déclarant qu’Abdelkader Bensalah « avait la nationalité marocaine » avant d’être naturalisé algérien. « La condition pour qu’un responsable occupe le poste de président de la République est de posséder la nationalité algérienne d’origine », avait-il confié à des médias algériens. Une polémique sur fond de chauvinisme étriqué vite battue en brèche par l’intéressé qui était bien né en Algérie à Beni Messahel dans la wilaya de Tlemcen le 24 novembre 1941. Déplorable pour un homme engagé très jeune dans l’Armée de Libération nationale (ALN).

« L’Algérie aux Algériens »

A l’annonce de sa prise de poste, un sentiment d’abattement s’est répandu dans la foule. Ces manifestants pleins d’enthousiasme et de dynamisme se sont sentis trahis : tout ça pour ça. Un sentiment de colère teinté par moment de paranoïa a émergé sur la toile et sur les pancartes : les Occidentaux ne veulent pas d’une démocratie en Algérie. Les rumeurs les plus folles ont pointé leur nez : les responsables seraient à l’étranger. Après l’Irak, la Syrie ou la Libye, les Américains, les Français et consort souhaiteraient le chaos pour mettre la main sur le pétrole et le gaz. « L’Algérie aux Algériens », réclament certains manifestants. Ces réflexes, bien que minoritaires, révèlent une société fragile et friable. La crainte d’assister à un durcissement du régime est une donnée à ne pas négliger. Les relations avec la police se sont quelque peu délitées et l’armée a déjà récupéré les services de renseignement. Une partie de la population parle même de boycotter les scrutins prévus le 4 juillet.

Manifestation contre "l'ingérence étrangère" à Alger. PPAgency/SIPA / 00900151_000007

Manifestation contre « l’ingérence étrangère » à Alger. PPAgency/SIPA / 00900151_000007

Malgré tout, l’espoir reste de mise. « On ne lâchera pas avant l’émergence d’un nouveau système et d’une nouvelle génération de dirigeants au pouvoir ». Oui, mais avec qui ? Diriger un pays ne s’improvise pas et l’absence d’une opposition crédible depuis de nombreuses années n’a rien arrangé. Si les forces vives existent forcément, elles tardent à émerger. Faire une campagne présidentielle demande un minimum de structures partisanes, de fonds, de leaders. Les rares noms comme Rachid Nekkaz ou l’ancien militaire Al Ghediri apparaissent bien trop marginaux pour le moment et les reliquats de l’ancien régime, tels Ali Benfils ou tous ceux qui seraient apparentés au FLN ou au RND, sont exclus d’avance par la population. Et chez les jeunes, rien pour le moment.

Qui veut gouverner l’Algérie ?

En 1962 était sorti des tréfonds du pays des hommes aussi talentueux que Boudiaf ou Ait-Ahmed ; aujourd’hui, la période est à la disette ou tout du moins l’inconnu. Reste l’éternelle menace islamiste. A la fin des années 80, le Front islamique du Salut (FIS) avait bénéficié, outre des mêmes maux qu’aujourd’hui, d’hommes revenus d’Afghanistan et de leaders charismatiques comme Belhadj ou Madani. Aujourd’hui, le seul parti de cette obédience est le mouvement de la Société pour la Paix du docteur Makri, qui peut-être un prétendant dans ce bal où la politique de la chaise libre rend tous les scénarios possibles. Mais est-ce qu’un pays, encore marqué par la décennie noire, le souhaite, vraiment ?

Tout a changé pour que rien ne change. L’immense coup de balai attendu n’a pas encore eu lieu. Les auditions pour l’acte II ont commencé.