Donald Trump: un dernier tweet pour la smala

Mike Pompéo en visite au Maroc- DR (Le Monde)

« Ça passe crème» ou « ça va passer comme une lettre à la poste ». On pourra utiliser tous les termes populaires souhaités, le tweet écrit par le Président américain Donald Trump le 10 décembre dernier fait déjà date. En demandant au Maroc la reconnaissance d’Israël, en échange de la reconnaissance du Sahara occidental comme entité marocaine, Donald Trump fait un touchdown diplomatique. Les « pisse-vinaigres » avaient déjà mis sous la nappe les accords du 15 septembre dernier où deux autres états musulmans, le Bahreïn ou les Emirats arabes avaient ouvert la voie en reconnaissant « l’État des Juifs ». Or paradoxe de l’histoire, ce ne sont ni les démocrates américains, ni les travaillistes israéliens (pour ce qu’il en reste) ou les progressistes arabes (s’il en existe dans au moins deux des trois territoires cités) qui ont forcé ce rapprochement , mais les héritiers de Bush, Begin et consorts. A croire que les conservateurs, nationalistes et autres réactionnaires sont souvent plus aptes à régler les problèmes d’état à état et ont de meilleures cartes en main pour négocier des accords de paix que les chantres de l’Internationalisme. On connaît la chanson en France en 1962. Déjà en 1977, c’est l’ancien terroriste du mouvement d’extrême-droite « Irgoun » et le si conservateur Sadate (ancien agent de l’Abwehr au passage) qui s’étaient serrés la main au Camp David. Le second en avait perdu la vie.

Pour revenir sur le premier « deal », les relations entre Tel Aviv et Rabat étaient très complexes. Beaucoup de non-dits, de faux-semblants, d’hypocrisie. On ne va pas revenir sur l’histoire des Juifs au Maroc mais on ne peut comprendre les rapports bilatéraux sans passer par cette communauté. Les liens entre le Maroc et Israël sont pourtant très forts via bien entendu, la communauté juive marocaine. 800 000 Israéliens ont un ascendant venu du Maroc soit près de 13 % de la population. L’arrivée de ces Sépharades a d’ailleurs coïncidé avec l’avènement du Likoud dans les années 70 face au mépris des Natifs ou Ashkénazes, foyer électoral du travaillisme. Le mouvement des Panthères Noires à cette période visant à donner une meilleure visibilité politique aux Juifs orientaux et plus particulièrement ceux du Maroc a eu son impact. Nombre de Juifs marocains ont gardé des liens avec le pays de leurs ancêtres. S’ils ne sont plus que 5000 à vivre sur place, le contact reste permanent. Berbères judéisés ou Sépharades chassés de la Péninsule Ibérique, le Maroc est toujours leur cœur. Chaque année, les paysans berbères admirent les grosses cylindrées allant vers le sanctuaire de Amrane Ben Diouane. Ce saint repose depuis 250 ans dans un cimetière juif, planté au milieu d’une oliveraie sur les hauteurs de Ouazzane.  Ces pèlerinages s’inscrivent dans un syncrétisme judéo-maraboutique démontrant parfaitement la berbérité de nombreux Juifs originaire du Royaume. La mémoire étant une tradition juive, ils ont également gardé en souvenir l’attitude du futur Mohammed V sous le régime de Vichy (légende quelque peu dorée !). L’affection pour son fils et successeur s’immortalise à travers les innombrables rues et squares portant son nom à Israël. La coopération intergouvernementale s’est illustrée dernièrement dans le domaine de la sécurité et de la formation. Rabat a depuis une dizaine d’année souhaité réformer ses services de renseignements, extérieurs et intérieurs, qui en font un modèle d’excellence dans le pourtour méditerranéen. Le Shin Beth, le FBI israélien, et les services de police ont aidé à la tâche. L’utilisation de leurs diasporas respectives n’y est pas étrangère. Le contexte international est celui d’un facilitateur ou non des relations bilatérales entre les deux états. Hassan II avait facilité les relations entre le Caire et Tel Aviv en 1977. En 1991, Rabat avait officiellement ouvert un bureau à Tel Aviv… bureau qui fut fermé dans les années 2000 suite à la Seconde Intifada. C’est bien la pression populaire qui a freiné les relations entre les deux états. Le soutien du sujet de la rue aux « frères palestiniens » ne laisse pas insensible le Roi quel que soit son rôle religieux. A chaque guerre israélo-arabe, des attentats antijuifs ont été perpétrés au sein du Royaume, des pogroms d’Oujda de 1948 en passant par les attentats de Casablanca en 2003. C’est cette même pression populaire qui avait poussé certains dirigeants pourtant modérés d’Irak et d’Egypte mais peu enclins au panarabisme à intervenir en 1948 contre le nouvel état d’Israël. Or, on ne gouverne jamais très longtemps contre la rue et ce, quel que soit le type de pouvoir en place. Jusqu’où le rapprochement entre le Maroc et Israël peut-il aller et perdurer ? L’avenir le dira mais cette reconnaissance ouvre déjà un nouvel espace entre deux mondes à la fois frères et ennemis.

Pour Trump, c’est un départ tonitruant. En butte avec la justice américaine suite à l’élection de Joe Biden, son tweet montre que sa politique étrangère aura eu un vrai impact. Nombre d’observateurs, aux partis pris souvent inavoués, ont longtemps critiqué la politique diplomatique du « président-milliardaire » à coup de tweets provocateurs aux Nord-Coréens ou aux Iraniens, mais ceux-ci oublient pourtant que Trump reste le seul Président depuis 1945 à n’avoir déclenché aucun conflit. Respectant la tradition républicaine de l’isolationnisme, auquel une partie de l’establishment WASP reste encore très sensible, il n’a envahi aucun pays au nom de la démocratie comme ces prédécesseurs soutenus par les Atlantistes français.

Cela ne doit pas nous faire tomber dans une attitude naïve, visant à oublier que non seulement Donald Trump est toujours à la tête de la première puissance mondiale, mais qu’il défend également les intérêts américains et son image. Ses quatre années au pouvoir ont sonné un regain d’intérêt à la fois sur le Maghreb occidental tout en maintenant une coopération plus complexe que cela avec Israël, faits dont j’ai parlé de manière plus précise dans mes précédents billets (« Maroc/Algérie, les frères pétards »).

La reconnaissance par Washington du Sahara occidental est également un symbole fort car l’ancienne colonie espagnole reste un énorme caillou dans la botte de Rabat. Ce territoire riche en phosphore explique en grande partie les énormes tensions avec le voisin algérien. On ne compte plus également les atteintes aux droits de l’Homme sur les militants du Front Polisario, le mouvement indépendantiste. Il est clair que le deal entre Washington, Rabat et Tel Aviv ne va pas faciliter une réconciliation pourtant clé dans la région entre le Maroc et l’Algérie. Idéologiquement et politiquement, les deux voisins restent des adversaires. L’an dernier, Matt Pompéo avait tapé du poing sur la table afin de réconcilier les frères ennemis, mais l’ancien directeur de la CIA, en pointe sur le dossier sahraoui n’a rien fait pour calmer les tensions ces derniers jours. Maladresse ou calcul ? Ni l’un, ni l’autre, Washington ne calcule plus, il bouge les lignes. Mais Alger, comme les Russes ne lâchera pas le morceau. Surtout que Washington n’est pas l’ONU, dans les faits. Elle a comme elle l’avait fait avec les Basques de l’ETA ou les Irlandais de l’IRA, formé et armé les hommes du Front Polisario. Alger reste le principal soutien du Sahara occidental contre la puissance impérialiste du Nord. C’est d’ailleurs au nom de l’anticolonialisme que l’Algérie a également toujours refusé de reconnaître Israël. Cette vision tiers-mondiste des relations internationales s’était développée sous Ben Bella lorsqu’Alger se rêvait en Mecque du Tiers-Monde avant de continuer et de se renforcer avec ses prédécesseurs. A noter que la question israélienne a longtemps été un point de désaccords profonds entre les différentes factions du FLN : l’aile « Girondins » tenue par les historiques Ait Ahmed et Krim Belkacem ayant toujours accepté la reconnaissance de l’État sioniste. Mes différents billets depuis la création du blog ont toujours montré la complexité des différents espaces étudiés et des intérêts de chaque acteur (n’empêchant nullement un point de vue de ma part , la neutralité étant un leurre scientifique). Il y a toujours un intérêt derrière chaque décision, le hasard n’existe pas mais le temps et le changement de générations peut très bien changer la donne dans les années à venir. Quel sera la ligne de la période post-Tebboune ? Les jeunes générations algériennes resteront-elles attachées à cette ligne diplomatique et à des principes au cœur même de leur mythe national ? C’est pourtant fort possible, mais la réconciliation avec le Maroc est également souhaitée et souhaitable pour l’équilibre régional. La Paix et l’orgueil national font pourtant rarement bon ménage.

Or, puissance atlantique plus que méditerranéenne, le Royaume chérifien fut et reste un allié très important pour les Américains. Depuis Anfa, l’OSS puis la CIA sont restées sur place. Plus efficace en Algérie, les années 80 ont vu son activité grandir. Le verrou de la mer Méditerranée en face de Gibraltar lui est essentiel. Pompéo en visite la semaine dernière au Maroc a immédiatement certifié qu’une « mission américaine » s’installerait à Dakhiat, principale ville du Sahara occidentale afin de dynamiser le « nouveau Sud marocain » ; Il est de bon ton de rappeler la présence d’une future base américaine dans la future Tanger-Med II appelée à devenir le plus grand port de Mare Nostrum.

Doucement mais surement, les Américains reviennent dans le « game ». On pensait les Russes ayant un coup d’avance en mer Méditerranée, mais Washington a su manœuvrer de son côté pour démontrer qu’elle est toujours présente. Trump fut loin d’être « le yankee incontrôlable » que certains ont voulu voir. Mais quid des Européens, et des Français ?

4 réponses sur “Donald Trump: un dernier tweet pour la smala”

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